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INTELLECTUALISME

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pour ce qu’ils sont, elle n’entend nullement les investir d’un titre de légitimité qui leur manquerait. C’est l’enseignement constant du Siège apostolique, rappelé sous le pontificat de LiioN XllI, pai’une lettre du cardinal Secrétaire d’Etal à l’évêque de Sainl-Flour en date du 28 novembre 18go, où il était spécilié par rapport à la France, que les droits des prétendants, si droits il y avait, étaient, et en tout état de cause demeureraient réservés. L’Eglise, disait le cardinal Kampolla, en reconnaissant indifféremment tous les pouvoirs de fait, soit monarchiques, soit républicains, n’entend par là « déroger en aucune façon aux droits qui peuvent appartenir à des tiers, ainsi que l’a sagement déclaré Grégoire XVI dans la lettre apostolique Sotlicitudo du 7 août iSoi ». Dans cette lettre Sollicitudu en effet, parue au lendemain de la révolution de juillet, Grégoire XVI renouvelait une constitution de Clément V, ratifiée par Jean XXII, Pie 11, Sixte IV et Clément XI, aux termes de hupielle c’est cbose entendue une fois pour toutes, que dans la pensée de l’Eglise, par la reconnaissance oHicielle de « ceux qui président d’une façon quelconque à la cbose publique ii, « nul droit ne leur est attribué, acquis ou approuvé », ni

« aucun préjudice ne peut ni ne doit être censé po.rté

aux droits, privilèges et patronages des autres ; et qu’aucun argument de perte ou de changement ne doit en être déduit «. « Nous déclarons, décrétons et ordonnons, ajoutait le Pape, que cette condition de la sauvegarde des droits des parties doit toujours être considérée comme ajoutée aux actes de cette nature. »

La reconnaissance des pouvoirs établis n’est donc pas nécessairement l’aveu de leur légitimité, ni de la part de l’Eglise, ni de la part des fidèles. Ceux-ci peuvent garder leur foi à d’autres princes, sans manquer à rien de ce qu’ils doivent aux pouvoirs établis. Que leur doivent-ils donc ? Envers un gouvernement de fait, la doctrine catholique reconnaît trois sortes de devoirs, en quoi elle fait consister ce qu’elle appelle l’acceptation du gouvernement de fait, comme tel : premièrement, obéissance aux lois justes ; deuxièmement, contribution aux charges publiques ; troisièmement, collaboration à l’œuvre gouvernementale, sous la double réserve de la conscience et des convenances. Ce sont les trois genres de devoirs qui incombent par exemple aux catholiques italiens à l’égai-d de la dynastie de Savoie, aux Alsaciens-Lorrains à l’égard de la domination germanique, aux Irlandais nationalistes à l’égard du gouvernement de Londres, aux Polonais à l’égard du roi de Prusse ou de l’empereur de Russie, etc. Ces devoirs n’interdisent pas aux citoyens de s’employer à restaurer le gouvernement de droit, même par un coup de force, si ce coup de force a |iour lui l’aveu du prince légitime et des chances sérieuses de succès. A bien plus forte raison, sont-ils compatibles avec le recours aux moyens légaux.

Voilà l’enseignement unanime de l’Ecole sur les devoirs du citoyen envers le gouvernement de fait. On pourrait alléguer ici tous les théologiens, anciens ou modernes, qui ont traité de la question classique du souverain usiu-pateur (t)rannus in tiiiilo). CeSi étant, on voit dans quel sens doit s’interpréter cette phrase d’une portée universelle, écrite par Léon XIII dans l’Encyclique An milieu des sollicitudes : « Soit donc que dans une société il existe un pouvoir constitué et mis à l’ccuvre, l’intérêt commun se trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour cette raison, l’accepter tel qu’il est. » Cette règle doit s’entendre sous le bénéfice des explications ci-dessus. De même que pour l’interprétation d’un texte de loi ou de jurisprudence la science du droit n’est pas superflue, de

même certains enseignements pontificaux veulent être interprétés à la lumière des principes théologiques d’où ils s’inspirent, et de la doctrine traditionnelle qui les encadre. Veut-on d’ailleurs un témoignage irrécusable de la signification que Léon XIII lui-même attachait à ses propres paroles ? On peut le prendre dans le commentaire quasi ofiiciel, écrit, on peut le dire, sous la dictée du Pape, par son historiographe, Mgr de T’Serclæs. Parlant des principes qui régissent l’acceptation du gouvernement de fait : « Les catholiques sont libres de juger que le gouvernement républicain, tel qu’il existe actuellement, est en soi illégitime et que les règles de la transmission du pouvoir sont seulement suspendues. Le Pape leur reconnaît même formellement le droit de juger que la monarchie est la forme de gouvernement qui convient le mieux à la France. Il n’est pas douteux qu’en vertu de ces principes, les monarchistes auraient également le droit de provoquer légalement un changement de gouvernement, soit par la revision de la constitution, soit d’autre manière. Bien plus, supposé que les titres de tel ou tel prétendant à la monarchie ne soient pas périmés, les théologiens catholiques ne feraient aucune difficulté de lui reconnaître le droit de faire valoir ses titres, même par la force, et de permettre à ses partisans de l’y aider. A une condition cependant : c’est qu’il j’eût un espoir fondé que la tentative ne tournât pas au détriment du bien réel du pays. » (T’Skrclæs, Le Pope Léon XIII, t. II. 3cj6-397.)

Est-il permis d’ajouter que d’entendre autrement les devoirs du cilojen envers le gouvernement de fait, et de les identifier avec ceux qui incombent envers un gouvernement de droit, ce serait apparier le fait au droit, ce serait, à rencontre des propositions ôg, ôo’et 61= du Syllabus, ériger en maxime que le fait constitue le droit ?

Pour être complet, il faut encore observer que le plus légitime des gouvernements perdrait sa légitimité s’il venait à se changer en ennemi public, si, au lieu de poursuivre le bien commun, il se retournait contre lui, employant à détruire la puissance qui lui est donnée pour édifier.

M. DE LA Taille.


INTELLECTUALISME. — Le mot d’intelleciuulisinea été fréquemment répété dans les controverses religieuses qui ont abouti à la condamnation du Modernisme ; c’était, dans la bouche des novateurs, un terme de reproche à l’égard de la philosophie et de la théologie traditionnelles. A ce titre, le mot a trouvé place dans l’Encyclique Pascendi ; à ce litre encore, il doit figurer dans le Dictionnaire apologétique.

LiTTRK définissait l’Intellectualisme : « Doctrine métaphysique d’après laquelle tout dans l’univers est subordonné à l’intelligence » (Dictionnaire, Supplément, 1886, p. ao2). Dans les discussions philosophiques et théologiques, depuis une vingtaine d’années, le mol a été pris d’ordinaire dans un sens spécial, généralement péjoratif, et qui n’a pas, nous le verrons, de liaison nécessaire avec cette première acception : il désignait la doctrine, implicite ou avouée, de Vuniverselle compétence et suffisance de la pensée conceptuelle et discursive : on pourrait dire encore : la doctrine qui se représente toute réalité sur le type d’une a chose », entendant par « chose » l’objet propre du concept, ce qui est vu tel qu’il est quand il est conçu (eus concretum quidditati materiali, dans la langue scolastique).