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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/767

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ESCLAVAGE

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devanceraient : l’empereur, des communes, des provinces donnent l’exemple par des affranchissements en masse. En 188.">, il n’y a plus que i.i 17.000 esclaves : une nouvelle loi déclare libres tous ceux qui ont dépassé soixante ans, et, en indemnisant les maîtres, met à leur charge la nourriture deces affranchis. En même temps, nombreux deviennent les affranchissements testamentaires inspirés par des motifs de piété : de grands propriétaires donnent, de leur vivant, les plus nobles exemples, conmie la comtesse de Nova Friblrgo, rendant libres, en 1888, mille nègres de ses plantations. Les évêques, par leurs mandements et par leiu-s discours, recommandent l’affranchissement des esclaves : ils voiulraient qu’on solennisàt ainsi le jubilé du pape Li’ ; o>' XIII. Après avoir entendu.au commencement de 1888, un sermon de l’évéque de Rio Grande du Sud, l’assistance décide que les 9.000 esclaves que renfermait encore cette province seront affranchis avant la lin de l’année. L’élan est donné, et, le 10 mars 1888, la Chambre des députes du Brésil vote l’abolition immédiate de l’esclavage.

Il y a partout incompatibilité désonuais entre lacivilisation et celui-ci, et tout pas en avant fait dans les pays barbares par une nation civilisée devient une concpiète sur la servitude. Depuis que le protectorat français a été établi en Tunisie, un décret du bey y a svipprimé l’esclavage (1890), et depuis que la France possède Madagascar, l’esclavage n’y existe plus (1896).

3° L’Eglise et Vesclavage moderne. — Conclusion.

— A quelles influences faut-il attribuer la trop lente mais aujourd’hui définitive disparition de l’esclavage dans tous les pays chrétiens ? Après avoir dit que « l’esclavage des noirs s’est établi sous le règne de l’Eglise », Ernest Havet écrit en 1871 (Le Christianisme et ses origines, t. I, p. xxi) : << A l’heure qu’il est, la Papauté, qui condamne si facilement et si imprudemment tant de choses, n’a pu encore se résoudre à le condamner. » Le même historien déclare que l’esclavage et bien d’autres injustices encore

« ont continué tout le temps, de l’aveu de l’Eglise et

dans l’Eglise », et ajoute : « La philosophie lijjre n’a régné qu’un jour, à la fin du xviii siècle, et elle a tout emporté presque d’un seul coup. » Il est difTicile de rassembler plus d’erreurs en moins de mots. Voyons d’abord le rôle de « la philosophie libre ». Deux écrivains seulement, au xviii" siècle, protestent contre l’esclavage, Montesquieu, avec une âpre et généreuse ironie, dans le IX’livre de l’Esprit des Lois {’j’n8), et Rayxal dans les lourds et indigestes volumes de son Histoire philosophique et politique des étahlissements des Européens dans les deux Indes {1778) ; niais Montesquieu, malgré certaines apparences, ne peut être considéré comme un advcrsaire du christianisme, dont il reconnaît hautement l’influence moralisatrice et les bienfaits sociaux, et qu’il considère comme ayant « aboli en Europe la servitude civile « ; quant à Ilaynal, sa philanthropie n’est qu’un prétexte aux déclamations les jilus haincnscs contre la monarchie et la religion. On cite une lettre de Vor.TAUiE à un négrier de Nantes, par laquelle le philosophe se félicite d’avoir placé 50.ooo livres dans soji entreprise, et, en arrachant ainsi à la mort tant de malheureux noirs, « fait à la fois une bonne affaire et une bonne action ». (Cantu, Storia uni-ersale, 1888, t. VII. p. 182, note 13). Même si cette lettre, qui n’a pas été reproduite dans sa Correspondance, n’était ])as authcntirpu^ au moins doit-on reconnaître que Voltaire n’a jamais élevé la voix contre la traite et l’esclavage des nègres. Beaum.vhcuais, lui, a élaboré les statuts d’une nouvelle comi)agnie de marchands

