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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/308

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IMMANENCE (MÉTHODE D’j

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donnés à l’homme, même pour l’aider à observer certains commandements de la loi naturelle, en particulier le premier de ces commandements, qui est celui de l’amour de Dieu par-dessus toutes choses, la réponse devient plus difficile et n’est pas identique chez tous les théologiens.

Des distinctions s’imposent, qu’il faut rappeler brièvement, dans la mesure où elles nous permettront d’apprécier la théorie de la méthode d’immanence.

a’— S’il est question de l’homme en état de grâce, de celui donc dont l’àme est vivante (voir Exposé, col. 587), elle est bien près, croyons-nous, de rallier tous les suffrages, l’opinion de S. Thomas, qui, n’admettant pas d’actes indifférents, suppose que c’est la grâce surnaturelle qui, de fait, apporte alors tous les secours qu’aurait dans une autre économie donnés une grâce natm-elle. (De Malo, q. 2, a. 5, ad 7 ; in Il Sent., Dist. 40, q. 1, a. 5. ad 6 ; S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 1. XII, ch. viii.)

b’— Ilpeutétre question de l’homme qui n’a jamais été en état de grâce, de celui qui est seulement en chemin et qui, quoique appelé à se prononcer sur sa destinée surnaturelle, de manière à engager par sa décision une responsabilité éternelle, n’a pas encore repoussé le surnaturel d’une manière délinitive. Il est, nous le supposons, dans ce que l’on appelait plus haut l’état transnaturel. Pour accomplir la loi naturelle dans son intégrité, et à plus forte raison pour aimer Dieu par-dessus toutes choses (d’un amour affectif) il a besoin d’un secours divin ; beaucoup de théologiens pensent que ce secours sera d’ordre naturel. Et en se plaçant au point de vue abstrait, celui des exigences de la nature considérée en elle-même, tout le monde reconnaîtra qu’on ne peut pas parler d’une nécessité du surnaturel. —’Voir la 34’proposition de Baïus, condamnée par Pis V (Denz., io34 [g14]).

Mais un plus grand nombre de théologiens, se plaçant au point de vue concret, celui de l’économie présente, estiment que ce sont des grâces surnaturelles, que Dieu donne alors à l’homme. Ces grâces répondent moins à une indigence qu’à une plénitude. Expliquant par exemple le sens de l’axiome que nous avons cité, Ripalda écrit : a’Verus igitur… sensus est : Quotiescumque homo agit quod sibi datum est, ut actum virtutis naturalem elliciat, jam adesse antecedenter Deum auxilio intrinseee supernaturali gratiae, atque ita nuUus sit conatus moralitcr bonus naturæ quem aliqua gratia supernaturalis non præveniat. » (Disp. xx, sect. 2, n. 6).

Au sujet de l’observation de la loi naturelle concernant l’amour de Dieu par-dessus toutes choses, S. Thomas formule ainsi sa pensée : « Dans l’état de nature intègre, dil-il, l’homme n’avait pas besoin du don de la grâce pour aimer Dieu naturellement par-dessus tout ; il lui fallait cependant la motion divine pour passer en acte. Dans l’état de déchéance l’homme, pour aimer Dieu, a besoin de la grâce réparatrice qui guérit la nature. « (I » Ilao^ q. log, a. 3.) Cette grâce qui guérit est, d’après le Docteur Angélique, la grâce sanctiliante et l’amour dont il s’agit, l’amour affectif. Sur la question cependant, les théologiens sont divisés ; et tandis que les uns affirment la nécessité d’une grâce surnaturelle pour produire cet acte d’amour, les autres la nient.’Voir p. ex. parmi les premiers Cajetan, in II, q. 171, a. 2 ; Domi. SoTo : Aat. et grat., 1. I, c. xxi ; Molina, Concord., q. 14, a. 13, disp. 14 ; et parmi les seconds, Bellarmin. De gratia et lib. arbitrio, 1.’VI, c. vu ; Suauez, De gratia, 1. I, c. xxxiir.

