Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

687

INDE (RELIGIONS DE L’)

688 que lorsqu’elle est mystique et déraisonnable ; elle n’a pas, entre le monisme et la superstition dévote, d’autre chemin d’enlre-d’eux que d’effrayantes confusions. Le miracle de l’union intime et harmonieuse de la raison et de la dévotion, réalisé par le christianisme, reste unique.

El il ne faut pas oublier que cet heureux équilibre de rationalisme et de mysticisme, cette résistance à l’esprit de système et cette fermeté à tenir les deux bouts de toutes les chaînes, que ces qualités qui distinguent le christianisme des relig : ions orientales les plus riches en émotions et en dogmes religieux, sont si peu des résultantes de l’évolution historique, des dons de la civilisation méditerranéenne, qu’elles sont le propre d’une certaine Eglise. Si les religions indiennes ressemblent au cliristianisme, elles ressemblent surtout aux sectes gnostiqnes et mystiques : ascétisme outré, condamnation du mariage, impeccabilité du saint, amour pur, prédestination, docétisme, idéalisme… Combien de points communs entre les églises ou dévotions hindoues et les a sectes » chrétiennes ! … Par le fait, le bon sens en matière religieuse, en dehors de la grande Eglise, manque presque aussi complètement aux Occidentaux qu’aux Orientaux. « L’humanité », a dit fortement le R. P. Lagrangr, « incapable de s’élever utilement, pratiquement à la vérité religieuse, n’est pas moins incapable de la conserver » (Méthode historique, éd. de 1904, p. 37).

Mais il reste que l’Inde présente mieux que d’admirables pièces pour les musées de l’histoire des religions, des vies pénétrées de sentiments presque chrétiens de dévotion, d’ascétisme, de charité ? Sans doute, ou peut-être : mais il est d’élémentaire théologie que les « Gentils « ne sont pas destitués de lumière religieuse. On ne s’étonne pas, et on ne parle plus guère de la révélation primitive, lorsque tel chantre védique rencontre dans la louange de Varima des accents dignes de la Bible. De même faut-il constater sans surprise que tel ouvrage bouddliique révèle des sentiments de repentir et d’iiumilité, des aspirations à la charité ; que tel krishnaite ou ràmaiteaime d’amour son dieu, et pense que ce dieu a pris forme humaine pour enseigner la bonne doctrine (et perdre les mceliants) : rien ne prouve a priori que les dogmes de la dévotion (lihahti) soient des inliltrations occidentales. Car il est délicat de raisonner a priori sur le développement et les limites delà religion naturelle. Gerliiine conception delà réversibilité des mérites est peut-être aussi naturelle que l’idée d’une divinité juste et paternelle, que les idées de responsabilité, de purilication liturgique ou pénitentiaire. Les ressemblances des religions païennes avec la religion révélée n’ont rien de surprenant, car celle-ci est pleinement humaine ; elle satisfait tousies besoins de la nature humaine ; et il est évident que les religions non révélées satisfont en quelque mesure ces mêmes besoins. C’est leur raison d’être ; c’est le secret de leur naissance et de leur durée.

L’histoire des religions peut donc servir l’apologétique, puisqu’elle met en lumière la convenance liuniaine de nos dogmes, et ce miracle de la perfection et de la consistance de notre doctrine. Mais, nu premier contact, l’impression est quelquefois assez trouble. C’est un malheur qu’on ait entrepris de vulgariser les disciplines délicates, encore si incertaines, que sont les études d’histoire religieuse.

III. Questions d’influence ou d’emprunt. — Dans la préface de son estimable ouvrage sur les relations des Evangiles et des livres bouddhiques, M. C. F. AïKKN, professeur d’apologétique à l’Univer sité de Washington, assure que la foi d’un bon nombre de chrétiens a été ébranlée par les nombreuses publications qui affirment l’origine bouddhique d’une partie des évangiles (Tlie Dliuinma of Gotama, the lluddha and the Gospel of Jésus the Christ, a critical enquiry into the alleged relations of Biiddhism tvith primitii’B Christianity, Boston, 1900. — Il convient de faire d’expresses réserves sur les observations chronologiques de cet auteur : chap. iv, Anæhronisms, et p. 802). La conférence de M. W. Hopkins, Christ in India, paraît inspirée par la même préoccupation. (Voir ci-dessus, col. 676, au bas.)

C’est étrange. Mais il faut tenir compte de l’assurance, et j’ose dire de la légèreté, avec laquelle des savants d’ailleurs distingués présentent au public, au grand public, des assertions mal contrôlées. La créance bénévole que rencontrent ces assertions s’explique par la tendance si répandue à accueillir toutes les objections, d’où qu’elles viennent et quelles qu’elles soient. Elle s’explique aussi par les dillicultés inhérentes à cet ordre de recherches : certaines ressemblances entre les Evangiles et les Suttas crèvent les yeux, et les partisans de l’emprunt mettent ces ressemblances en relief : ce n’est pas leur emploi de souligner les contrastes. Parfois, on constate chez les avocats de l’exégèse par le bouddhisme — comment dirai-je ? — quelque innocente supercherie. Un d’entre eux, traduisant l’histoire pâlie d’un personnage anonyme qu’il rapproche de saint Pierre (Matthieu, XIV, a8) (voir ci-dessous, col. 698), imprime avec italiques :

« …A believing layman…, a faithful, pious

soûl, an elect disciple… » Peut-on exiger que le lecteur se reporte au texte pâli, constate que elect disciple correspond à arijasài’aka, et sache que ce terme, très banal, signifie en somme « un bouddhiste » ?

Parmi les causes qui expliquent le succès, au moins relatif, de la thèse de l’emprunt, il faut noter ce fait que la biographie et la personnalité même de S. Joasaph. saint longtemps tenu pour authentique, ne sont qiedes reflets du Bouddha. Cela a impressionné beaucoup de gens, et c’est sans doute pour cette raison que l’abbé E. Hardy raconte l’histoire de ce célèbre emprunt à la première page de son petit livre sur le boiuldhisme(/} » rfrf/in, collection Gosehcn, 1908), voulant, il me semble, montrer qu’on ne peut en tirer aucune conclusion fâcheuse.

Quant aux savants, ils sont persuadés à bon droit que lies relations plus ou moins suivies ont existé, (le tout temps, entre les divers centres qu on regardait jadis comme isolés. Ils ont été heureusement impressionnés par « l’esprit tempéré et judicieux » (expressions du Rev. V. Sanday, Congrès d’Oxford, 1908, II, p. 2^3) avec lequel le plus récent avocat de l’induence bouddhique. M. Van den Bkro, a rectifié et défendu une position compromise par de flagrantes erreurs. Beaucoup de « thèmes » ou « motifs » ont voyage d’Orient en Occident. Quelques-uns ont pénétré dans notre hagiographie. Le < bouddhisme » des Evangiles ne serait qu’un cas, un témoin de la compénétration désormais incontestée.

La controverse qui va nous occuper est déjà ancienne et a fourni matière à une littérature ccmsidérable. On peut distinguer trois pointsdc vue différents, encore que les deux premiers soient assez voisins : I. Inlluence bouddhique i)ar voie littéraire, soit indirecte (Skydkl), soitdirectc (A. EnMiNus) ; 2. Influence boudclhique par diffusion de données propres au bouddhisme, relatives notamment à la biographie du Maître (Van ohn Bkug van EYsiNc.A, qui admet aussi la troisième hypothèse) ; 3. Did’usion de Ihcmcs mythiques, légendaires ou moraux dont le bouddhisme.