de chair humaine. Mably, qui, bien qu’ayant reçu le sous-diaconat, appartient beaucoup plus à la coterie philosophique qu’à l’Eglise, dit que « les princes devraient permettre à leurs sujets d’acheter des esclaves en Afrique et de s’en servir en Europe ». (Le Droit public de l’Europe, 1790, t. II, p. 394.) Quant aux gouvernements les plus inféodés à la « philosophie », on ne les voit prendre aucune initiative contre la servitude : ni Frédéric II, l’ami de Voltaire, ni Catherine II, l’amie de Diderot, n’ont supprimé le servage dans leurs Etats, qui sont ceux, précisément, où il se perpétuera le plus longtemps. En revanche, la suppression des Jésuites dans la seconde moitié du xviii siècle, œuvre collective de gouvernements asservis aux philosophes, priva de leurs meilleurs amis les Indiens et les noirs, et les mesures prises par PoMiîAL contre les autres ordres religieux qui prêchaient l’Evangile dans les vastes colonies du Portugal ruinèrent des missions qui seraient devenues des foyers de liberté. Lorsque à son tour la Révolution française chassa tous les religieux, sans faire d’exception pour les Trinitaires, les Pères de la Merci et les Lazaristes, elle arrêta du même coupla libération des esclaves dans les pays barbaresques. Le décret par lequel la Convention, en 179^, abolit l’esclavage dans les colonies françaises eut pour inspirateur Grégoire qui, malgré ses erreurs religieuses et politiques, demeura toujours un chrétien et un prêtre. Le mouvement l)eaucoup plus puissant qui amena, dans la seconde moitié du xix" siècle, la suppression de la traite, eut également pour initiateurs des chrétiens : l’abolition de l’esclavage dans l’immense empire colonial de l’Angleterre est avant tout l’œuvre de chrétiens, anglicans comme Wilberforce, catholiques comme O’Connell. La commission qui prépara, en 1848, l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises avait pour président un athée, Schoelciier, mais elle avait pour secrétaire un fervent catholique. Wallon, choisi précisément à cause du beau lixve dans lequel il démontre la part prépondérante du christianisme dans l’abolition de l’esclavage antique. On vient de voir comment, au Brésil, ce sont les écrits, les prédications et les exemples des évêques qui poussèrent le plus efficacement à la suppression de l’esclavage. Quand je regarde tous ces faits, je cherche vainement le sens de la phrase d’Ernest Havet citée plus haut, et je me demande quelle fut la part de ce qu’il appelle « la philosophie libre » dans une œuvre due presque entière à des influences toutes différentes.

Très grande, au contraire, y fut la part de la Papauté. Si les premiers succès coloniaux des Portugais et leur établissement sur les côtes de l’Afrique occidentale avaient fait naître des espérances pour la conversion au christianisme des nègres de la Guinée et du Congo (voir une bulle de Nicolas V, 1554, citée par Paul VioLLET. Précis de l’histoire du droit français, 1884, p. 18a, note 5), les Papes ne tardèrent pas à reconnaître que, malgré l’ardeur des Franciscains à cvangéliser les noirs de leurs colonies (Pastor, I/isl. des I*apes depuis la fin du moyen âge, trad. Furcy Raynaud, t. III, 1892, p. 268), ces hardis navigateurs songeaient moins à faire des convertis que des esclaves. En même temps qu’il s’occupait du rachat des chrétiens captifs chez les Turcs (ibid.). Pie II essaya d’arrêter la traite inaugurée par les Portugais. Ecrivant, en 1462, à un évêque missionnaire qui partait poiu’la Guinée, il lui recommande la conversion des infidèles de ces lointaines régions, dénonce comme le principal obstacle à celle-ci la servitude imposée aux nègres, condamne ce crime énorme, magnum scelus, et ordonne à l’évèqne de frapper des censures ecclésiastiqnes

« les scélérats qui enlèvent les néophytes