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IDEALISME

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les arguments de l’Esthétique transcendantale en faveur de l’idéalité de l’espace sont loin d’atteindre leur but : les uns, en elTet, reposent sur une confusion entre la connaissance spontanée et la connaissance réflexe (comme par exemple de dire que, pour que nous puissions percevoir les choses dans l’espace, la représentation de l’espace doit être présupposée, ce qui n’est vrai que du jugement exprès et rélléchi) ; et les autres se réclament de faits inexactement observés (comme de soutenir que nous ne pouvons concevoir les choses sans l’espace, mais bien l’espace sans les choses, alors que la conception de l’espace pur elle-même ne laisse pas d’impliquer des choses possibles, dont elle exprime les relations possibles de coexistence) ou dont le réalisme classique fournit une explication tout compte fait plus satisfaisante (comme de voir dans l’intuition pure de l’espace, ou plutôt dans son homogénéité absolue, la seule raison assignable de la nécessité des propositions mathématiques, car le concept ahstrait de l’espace, offrant la même homogénéité, offre aussi le même avantage, sans présenter d’autre part les inconvénients qui tiennent à l’hypothèse même d’intuitions pures ou de formes a priori et à la détermination de leurrapport aux intuitions concrètes ou aux sensations). Dira-t-on enfin que c’est à l’intermédiaire des organes sensoriels qu’il faut attribuer cette forme extcnsive de nos représentations ? mais, demanderons-nous alors, ces organes sont-ils, oui ou non, étendus eux-mêmes ? Si non, la dilBculté reste tout entière. Si oui, voilà au moins un corps qui existe, à savoir notre propre corps ; et si l’on admet l’existence de notre propre corps, il n’y a plus de raison de nier l’existence des autres, dont une partie se trouve justement, et au surplus, servir à la réfection du nôtre : il serait par trop étrange qu’ayant un corps réel nous en dussions entretenir l’existence par l’ingestion de corps idéaux. — Voilà pour les qualités premières. Du point de vue général où nous nous sommes placés, ou plutôt eu partant du même principe général (proportion entre l’effet et sa cause) nous pouvons, somme toute, raisonner de même à l'égard des qualités secondes. Oïl dit d habitude que, s’il n’y avait pasde sujet sentant et conscient, il n’y aurait pas de couleurs ni de sons, etc., dans l’univers : soit, mais supprimez en revanche les objetscolorés et sonores, il n’y en aura I>as davantage. Que la sensation représentative soit un fait subjectif, rien de plus vrai en un sens, puisque sensation équivaut à modification du sujet qui sent : mais qu’elle ne soit que cela même, que, tout en étant subjective de cette manière, elle n’enferme rien d’objectif, c’est une tout autre alfaire. En appeler au plaisir et à la douleur, c’est-à-dire à la sensation a/fectii’e, laquelle de fait ne se rapporte qu’au moi, i>our en conclure qu’il en va de même de la sensation re/^ ; eseiitativc (que la couleur, parexemple, n’est pas plus dans le tableau qui frappe mes regards que la douleur n’est dans l’aiguille qui perce mon doigt), c’est tout simplement supposer ce qui est en question : car lorsqu’on dit que la sensation de couleur implique un élément objectif, on veut précisément dire qu’elle n’est pas, en soi, un plaisir ou >ine douleur. Et qu’elle soit elTectivement autre chose, que les qualités secondes de la matière ne se réduisent pas à de pures modifications subjectives, la preuve en serait déjà dans ce fait sur lequel Ad. GAUMEn, Traité lies facultés de Vnme, t. II, p. 3a, attirait très justement l’attention, à savoir qu’on dit : « je souffre », ctnon pas :

« je sonne » ; qu’on dit : « je jouis », et non pas : « je

brille ». Ne devrait- on pourtant pas pouvoir dire indifféremment l’un comme l’autre, si l’un comme l’autre était également et purement subjectif ? C’est donc que l’un n’est pas subjectif de la même façon que

l’autre, à savoir exclusivement ; c’est donc que l’un, la soulîrance oulajoie, est saisi comme un mode positif du moi, et du moi seul, tandis que l’autre, le son ou la couleur, est perçu par le moi comme quelque chose dont il se distingue, comme un objet, comme un non-moi. Voir, pour toute cette question, P. Janet, Principes de métaphysique et de psychologie, t. ii, p. 163 sq. — En résumé, la cause extérieure de nos sensations doit contenir de quoi expliquer, non seulement leur existence, mais encore la nature même de lem- contenu représentatif. D’autant que c’est juste ce contenu représentatif (ou objectif), nous l’avons vu plus haut, qui, joint à leur indépendance au moins partielle vis-à-vis du moi et à leur ordre fixe pareillement soustrait à ses prises, exige qu’on les rapporte à une cause extramentale : comment ne serions-nous pas fondés de ce chef à lui reporter tout ensemble leurs déterminations objectives, enunraot les diverses qualités sensibles ? Car enfin, il faut le redire, ce sont précisément ces qualités sensibles, étendue, couleurs, sons, etc., que nous avons conscience de percevoir comme se posant en facedenous ou comme s’opposant à nous à titre d’objet.

2° Cette conclusion est pour le moins aussi raisonnable que celle de Berkeley, par exemple, pour qui la cause objective de nos idées des choses sensibles serait la puissance divine elle-même, ou l’Esprit suprême excitant en nos esprits finis, suivant des règles générales qu’il s’est fixées à lui-même et à quoi reviennent, métaphj’siquemcnl interprétées, nos lois delanature, ces impressions subjectives que nous rapportons indûment à des corps et se manifestant à nous par cette manière de « langage v qu’il nous parle continuellement. « Aussi raisonnable » n’est même pas assez dire, et il est permis d’ajouter qu'à cet égard l’hypothèse berkeleyenne soutient plutôt la comparaison avec désavantage. La remarque en a été faite de longue date, et ces critiques directes n’ont rien perdu de leur valeur, il n’est guère conforme, en premier lieu, il est même positivement contraire aux règles d’une bonne philosophie, de faire ainsi appel du premier coup et sans nécessité à la Cause première. île faire ainsi intervenir, comme eût dit Leibniz, Deum ex machina. Et, secondement, ce recours à la Cause première est d’autant moins justifié dans l’espèce, qu’il en résulte pour le système une extrême invraisemblance : bien plus, étant donné que la croyance à l’existence des corps est universelle autant qu’invincible, c’est la véracité infinie de Dieu même qui risque d’en être singulièrement atteinte. En tout cas, pour se résoudre à admettre une théorie aussi paradoxale, il faudrait des raisons particulièrement graves. Celles que Berkeley met en avant offrent-elles ce caractère ? Il est permis d’en douter. A dire vrai, c’est encore la subjectivité des sensations qui va se retrouver en cause, 1 mais à unnouvcau point de vue et par suite avec un profit réel pour la discussion. — Berkeley, en effet, part de ce principe, que les objets immédiats de notre connaissance sont les idées ; et, après en avoir distingué trois sortes, celles qui sont actuellement imprimées dans nos sens, celles que nous percevons eu prenant garde aux passions ou opérations de notre esprit, celles que nous combinons de diverses manières à l’aide des précédentes (classification manifestement reprise de Locke), il se demande si les idées de la première catégorie (les seules qui nous intéressent présenlcmont, puisque aussi bien ce sont aussi les seules qui pourraient nous révéler l’existence des corps) sont de pures modifications de notre esprit qui les perçoit, ou bien si elles représentent des qualités, des phénomènes, des choses qui existeraient absolument, en dehors de tout esprit. Selon lui, c’est à