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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/747

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ESCLAVAGE

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des esclaves qui viennent à elle comme à la source de tout soulagement et de toute consolation ; mais

— avec une prudence qu’ont admirée les écrivains protestants aussi bien que les catholiques. Chaxmng, AVaylaxd, Pressexsé, Roller comme Balmès ou Wallox — elle ne prend, ni en principe ni en fait, une attitude agressive A’is-à-vis des maîtres : elle ne se prononce pas sur la légitimité ou l’illégitimité de l’esclavage. Elle évite toute parole qui serait de nature à remuer les esprits, à troubler une paix sociale quelle sait très précaire. Son inlluence, en cette matière délicate, restera toute si^irituelle, toute morale : mais elle montre, par sa propre organisation, qu’il peut exister une société dans laquelle on ne fait aucune différence entre libres et esclaves.

L’Eglise, en elTet, considère comme effacée par le baptême la tare de l’esclavage. Dans la Rome païenne

« les esclaves n’ont j)as de religion ou n’ont que des

religions étrangères » (Tacite, Ann., XIV, 44). Dans la société chrétienne, au contraire, ils participent à la vie religieuse, à ses rites, à ses assemblées, à ses sacrements : nobis senù non sunt, sed eos et habemiis et dicimus spiritu fraties, religione consen’os (Lac-TAXCE, Di înst.. Y, 15 ; cf. Tatien, Orat.. ii ; saint Irénée, IV, 2 1 ; Aristide, Apol., 15 ; Tertulliex, De corona, 13). Il arrive même quelquefois qu’un esclave y soit placé en un rang supérieur à celui d’un homme libre, par exemple s’il est baptisé et que celui-ci soit simplement catéchumène, ou s’il est pur, et que celui-ci soit soumis à la ])énitence (saint Jean Ghrysostome, Honi. de Besurrectione, 3). Rien ne s’oppose à ce que l’esclave soit admis dans le clergé. Saint Cyrille d’Alexandrie dit que parmi les évêques, les prêtres ou les diacres qui administrent le baptême ou qui y préparent, il y a des esclaves et des libres (Ccitecli., XVII, 35). En règle générale, l’Eglise, avant d’élever l’esclave au sacerdoce, exigeait qu’il fût affranchi : soit par cette prudence dont nous avons parlé, qui lui interdisait de contester le pouvoir du maître, soit par respect pour les fonctions sacrées, qui n’eussent pu être décemment ou même facilement exercées dans la servitude. Mais la règle n’était pas si absolue que de grands saints même n’aient passé outre, quand l’intérêt des âmes leur jjaraissait l’exiger : saint Basile et saint Grégoire de Nazianze consacreront évêque un esclave non affranchi (saint Basile, I^p., lxxiii ; saint Grégoire, Ep., lxxix). Le fait d’avoir été esclave n’interdisait pas l’accès au pontilieat suprême : les anciens esclaves Pie et Calliste iig : urent, au ii’et au m’siècle, sur la liste des pajjcs.

La société chrétienne se montre plus indépendante encore à propos de la famille et du mariage des esclaves. Ni famille ni mariage n’existaient pour eux. on l’a vu. dans le monde païen. L’Eglise consacre leur union. Elle lui donne, en propres termes, le nom de mariage « légitime » (Cunst. apost., VIII, 32). Elle fait un devoir aux maîtres de marier leurs esclaves vivant dans le désorilre (ibid. ; et saint Jean Chrysostome, in Kp. ad Ephe.s., iv, Homil. xv, 3). Saint Basile, assimilant le pouvoir dominical au pouvoir paternel, dit que l’union des esclaves contractée avec le consentement du maître a « la solidité du mariage » (lip., r.ic, 42). Ces unions d’esclaves produisent, aux yeux de la religion, les mêmes effets fiue lui. Dans les ménages ainsi constitués,

