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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/745

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l’ESCLAVAGE

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des Antonins se fût continué dans la seconde moitié du m’siècle et dans le iv% la suppression de l’esclavage fût venue par mesure légale et avec rachat. » {Marc Aarèle, p. 605, 608.) Personne n’admire plus que nioi la grande école des jurisconsultes du n" et du iii^ siècle : ils donnèrent au droit romain cette forme achevée qui lui a permis de traverser les siècles, et en a fait vraiment la raison écrite. Plusieurs décisions favorables aux esclaves leur sont dues. Mais on ne saurait faire exclusivement honneur de ce ijrogrès à l’époque des Antonins. La plupart des mesures prises par Adrien, Antoxin le Pieux, Marc AuRÈLE, i^our protéger les esclaves contre la mort arbitraire ou l’excès des mauvais traitements, ne sont que la reproduction de mesures semblables prises, dans leurs meilleurs jours, par Néron et Domitien (comparez Spartiex, Adrianus, 18 ; Gaius, Ulpiex. MoDESTix, au Dig., i, vi, 1, 2 ; XLVIII, viii, 10, 11 ; et SÉxÈQL’E, De Benef., III, 2 ; Slétoxe, Domit., 7 ; Martial, Epigr., IV, II ; IX, vu). Quant aux jurisconsultes, ils travaillèrent assurément à prévenir quelques-uns des pires abus de l’esclavage : ainsi, en matière de legs ou d’action rédhibitoire, Ulpiex déclare « cruelle » et même « impie » la séparation des esclaves unis par les liens du sang (Digeste, XXI. i, 35 ; XXXIII, VII, 12, §7). Cependant ils le firent sans esprit de suite ; car on rencontre des consultations de Proccleius, de PoMPOXius, de Gaius, de Vexuleius, de Paul, de Juliex, d’L’LPiEX lui-même, c|ui, dans d’autres espèces, vont à rencontre de ce principe (Digeste, XX, i, 15 ; XXXI, II, 48 ; XXXIII, VIII, 3 ; XXXV, i, i, § 8 ; XL, vii, 16 ; XLI, 1, 9, 10 ; XLII. viii. 25, § 4, 5 ; XLIV, 11, 7 ; XLVII, II. 48. § 5). D’ailleurs, en dehors des deux solutions rappelées plus haut, et des constitutions d’Adrien, d’AxToxiN, de Marc Aurèle, défendant que les esclaves soient maltraités, mutilés, exposés aux bêtes, mis à mort sans juste motif ou sans jugement, on citerait bien peu de décisions juridiques ou législatives rendues pour leur protection au temps des Antonins ou à l’époque qui le suit immédiatement. Rien n’indique, de la part des pouvoirs pubUcs, lintention de supprimer Tesdavage, de tenter la colossale opération cjui consisterait à exproprier tous les maîtres et à racheter tous les esclaves. Une telle idée a pu séduire l’esprit de Renan : elle ne fût point entrée dans celui d’Antonin le Pieux ou de Marc Aurèle.

Le contraire résulte des textes. En tête d’un rescrit d’AxTONiN, rendu au sujet d’esclaves que leur maître traitait d’une manière cruelle et infâme, se lit ce considérant :

« Il faut que la puissance des maîtres sur

leurs esclaves demeure intacte, et il n’est permis à personne de priver quelqu’un de son droit : mais il est aussi de l’intérêt des maîtres que soient accueillies les demandes de ceux qui implorent justement notre secours contre la cruauté, la famine ou des injures intolérables. » (Digeste, I, a’i, 2.). la suite de cette déclaration de principes, Antonin commande,

« dans l’intérêt des maîtres », non de libérer, mais de

remettre en vente les esclaves maltraités. On voit, par cet exemple, que les meilleurs empereurs, comme les jurisconsultes les plus éclairés des ir’et m’siècles, n’envisagèrent pas l’esclavage à la façon des modernes : ils tentèrent quelquefois d’adoucir le sort des esclaves, jamais ils n’eurent la pensée qu’on pfil briser leurs fers, ou même les réhabiliter à leurs propres yeux et aux yeux du monde. C’est même sous la plume (le Gaius. de Marcien, d’Ulpien, que l’on rencontre les expressions les plus méprisantes pour les meubles aniuiés et ce bétail domestique (Digeste, II, VII, 13 ; VI, I. 15 : VII. 1, 3 ; IX, II, 2 ; XV, 11, 58 ; XXI, I, 4, 48 ; XXX, I. 21 ; XXXII, iii, gS).

