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EVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L'

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D’où vient tout ce monde moral et que vaut-il ?

A l’origine le seul égoïsme inspirait les actes des premiers hommes ; dans l'état pré-social qui dura très longtemps, aucune règle, aucune morale, chacun suivait anarchiquement ses désirs.

A la longue on sentit vivement, à côté des délices de l’indépendance, les faiblesses, les périls, les insécurités perpétuelles de la vie purement individualiste. On s’avise de l’utilité de l’union : voilà les linéaments encore indécis de l’instinct social, il se crée lentement, avec toutes sortes d'à-coups, sous la pression du besoin. On linit par s’associer pour la guerre et la chasse. Cela nécessite un chef militaire, poigne dure, autorité rude. Son propre intérêt de chef le porte à veiller au bien commun : en lui, pour la première fois, égoïsme et altruisme, intérêt individuel et intérêt général coïncident ; car sa force et sa faiblesse sont attachées à la force et à la faiblesse de la communauté ; il est la collectivité abrégée, individualisée : de là, ses ordres et ses prohibitions visant à la fois et d’une manière inséparable son avantage personnel et l’avantage de tous.

Il défendra, par exemple, de détourner le produit des chasses, de trahir au profit d’un clan adverse, proscrira la guerre et le meurtre entre les hommes qui lui sont soumis, commandera de fabriquer des outils, d’ensemencer des champs ; ceux qui obéissent sont loués par la communauté, qui trouve profit à leur obéissance et récompensés par le chef ; lestransgresseurs sont blâmés et punis.

Peu à peu il se forme, dans les consciences, une liaison entre actes socialement utiles, ordres, louanges, et récompenses — et un autre enchaînement analogue entre actes socialement nuisibles, défenses, mésestime, déshonneur et châtiment.

Ces associations, favorables à l’altruisme, se soudent fortement grâce à une longue et impitoyable contrainte et, transmises par hérédité, deviennent instinctives ; à mesure qu’elles règlent d’elles-mêmes et presqu* automatiquement les rapports mutuels des hommes, l’autorité sociale, devenue moins nécessaire, s’adoucit, s’efface, laisse de plus en plus de liberté : ce qui permet auxKant naïfs et ignorants de l’histoire de parler d' « autonomie ».

On oublie, par la suite, la véritable origine toute empirique des idées et des sentiments qui, d’un commun accord, guident la conduite. Chacun les trouve inscrits dans son cœur ; on les croit absolus, sacrés, nécessaires, indestructibles, exprimant non les conditions de la vie dans un état transitoire, mais l’ordre éternel du monde, connus de nous, mais non créés par nous. On ne voit que leur bienfaisance, et si dans certains cas ils semblent inutiles ou gênants, ce n’est qu’une fausse apparence, on leur suppose une utilité supérieure qui se révélera dans une autre vie. Alors un Cicéron célèbre la loi naturelle, un Kant s'écrie avec enthousiasme : « Deux choses me remplissent d’une admiration inépuisable : le ciel plein d'étoiles, au-dessus de ma tête, et la loi morale au fond de mon cœur ! » On invente, au-dessus de nous, un auteur et un gardien de la morale, législateur, juge, rémunérateur ou punisseur. — Pure illusion « du bon gorille ! » (Cf. Rexax, L’Avenir de la Science, préface, p. xvm : « A force de chimères, on avait réussi à obtenir du bon gorille un effort moral surprenant. « ) Un homme de conscience délicate n’est qu’un animal bien dressé, ayant perdu le souvenir des coups de bâton qui ont formé ses aïeux. « Si un chien d’arrêt, écrit Guyau, était assez intelligent pour comparer sa conduite à celle des chiens courants sescamarades, il pourrait s'étonner, sentir en lui l’action d’une puissance sui)érieure à sa pensée réfléchie, éprouver quehpie chose de

cette terreur religieuse qui est un des traits distinctifs du sentiment du devoir. » (Guyau revient à plusieurs reprises sur des exemples de ce genre dans son Esqiiissed une morale sans obligation ni sanction. Cf. par ex. p. 67, 122. Il les emprunte à Darwin : La descendance de l’homme, 1'* partie, chap. iv, traduct. Edmond Barbier.) La conscience riiorale est un cas d’atavisme, un héritage accumulé, un sj stème de freins et de propulseurs psychiques dont l’origine est oubliée. Quand M. Dufrène dans son « Cours de Pédagogie, allirme dans une formule d’apparence pai’adoxale que « la conscience est l’inconscience », il ne sort pas de l’orthodoxie évolutionniste.

Nous connaissons, désormais, la « généalogie de la morale ». (L’expression est de Frédéric Xietzscub qui a écrit sous ce titre le inoins obscur de ses déconcertants ouvrages. Il accable de sarcasmeslespsychologues anglais, et toutefois, comme eux, attribue à ce que les hommes d'à présent appellent la morale, une origine empirique ; elle serait un ensemble de liens perfides inventés parles faibles pour ligoter les forts. Cf. j" dissertation, p. 25 de la Généalogie.) Cette j déesse splendide et redoutable, nous avons découvert son humble extraction : l'égoïsme a par nécessité créé l’instinct social, celui-ci l’autorité, celle-ci la discipline, la discipline devenue automatique et consubstantielle à l’homme s’est muée en morale, voire même, avec l’aide de l’animisme, en métaphjsique et en religion. L’animal moral, métaphjsique et religieux est issu de l’animal social. (Cf. Georges MicheLET, Dieu et ragnosticisme contemporain, en particulier p. 1-24 où est exposée l’opinion de Durkheim.)

C) Abrégé de la morale évolutionniste. — On nous propose, en harmonie avec la théorie évolutionniste, une morale provisoire comme tout ce qui forme ce monde changeant. Elle n’est pas impérative, mais persuasive, faite non de préceptes mais de conseils, et se résume en ce mot : obéis à la loi du progrès ; gouttelette d’eau dans le grand fleuve, suis le courant ; I^as de réaction.

Tâchons de saisir le sens plénier de cette règle d’or. A quoi tend le progrès ? à l’accroissement de la vie en longueur et en intensité ; lui obéir ce sera rechercher la plus large mesure de vie, et le premier conseil, en se précisant, se convertit en celui-ci : Vis le plus possible. — Mais qu’est-ce qui donne du prix à la vie et peut déterminer à la Aouloir ? C’est le I plaisir qu’elle procure. Si la somme des peines l’emportait, comme le prétendent les pessimistes, la vraie morale serait : suicide-toi. Nous voici donc munis d’un conseil nouveau : Jouis. — Chacun comprend qu’il ne s’agit pas des seuls plaisirs grossiers. Il y a plus d’une forme d'épicurisme : « En somme, écrivait l’auteur du Voyage aux Pyrénées, le sens le plus sensible, le plus capable de plaisirs nouveaux et divers, c’est le cerveau… » — Mais vivre et jouir supposent que l’organisme n’est pas troublé, donc, observe les lois de riiygiène. Le médecin est le prêtre de la religion future et le nouveau directeur des consciences. — Enfin « toutes choses, comme dit Pascal, étant aidantes et aidées, causantes et causées » et toutes gens se tenant, le bonheur des autresnous est nécessaire ; au spectacle, ou même à la pensée de la souffrance, on souffre, et surtout, les commodités d’un chacun augmentent avec le progrès général, donc n’omets pas de te dévouer. Ton égoïsme même te le commande.

Voilà le « pentalogue » évolutionniste. exclusivement positif et sans superstition. Par lui, la grande force qui constitue l’univers et le pousse vers le mieux,