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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/847

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ÉVANGILES CANONIQUES

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Rien ne contredit d’abord cette hypothèse. — Le A-. 23 envisage la mort du disciple comme possible, non comme déjà survenue. Or, si Jésus avait réellement adressé au disciple la déclaration qui est rapportée, si le rapprochement de cette parole avec l’annonce faite au chef des apôtres avait donné lieu à l’interprétation excessive qui avait cours parmi les frères, on peut parfaitement comprendre que le bienaimé a tenu à rétablir lui-même dans sa teneur exacte la parole du Seigneur. Il semble même que seul il était capable défaire alors cette rectification. En tout cas, la réserve avec laquelle elle est présentée lui convient beaucoup mieux qu’à ses disciples écri-A ant après l’événement. Qu’est-ce qui aurait empêché un écrivain postérieur de faire expressément allusion au fait survenu ?

171. Le V. 24 se comprend lui-même très bien sous la plume du disciple bien-aimé, auteur de l’Evangile.

— L’aoriste /iSKia ; ne marque pas nécessairement une action depuis longtemps passée, mais convient parfaitement à la rédaction qui s’achève : c’est ce disciple qui a écrit ce qui vient précisément d’être écrit.

— Le présent s ij.y.prjpw se comprend on ne peut mieux du disciple rendant présentement témoignage dans l’Evangile, et ne conviendrait pas du tout pour exprimer un témoignage qu’il aurait rendu dans le passé.

— Comme dans l’Evangile, l’auteur se place par la pensée en face des Odèles auxquels il destine son ouvrage, et il se donne d’une façon objective pour celui qu’ils ont accoutumé de nommer et d’entendre nommer le disciple aimé de Jésus. Un cas analogue se rencontre sous la j)lume de saint Paul : II Cor., xii, 2sq.

178. Que le même auteur parle ensuite à la première personne du pluriel et garantisse la vérité de son témoignage, cela paraît d’abord plus étonnant ; mais il est remarquable qu’au verset inamédiatement suivant, le langage est à la première personne dvi singulier : on ne comprendrait guère ce mélange, si l’appendice était ajouté par un autre écrivain ou un groupe d’éditeurs postérieurs. Au contraire, le v. 26, qui contient un témoignage sur le grand nombre des œuvres accomplies par Jésus, ne se conçoit bien que de la part d’un témoin autorisé, tel qu’était l’auteur de la première conclusion du livre, xx, 30-31. D’autre part, la comparaison des Epîtres johanniques, qui sont incontestablement de la même main (n" 181), montre que justement notre auteur se plaisait à employer la première personne du pluriel pour la première personne du singulier, comme une forme de langage à la fois plus mystique et plus solennelle : I Jean, 3-4, comparé au, 1 ; v, 13. En particulier, la III Epitre a le mélange des premières personnes du singulier et du pluriel dans les mêmes versets g-io, et l’auteur y parle de son témoignage en termes analogues à ceux qui nous occupent : III Jean, 12, comparé à 1-8 et 1 3- 14. Cf. Jean, i, 14 ; iii, 1 1 ; ix, 4 ; Matth., III, 15 ; H. IIoLTZMAN.v, Einleitang in das.V. T., p. 455 ; has Evangelium des Joliannes, p. 229-230 ; Juelicher, Einleitung in das i. T., p. 325, 338.

La phrase peut donc se transposer ainsi : « C’est ce disciple qui rend présentement témoignage de ces choses et qui vient de les écrire, et je sais que son témoignage est vrai (ry^r/jr, ^). » Cette dernière atlirmation convient tout particulièrement, et même exclusivement, au discii)leen question, s’il s’agit, non précisément de la vérité objective de son témoignage, mais plus directement, comme il semble I)ien, de sa sincérité. Seul, en elFct, le disciple peut savoir que sa parole est sincère ; en disant : « /e sais que son témoignage est véridi(iiie », l’évangéliste montre qu’il n’est autre que ce discii)le lui-même.

L’interprétation (jiu^ nous venons d’exposer est confirmée de tous points par l’examen d’un passage

analogue, mais beaucoup plus significatif, qui se trouve dans le corps même de l’Evangile, xix, 35.