Comme les jurisconsultes de cette époque ajjpartiennent en général à l’oijinion stoïcienne, leur atti tude vis-à-vis de l’esclavage nous renseigne sur celle de la philosophie romaine. Les Romains ont trop de bon sens pour accepter sans réserve la théorie fantastique d’Aristote, possible dans un petit pays moralement isolé comme était la Grèce, où l’on tenait pour Barbare tout ce qui n’était i^as Grec, insoutenable dans un Empire qui a étendu sa ciA ilisation siu" les peuples les plus dilTérents, et dont la capitale est devenue la ville la plus cosmopolite de l’univers. Il ne saurait y avoir, aux yeux des Romains, de races inférieures, vouées jîar la nature à l’esclavage. Cependant CicÉRON, sur l’origine de la servitude, ne rejette pas tout à fait les idées d’Aristote, puisque, après avoir dit C]u’il est injuste de faire esclaves les hommes capables de se conduire eux-mêmes, il ajoute que ceux qui en sont incapables peuvent être justement réduits en esclavage (De Republica, III, 25). II se rattache également au Stagirite, comme aussi du reste à l’école socratique, par son mépris du travail et des travailleurs (De Off., i, 42 ; Pro Flacco, j8 ; Pro doino, 33). Mais il se rapproche, au contraire, de Zenon par sa doctrine de l’égalité naturelle de tous les hommes (De Rep., l, 2 ; De Legibiis, I, 17). En fait, il est humain pour ses propres esclaves (Ad Atticum, I, 11 ; Ad dii’ersns, XVI, iii, iv). bien que, pai" une contradiction qui n’étonne pas ceux qui l’ont étudié, il porte intérêt aux combats meurtriers des gladiateurs possédés par son ami Atticus (Ad Atticum, IV, IV, 20). Avec SÉNÈQUE, la réaction contre la théorie d’Aristote se précise. Tous les hommes sont égaux aux yeux de l’ancien précepteur de Néron, et il le dit avec une chaleureuse éloc£uence (De Benef., III, 18, 23 ; Ep. XLVii). « Le libre esprit peut se trouA’er dans le chevalier romain, dans l’affranchi, dans l’esclave. Qu’est-ce que chevalier romain, affranchi, esclave ? Des mots créés par l’ambition et la violence. » (Ep. XXXI.)La tyrannie de Néron, qui réduit les pkis grands mêmes à une abjecte servitude, et les contraint à trembler sans cesse devant un maître, achève en lui, par une dure expérience, cette idée d’égalité (Ep. xiv, xxiv, xLvii). Sa bonté naturelle l’incline aussi vers les esclaves, qu’il appelle « d’humbles amis », et desquels, selon lui, les maîtres ne devraient exiger « que ce dont Dieu se contente, le respect et l’amour » (Ep. xlvii). Personne n’a protesté plus énergiquement que Sénèque contre les abus de cruauté, d’immoralité, ou simplement de luxe et de mollesse, dont ils sont l’objet (De Ira, I, 12 ; III, 24, 2(), 32, 35 ; De Clément., i, 18 ; DeBrev. vitue, 12 ; De Vita lieata, 17 ; Ep. xlvii, lvi, xcv, cxxii) Il s’élève avec une grande force contre les combats de gladiateurs (De Ira, I, 11 ; II, 8 ; Ep. vu). Mais il ne va pas plus loin. Il partage le mépris de Cicéron pour le travail manuel (Ep. lxxxviii). Il n’a pas l’idée d’une abolition possible de l’esclavage. Il n’en conteste nulle part la légitimité, et il proteste même contre quiconquc lui prêterait cette intention (Ep. xlvii). II admet que « tout est permis vis-à-vis de l’esclave », qiiiim in ser’um omnia liceant, excepté d’attenter à sa vie (De Clem., l, 18). Lui qui a écrit sur les esclaves de si belles pages, il en écrit parfois d’autres, qui les contredisent, et où semble remonter à la surface tout le mépris antique : « La vie n’a rien de précieux : est-ce que les esclaves, est-ce que tous les animaux ne vivent pas ? » (Ep. Lxxvii.)Et si je recherche quelle conclusion Sénèque donne à cette philosophie, dont une rhétorique souvent admirable ne cache pas l’incohérence, je ne trouve que celle-ci : aux esclaves, et aux autres opprimés, si nombreux de son temps dans tous les étages de la société, Sénèque recommande le suicide, comme seul remède à leurs maux : Tarn prope lihertas est. et senit aliquisJ (Ep. vxx, Lxxxvii, xci ; De Prosid., 6 ; Ad Marciam, 20.)

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