« les esela^es ont pomoir sur leurs épouses « (saint

Jean Chrysostome, In lip. ad Ephes., Ilumil. xxii. 2). Ces ménages doivent être aussi inviolables que ceux des personnes libres. « Que vous ayez séduit une reine ou que vous ayez séduit votre esclave, qui a un mari, c’est un crime semblable. Ceci et cela est vin adultère, parce que ceci et cela est un vrai ma riage. » (Saint Jean Chrysostome, In I Tliess., Homil. V, 2 ; cf. In II Timoilt., Homil. vii, 2.) Ajoutons que l’Eglise protège contre les maîtres non seulement les ménages des esclaves mariés, mais encore la pureté des filles esclaves : l’homme libre qui a commerce avec une d’elles est coupable d’adultère s’il est marié, de séduction s’il ne l’est pas, dtcns l’un et l’autre cas coupable d’un grave péché (saint Augustin, Sermo IX. 4. 9 ; ccxiv, 3). Pour compléter ce qui vient d’être dit du mariage des esclaves, nous rappellerons la célèbre décision par laquelle le pape Calliste, au m’siècle. autorisa des femmes nobles, des c/a//ssj/ ?jae, à épouser, contrairement à la loi romaine (Digeste, XXIII, II, 44)> des affranchis et même des esclaves (Philosophumena. IX, 1 1). « On voyait des miracles », écrit à ce propos Renan (Marc Aurèle, p. 610), qui ne trouve pas d’autre mot pour caractériser un acte aussi audacieux.

L’étude des sépultures chrétiennes des premiers siècles confirme cette impression. Tandis (fue dans les inscriptions funéraires païennes la condition servile des défunts est soigneusement marquée, et qu’on ne peut, dit de Rossi, « lire dix épitaphes païennes du même temps sans y trouver désignés des esclaves ou des affrancliis », les épitaphes chrétiennes gardent toujours le silence sur la condition sociale des morts qui reposent dans le Christ : <> Je n’y ai jamais rencontré, écrit le même archéologue, la mention certaine d’un seri, ’(ts, très rarement et par exception celle d’un affranchi. » (liuU. di archeologia cristiana, 1866, p. 24.) Depuis l’époque où ces lignes furent écrites, quelques expressions de ce genre ont été lues sur des pierres des catacombes, mais si rares qu’elles n’obligent à rien changer de ce jugement. Aussi ai-je peine à m’expliquerune phrase de Harnack : « Celte omission (du mol ser^’us) est-elle due au hasard ou fut-elle faite à dessein ? la chose reste douteuse. » {Die Mission und Ausbreitung des Christentums in den ersten drei Jahrhunderten, 1^, t. I, 1906, p. 146.) Dans les catacombes encore, honneur est rendu aux défunts par des monuments relativement somptueux, non en raison de leur condition sociale, mais en raison de leur vertu : il y a lieu de croire que l’Ampliatus enterré dans une des cryptes les plus vastes et les plus ornées de la catacombe de Domitille {Bull, di arch. crist., 1881, p. 07-74 et pi. iii-iv) est l’esclave de ce nom dont parle saint Paul (Boni., XVI, 8).

Dans une autre des catacombes romaines, le cimetière de saint Hermès, un caveau contenait les restes de deux martyrs, Protus et Hyacinthe, que leur cognoinen indique avoir été de condition servilc : sur l’épilaphe encore cxistante.de l’un d’eux se lit, après la date de l’inhumation : yacinthvs martyr (liull. di arch. crist., 1894, p- 29) ; l’examen des reliques a montré que les os calcinés avaient été enveloppés dans une étoffe précieuse, dont quelques fils d or se sont conservés (voir mon livre sur les Dernières persécutions du troisii’me siècle, Appendice G). Ce qui fait peut-être le mieux sentir la révolution déjà opérée par le christianisme, c’est la part prise par les chrétiens à ce fait nouveau, le marlyre, c’est-à-dire le sacrifice de la vie témoignant de la vérité de la religion et affirmant la liberté de la conscience. L’esclave, sous la loi païenne, n’avait pas le droit de (lire non, non babrl negandi potestatein. Devenu chrétien, on le voit refuser d’obéir, soit au maître qui veut allenler à sa pudeur, soit au magistrat qui lui demande d’abandonner sa foi. Les annales de la piimilive Eglise sont i)leines d’exemples dece double témoignage rendu par des esclaves : quelquefois même les deux témoignages se confondent, car il est souvent arrivé qu’une femme esclave ait été dénoncée