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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/778

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ETAT

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Dans l’état de nature, il n’existe aucun droit et personne n’est iraranti contre les atteintes portées à la liberté. De là il suit que c’est une exigence absolue de la nature, qui pousse les hommes à se soumettre à une contrainte publique et légale, en d’autres termes à former la société civile. » (Op. cit., t. V. p. 144-) Comme il le dit en plusieurs endroits de ses écrits. Kant s’est inspiré pour sa conception sociale de Rousseau, auquel il emprunte la théorie de la souveraineté du peuple et le contrat primitif.

De ce principe que « le droit consiste dans la possibilité de l’accord d’une contrainte générale et réciproque avec la liberté de chacun)i, Kant est amené logiquement à réduire le plus possible le rôle de l’intervention de l’Etat au prolit de la liberté. Le minimum d’autorité et le maximum de lilierté est sa devise ; ou plutôt, comme cette formule est assez vague, puisqu’elle ne détermine pas la proportion de ces deux facteurs, il limite le rôle de l’autorité au simple ordre extérieur et aux conflits dans l’exercice extérieur des libertés humaines.

Dans la théorie kantienne, ce principe lui-même a une double raison d’être. La première est la dignité suprême de la liberté humaine, qu’il faut abandonner à elle-même, sauf le recours à la contrainte pour éviter un désordre préjudiciable à tous. La seconde est l’exigence de la moralité, qui n’admet pas le mobile de la contrainte pour déterminer un acte libre. La moralité est régie uniquement par l’impératif catégorique, loi tout intérieure que la contrainte tend à alFaiblir. La mission de l’autorité civile devient ainsi plutôt négative que positive. Son exercice est un pis-aller, qui doit se justilier par une raison de nécessité. C’est la théorie de l’Etat-gendarmel

Autonomie absolue de la raison dans Tordre moral, séparation du droit et de la morale, indépendance de l’individu, du pouvoir et de la société par rapport à Dieu, telles sont les erreurs fondamentales sur lesquelles est construite la théorie de l’Etat du philosophe de Kœnigsberg.

L’Etat hégélien. — Hegel a appliqué aux sciences politiques sa théorie du progrès indéfini, par laquelle il s’efforce d’expliquer l’évolution de l’être selon la loi d’un triple moment, ou d’une triple i)hase : la thèse, l’antithèse et la synthèse. Par exemple : l’autorité, la liberté et la compénétration des deux forces contradictoires dans un état supérieur. Hegel considère l’Etat comme une substance générale dont les individus ne sont que des accidents ou des modes passagers. L’Etat, c’est encore l’absolu. Dieu lui-même parvenu à un certain degré de son évolution, de son devenir.

D’après Schellixg, l’Etat est la « réalité de l’idée morale », — « l’être intelligent en soi et par soi », — la « fin absolue et immobile ». (Grundlinien der Philosophie des Rechts, % 208.) L’individu se doit donc tout entier à la société, puisqu’il n’est rien sans elle. La société est pour les individus, non un moyen, mais une fin. Malgré une foule d’aperçus marqués au coin d’une profonde originalité, le système de Hegel ne nous offre qu’une idéologie a priori sans valeur objective. Cette idéologie tourne à l’apothéose du despotisme politique, du succès et des pires abus de la force. Elle a puissamment contribué à développer en Allemagne la statolâtrie et le pangermanisme.

Plusieurs philosophes allemands, sans professer les théories panthéistes de Hegel, sont d’accord avec lui pour admettre que l’Etat est à lui-même sa propre fin absolue. Citons Stahl, Ahrexs, Bluntschli, Krause

Théories positi-istes. — Par réaction contre les abus des idées ou des principes absolus dans les sciences sociales et politiques, des écoles se sont

formées au xix"" siècle pour sul)stituer aux notions qu’elles estimaient trop absolues et à une méthode qu’elles jugeaient trop déductive, des notions de relativité et une méthode presque uni(iuenient inductive, méthode fondée sur l’observation des laits — malheiu-eusement isolée des princiiies qui doivent les éclairer et les expliquer.

Généralement ces nouvelles théories, que l’on nomme positivisme, historicisme. organicisme, s’accordent pour exagérer la mission de l’Etat, la puissance de la loi et du droit positif, et pour rejeter les principes absolus du droit et tie la morale.

Le positivisme a pour père Auguste Comte, l’inventeur de la sociologie, c’est-à-dire la science des sociétés fondée uniquement sur l’observation. Le vice capital du système de Comte, c’est d’avoir outré la méthode positive jusqu’à méconnaître les lois fondamentales de l’ordre moral et les propriétés essentielles de la nature humaine. Dans son dédain de la métaphysique, il ne reconnaît aux faits qu’un caractère relatif et prétend n’en avoir la certitude que par le moyen de l’observation et de l’induction qui en est le prolongement. Tout en niant l’absolu, il est déterministe, et lorsqu’il ^eut interpréter les faits économiques et sociaux, sans faire appel à la liberté, à la conscience et aux lois absolues de l’ordre juridique et moral, il se condamne à d’inévitables contradictions. La doctrine positiviste, comme la théorie opposée de Hegel, conduit à la méconnaissance des droits de la personne humaine et de l’autorité sociale, le fait accompli se justifie par lui-même, et toute loi, pourvu qii’elle imprime une direction unitaire au mouvement des libertés individuelles, doit être regardée comme une loi bonne.

h historicisme, qui est né en Allemagne comme l’école positiviste en France, semble être une réaction autant contre l’idéologie de Kant et de Hegel, que contre les excès du libéralisme classique, trop absolu dans ses aflirmations sur la constance et l’universalité des lois sociales et économiques. « Le droit, écrivait S.a.vigny, n’est pas une règle absolue comme la morale ; c’est une des forces du corps social, avec lecjuel il change et se développe d’après des lois qui sont au-dessus des caprices du jour. C’est par une action lente et un développement organique que se produit le droit. Il se crée spontanément par la coutume, par la jurispiudence, par les actes particu-^ liers de l’autorité, sous l’empire d’une raison plus haute que la raison humaine, et que celle-ci tenterait A ainement de plier à ses opinions du moment. » (De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit.)

Assurément, les conditions variables de la société amènent des applications juridiques nouvelles, mais ces applications doivent s’appuyer sur des principes absolus et immuables, comme la loi naturelle dont ils émanent.

HiLDEBRANP. Kmes. Roscher, Schmoller Ont employé la méthode historique dans les sciences sociales. L’ordre social et économique ne repose pas sur des principes absolus, mais il n’est qu’une phase d’une évolution historique continue. Il n’y a pas de lois sociales absolues et universelles, il n’y a que des moments variables et contingents dans les rapports des hommes entre eux et avec le monde extérieur. On le voit, ces systèmes bâtis sur le sable mouvant de la « relativité » méconnaissent les lois fondamentales et essentielles de la nature humaine.

L’organicisme. — Comte s’était plu à nommer la société « le plus vivant des êtres connus ». Les défenseurs de l’organicisme, développant cette pensée par la méthode de l’évolution, considèrent la société comme un organisme formé suivant le même principe