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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/328

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INCINÉRATION

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dans leur rapport au préfet de police de Paris, du 4 mars 1886 : < L’inhumation présente pour la société des garanties que l’on ne trouve pas dans la crémation, si l’on considère la question au point de vue de la recherche et de la constatation des poisons, dont l’existence n’est souvent soupçonnée que longtemps après le décès. » Et le rapport en donne la raison : l’incinération fait disparaître les poisons d’origine organique et en outre l’arsenic, le phosphore et le sublimé corrosif, « c’est-à-dire les poisons qui sont le plus fréquemment employés » ; quant aux poisons que le feu ne détruit pas, comme les sels de cuivre et de plomb, les intéressés auraient toute facilité pour disperser les cendres (si on les remet aux familles) ou pour les remplacer par d’autres. Proposera-ton, pour prévenir ces inconvénients, de prescrire avant la crémation l’analyse chimique des organes essentiels ? Ces recherches, extrêmement délicates, sont, en pratique, impossibles, dès que les incinérations se multiplient (cf. Rochard, 1. c, p. gSi).

B) -i" point de tue médical, dans des cas de force majeure, comme ceux de guerre, épidémies, catastrophes, l’incinération peut être justifiée et, nous l’avons dit, l’Eglise ne fait pas obstacle à cette mesure exceptionnelle. Cependant, même alors, les avantages techniques du procédé ne sont pas toujours également indiscutables.

Le D’MonACHE, directeur du ser> ice de santé au XVllI* corps d’armée, après avoir écarté, dans son Traité d’hygiène militaire, l’idée de fours crématoires ambulants, à la suite des armées, comme « une des plus fortes utopies que des hygiénistes plus théoriciens que pratiques aient pu concevoir », ajoutait :

« Il est fort à craindre que l’incinération même

des corps ne soit pas applicable sur les champs de bataille, aussi bien au point de vue de l’effet moral produit qu’à celui des possibilitesmaterielles.il n’en est plus ainsi plusieurs mois après le combat, quand les troupes ont quitté ces régions et qu’il peut être nécessaire de désinfecter les tumuli, mal disposés dans la hâte du premier moment. » C’est aussi l’avis de M. Jules Rochard, inspecteur général du service de santé de la marine, qui montre d’une façon saisissante l’impossibilité matérielle et morale de traîner à la suite des armées la ûle de ces lugubres impedimenta, que seraient les fours ambulants (Revue des Deux Mondes, 15 avril 1890).

Et, quant aux épidémies, le D’Brouakdel, dans un rapport lu et adopté dans la séance du 17 août 1 883 au Conseil d’hygiène publique et de salubrité (Annales d’hygiène publique, 1883, II, p. 826), s’exprimait ainsi : < En admettant qu’on construise sans délai des fours crématoires, la quantité de corps brûlés sera dans une proportion presque négligeable par rapport à ceux que l’on devra inhumer. Les manipulations de cadavres nécessitées par la crémation sont plus nombreuses et exposent, jusqu’au moment où le corps est mis dans le four, à autant, sinon à plus de dangers que lorsque le corps est dans la terre… «  « Au contraire, on ne cite pas une épidémie, dit M. Rochard, qui ait eu un cimetière pour point de départ » (1. c., p. 937). Cet auteur signale au surplus l’impossibilité où l’on serait de construire un nombre de fours sullisant pour incinérer promptemcnt les morts durant les grandes épidémies. L’inhumation seule par tranchées peut suffire alors aux nécessités (1. c, p. 940).

C) Au point de vue économique, l’incinération imposerait des charges excessives à la plupart des communes. Le chiffre prévu pour les dépenses d’établissement du crématoire du Père-Lacliaise fut de 629.274 francs. En 1899, les frais d’entretien et de

fonctionnement furent de 45-260 francs. Si on ajoute à cette somme l’intérêt de la lU’écédente, on a 57.560 francs de dépenses annuelles ; et comme cette année-là il y eut 518 incinérations, chacune revint à 1 13 francs. A Londres, au crématoire de Golders’green, le prix minimum d’une incinération est de 250 francs. Sans doute, si les incinérations se multipliaient, les frais de chacune diminueraient, mais non proportionnellement ; car l’augmentation du nombre d’incinérations nécessiterait l’augmentation du nombre de fours. Un four ne peut brûler qu’une vingtaine de cadavres eu un jour. Sans doute encore il y a des installations crématoires moins coûteuses que celles de Paris et de Londres. Elles sont cependant beaucoup plus onéreuses que la simple inhumation. Quand on songe à la très intime minorité des incinérations voulues par les ayants droit et à l’inanité des motifs allégués en leur faveur, on est forcé de convenir qu’il y a là un vrai gaspillage des deniers publics.

BiBLiOGHAPHiE. — A. Cliollet, La Crémation^ dans Revue des Sciences ecclésiastiques, 1886, t. LIV, pp. 481 sqq. (sous le pseudonyme de A. Faucieux) ; et M. Frédéric Passy et ta Crémation, ibid., 1891, t. LXlll, pp. 453 sqq. — Edouard Hornstein, Les Sépultures devant l’histoire, l’archéologie, la liturgie, le droit ecclésiastique et la législation civile, Paris, 1868 ; et La Crémation devant l’histoire, la science et le christianisme, Vavi^, 1886. — Cardinal Richard, Lettre relative à l’incinération, Paris, 1890 (dans Questions actuelles, VII, p. 13g). — H. Lavrand, La Crémation et l’Incinération, Lille, 1873. — Jules Rochard, La Crémation, dans Revue des Deux Mondes, 15 avril 1890, t. XCVIII, pp. 916 sqq. — E. Valton, Crémation, dans Dictionnaire de la Théologie catholique, t. 111, Paris, 1908. — Dr Martin, Les Cimetières et la Crémation. — D’Rrouardel, Rapport au Conseil d’hygiène publique et de salubrité, dans Annales d’hygiène publique, 188li, l ; Les Dépôts mortuaires, ibid., 1890.

— Rrouardel et du Mesnil, Conditions d’inhumation dans les cimetières, ibid., 1892 ; et Les Sépultures, liiV., 1896, t. XXXVI. — A. Bouchardat, Les Cimetières et l’Hygiène publique, dans Revue scientifique, & août 1874 (2* série, t. XIV de la collection, p. 121). — Robinet, Prétendus dangers des cimetières, dans Revue scientifique, 1881, I, p. 779 sqq.

— D’Le Maout, Essai sur l’hygiène des cimetières, Cherbourg, 1899. — De Ryckere, La Crémation au point de vue criminel, dans Revue de droit pénal et de criminologie, 1910, pp. 699 sqq. (On trouvera des extraits dans Questions actuelles, CL, pp. 54 et sqq.) — J. Déchelette,.Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine, Paris, 1910 (t. I, 1. I, c. xi ; 1. II, c. v ; et t. II, c. v).

— H. Bauwens, Inhumation et crémation, Les Rites funéraires depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, lvad. du flamand par le D’A. de Mets, Bruxelles, 1891.

— Ern. Ronduel, Des « res sairæ » et du « Jus sepulchri i>, Lille. — Bulletin de la Société pour la propagation de la crémation (puis incinération), années 188a et sqq. (On trouvera des extraits dans Questions actuelles, LXXXII. pp. 184 sqq., et CIII, pp. 61 sqq.) — Pietra Santa et Max de Nansouty, La Crémation, sa raison d’être, son historique, les appareils actuellement en usage pour la réaliser, état de la question en Europe, en Amérique et en Asie, Paris, 1881.

J. Bbsson.