Quoi qu’il en soit, et alin de situer seulement en son milieu théologique la théorie de la méthode d’immanence, nous constaterons, que, sans être absolument

solidaire de telle ou telle des explications mentionnées ci-dessus, elle nous semble être en plus parfaite cohérence aveo celle qui tient que, dans l’économie actuelle, les grâces intérieures données par Dieu, le sont au nom des mérites du Christ, en une intention de salut, et donc d’ordre surnaturel’. (Billot, De gratia, Komve, 1907, p. 67.) Parmi les théoriciens de la méthode, plusieurs, tel le P. L.iBEnTHONXiÈRE, ont une tendance augustinienne plus accentuée. Nous n’avons pas à l’apprécier, ici. Nous n’examinons que la méthode d’immanence. Celle-ci, telle que M. Maurice Bloxdel l’a proposée dans /.’Action, nous parait simplement en contact avec l’affirmation théologique de la nécessité du surnaturel sous forme de grâces actuelles absolument nécessaires pour justilier les responsabilités de la décision volontaire qui fixera le sort de l’éternité Et de même qu’il est philosophique d’étudier <. toutes les formes superstitieuses et toutes les fictions qu’invente l’action humaine pour se donner l’illusion d’être achevée » ; ainsi n’est-ce pas, nous assure-t-on, outrepasser les droits de la philosophie, de considérer cette affirmation théologique, non point sans doute comme capable d’être découverte par la raison seule, mais comme révélatrice, en ce sens que, confrontée avec les profondes exigences de la volonté de l’homme vivant, elle nous permet de découvrir, si elle s’j- trouve, dans le dogme chrétien, l’image de nos besoins réels et la réponse attendue. On acceptera donc l’affirmation théologique a comme font les géomètres en supposant le problème résolu et en vérifiant la solution fictive par voie d’analyse ». (L’Action, p. 391.)Et cela manifestement est légitime. A condition toutefois que l’esprit se mette en garde contre un danger.

b) Le danger, contre lequel il faut se mettre en garde, est celui d’un double exagération.

a — En considérant l’homme tel qu’il est, in concreto, et non pas dans l’hjpothèse possible sans doute, quoique non réalisée, de sa nature pure, on peut, glissant inconsciemment vers une vue systématique des choses, arriver à nier la solidité relative de nos actes et la vérité certaine de nos sciences. Par là on inclinerait fatalement vers le fidéisme. On évitera le danger, en restant dans l’attitude de pensée que suppose la méthode d’immanence (col. 697). On se rappellera que ces actes et ces sciences ont leur consistance, nonobstant leurs lacunes, et qu’un coup d’état de la volonté ne saurait combler le vide que creuse en nous leur insuffisance. On s’appliquera aussi à mettre en lumière « la plénitude relative de la vie subjective, condition du sentiment que nous en acquérons ». C’est en oubliant ces exigences de l’orthodoxie qu’on se rapprocherait des positions hermésiennes (D., n. 1634 [1496]). Aussi essayerat-on en vain de donner au fidéisme un sens acceptable. Car le Udéisme, ainsi que l’a particulièrement remarqué M. Blondel, a consiste ou à séparer par une cloison étanche le domaine de la science et le domaine de la croyance, ou à subordonner d’une manière plus ou moins oppressive et même éliminatoire l’activité proprement rationnelle aux besoins pratiques, aux raisons de sentiment, aux exigences morales et religieuses. Dès lors le fidéisme, impliquant un abus ou une exagération du rôle de la foi, a un sens toujours péjoratif ». (Vocabulaire philosophique, publié par la Société française de Philosophie, fasc. 9 (1906), p. 303.)

Une autre forme de cette même exagération consistera à ouljlier que si les deux ordres, celui de la

1. Quelle que soit d’ailleurs l’explicatiou que l’on propose. Cette explication varie, comme on le sait, dans les jilTérentes écoles thcologiques.