173. 2’En XIX, 35. — Le passage est ainsi conçu :

« Et celui qui l’a vu », savoir le fait de l’eCTusion du

sang et de l’eau à la suite du coup de lance, « en a rendu témoignage (u- ; j.y.prJpr, /.vj’), et lui sait qu’il dit vrai (/.y.’i ixùjoi oIÔî-j ôrt vJrfir, /r/st), afin que vous aussi vous croyiez ». — De l’avis général, ce témoin ne peut être que le disciple bien-aimé, mentionné au V. 26 comme présent non loin de la croix.

Ce passage est Lien authentique. — Impossible de voir dans ce verset, avec le P. Calmes, L Evangile selon saint Jean, p. Lo, cf. 443, une interpolation des éditeurs. Il porte le cachet du style johannique : cf. Jeun, XX, 31 ; vi, 29 ; xiii, 19 ; xvi, 4, 33 ; IJean, 1, 3, 4 ; ii> i ; v, 13. Il est supposé nettement par le contexte. La formule du v. 36 : « car ces choses arrivèrent, afin que l’Ecriture fût accomplie », ne peut pas se relier immédiatement au v. 34. qui raconte le coup de lance ; à en juger par tous les passages analogues (xii, 38 ; xviii, 9, 32 ; XIX, 24), l’évangéliste se serait abstenu de la reprise : « ces choses arrivèrent » ; le « car » n’a lui-même de sens que comme fournissant la raison de la foi, dont parle le v. 35 : l’épisode a efficacité pour fonder la croyance, parce qu’il s’est réalisé en accomplissement des Ecritures. Le verset ne peut donc absolument pas se supprimer : il est évidemment authentique.

174. L’auteur s’y identifie réellement au disciple bien-aimé. — Or, dans ce verset, l’évangéliste s’identifie au disciple témoin. Il affirme, en effet, que le témoin « sait qu’il dit vrai ». Mais rien n’est plus essentiellement subjectif que le fait d’avoir conscience de quelque chose. Un étranger aurait pu dire :

« Il affirme qu’il dit vrai », « je crois qu’il dit vrai » ; 

mais il ne saurait garantir : « lisait qu’il dit vrai, il a conscience d’être sincère ". En protestant de l’état de conscience du témoin, l’évangéliste montre qu’il ne se distingue pas de ce témoin lui-même.

L’emploi du verbe’/i’/n au présent le confirme. Ce présent n’est pas contredit par le parfait ij.tii.r/.p-jç, r : /.vj, car ce dernier peut fort bien s’entendre d’un témoignage que le disciple a déjà rendu et qu’il continue de rendre. Le présent /£/£( garde sa pleine signification. Or, il ne peut s’entendre d’un témoin que l’évangéliste contemplerait hors de lui-même dans le passé ; il ne se conçoit bien que si le témoin qui dit présentement la vérité n’est autre que l’évangéliste écrivant son témoignage actuellement.

La finale du verset achève de justifier cette interprétation. L’auteur déclare que le témoignage du disciple a pour but de donner la foi. A qui ? Aux lecteurs de l’Evangile. Or, c’est exactement le langage que l’évangéliste tient dans sa première conclusion, quand il veut exprimer le but de son Evangile même : xx, 31 ; cf. I Jean, 1, 3 ; v, 13. On ne comprend cela que si le témoignage du disciple s’identifie au récit de l’évangéliste. c’est-à-dire si le disciple ténu)ignant pour donner la foi aux destinataires de l’Evangile, est l’évangéliste lui-même écrivant pour former ses lecteurs à la foi.

Chacune de ces indications, prise à part, est très significative ; leur réunion constitue une preuve qu’on a le droit de déclarer péremptoire. Rknan, Vie de Jésus, p. 537 ; L’Eglise chrétienne, p. 52 ; Juelichkr, Einleitung in das N. T., p. 326 ; E. A. Abbott, art. Gospels, dans VEncycl. bibl., t. II, col. 1795 ; P. Wkrnlb, Die Anffinge unserer Religion, 2 « éd., 1904, p. 456 ; Die Quellen des Lebens Jesu, p. 13 ; LoisY, Le quatr. Evang., p. 889-890.

Il est donc établi que l’évangéliste a l’intention de