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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/541

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INTELLECTUALISME

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la doctrine d’après laquelle rintcllijjence peut connaitie ce qui est Luther iind Luthertum, t. II, p. 298 et 2y9, note 3).

C — Miiis si c’est une erreur mortelle (c de sacrifier In valeur objective de la connaissance concepluelle, n’eu est-ce pas une aussi que d’îj^uorer l’activité du sujet, et de nier toute immanence de l’appétition dans le concept ? Contre cette nuitiltition se sont élevés avec vij ; ueur, depuis une vingtaine d’années, des philosophes chrétiens cotés « anti-intellectualistes ». M. Blo.n’DEL condamne ii une conception générique, dont l’idéalisme et le réalisme sous toutes leurs formes variées ne sont que des espèces hybrides, et qu’on peut nommer Vu intellectualisme » : elle se réaume [dit-il] en cette erreur fondamentale. Lq fa il de : pensée y est pris en lui-même, séparé do Vacie même de penser u [L’illmion idéaliste, extrait de la Revue de Métaphysique et de Morale, nov. 1898, p. ly. — Cf. du même auteur, Lr Point de départ de la recherche phitospphifjue, Annales de philosophie chrétienne^ t. CLII, p. 232).

I. Intellectualisme contraire â la foi. — La doctrine qui alBrnie l’absolue snllisance de la pensée humaine, conceptuelle et discursive, en matière morale et religieuse n’est pas autre chose que le rationalisme sous sa forme la plus crue. Dire que tout est explicable par la raison, c’est nier les mrsijres et la révélation divine, c’est donc clairement se mettre en contradiction avec la foi. — L’Eglise, en ellet, n’enseigne pas seulement que la vérité connue ne suffit pas pour bien vivre, que la pensée n’est pas suffisante au salut (mais qu’il faut en plus la grâce divine à la volonté), par où elle s’oppose à l’Inlelleclualisme absolu (auquel on pourrait rapporter, moyennant quelques précisions, les systèmes de Spinoza et de Hegel). L’Eglise enseigne encore que, pour la connaissance de la vérité nécessaire (et insuffisante) au salut, la raison naturelle est impuissante, et que cette vérité cachée en Dieu a été révélée aux hommes par son Fils incarné pour leur salut.

Ehilre les diverses formes de rationalisme toutes incompatibles avec la croyance à la Révélation, on appelle quelquefois plus particulièrement intellectualisme celle qui atteignit son apogée vers le milieu du siècle dernier, et qui, pour résoudre l’énigme du monde, pour donner le dernier mot de l’être, faisait confiance non plus en général à la Raison (comme au XVIII’siècle), mais plus spécialement à la Science, c’est-à-dire à un système de connaissances rationnelles édifié sur l’élude méthodique de la nature matérielle et de l’histoire. IIe.na> jeune fut un des chefs les plus écoutes de ce mouvement, dont son naturel scepticisme l’empêcha d’ailleurs de partager en tout les illusions. L’aboutissement dogmatique de ce courant d’idées, c’est proprement la métaphysique de Taixb : la réalité réelle est constituée par des « faits » et des « lois », et tout l’être est gouverné par un <i Axiome ». Nous n’avons pas ici à réfuter cette métaphysique, mais à dire seulement quelle en est l’illusion fondamentale, conformément au but particulier que notre litre définit.

La défaveur dans laquelle est tombée de nos jours cette métaphysique de r « Intellectualisme » (étroitement apparentée à l’atomisme en cosmologie, et en psychologie à l’associationisme), semble dispenser sur ce point la doctrine catholique de toute « apologie ». En dehors même du monde spécial des philosophes et des théologiens, on a très bien senti ce qu’avait

« l’arbitraire et d’étroit la prétention d’appliquer à la

connaissance de l’ànie les principes propres des sciences qui concernent les choses matérielles. « L’erreur de rintellectualisme, écrit à ce propos M. Bourget, réside précisément dans l’application à des phéno mènes d’un certain onlre, de méthodes qui convenaient pour d’autres. » (Pages de Critique et de Doctrine, t. II, p. 313.) La critique plus technique et plus serrée des philosophes anti-intellectualistes a également ici, dans une large mesure, travaillé pour la vérité. En montrant que (a connaissance conceptuelle n’est jamais épuisante, elle a prouvé à nouveau, contre l’hégélianisme, que le concept ne peut être l’organe de la connaissance absolue. En montrant que le concept est essentiellement relatif à notre nature bornée d’animaux raisonnables, elle a fait voir, contre Taine, que la réalité absolue ne peut consister en

« faits » et en « lois », essentiellement corrélatifs du

concept ; elle a pareillement dissipé la chimère de l’Axiome éternel. On peut même espérer, semble-t-il, que cette idée de la relativité du concept, pénétrant encore davantage, finira par rendre intolérable à l’intelligence philosophique contemporaine le Panthéisme classique, qui consiste à se représenter l’Etre suprême comme une grande « Chose », ce qui est lui imposer en fait les conditions du concept. (Çà et là cette réaction s’esquisse dans certains essais de polydémonisme, assez irrationnels au reste en ce qu’ils ont de constructif, mais intéressants parce qu’ils sont à l’antipode de la métaphysique « scientifique 1) d’autrefois.) Il se peut que ce mouvement critique, s’il se poursuit, ramène les esprits vers la vraie notion de Dieu, Esprit vivant et personnel. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’entre l’agnosticisme, le « mobilisme » moderne, et le dogmatisme catholique, l’intellectualisme à la mode de 1860 a vu de nos jours sa place se rétrécir singulièrement’.

Cette critique moderne de l’intellectualisme, qui, sur plus d’un point, a dépassé les bornes, prolonge, dans ses parties légitimes, les vues des penseurs catholiques, et particulièrement les principes de saint Thomas, sur les rapports de la science, de la raison humaine, et de la vérité religieuse. On peut résumer ces principes, pour ce qui touche la question présente, en deux assertions capitales. Première assertion : la métaphysique ne dépend pas, per se, des sciences. (La raison en est que la métaphysique a pour objet l’être comme tel, tandis que chaque science a pour objet l’être qualifié, déterminé d’une certaine façon, pris dans telles ou telles conditions à l’exclusion de toutes autres. Il s’ensuit cette conséquence, que le progrès des sciences ne fait pas avancer nécessairement et directement la question de la Réalité suprême, la question de Dieu, puisque les sciences rendent raison des différentes qualifications des êtres, mais que la Réalité suprême est celle qui explique l’être comme tel) Deuxième assertion ; la Héalité suprême n’est pas vue telle qu’elle est par le concept (voyez saint Thomas sur la vision de Dieu, par ex. I" p., q. 1 2, a. 1 1 ou Contra Gentiles, lll, 45-4^). Ces deux assertions sont d’une importance e.vtrême, et, dans l’intérêt même de la conservation de la foi, on n’en saurait être trop intimement convaincu.

II faut se réjouir, sans doute, que la pseudométaphysique scientifique soit en baisse ; il ne faut cependant pas oublier qu’un changement de vent peut la remettre en vogue, le penchant à interpréter le monde en termes de « choses » proprement concevnliles étant profondément enraciné dans lesprit huni.iin. Ces derniers temps, d’âpres et justes critiques du mobilisme universel se sont fait jour ; un rationalisme sain paraît retrouver de la faveur en plusieurs domaines, en critique littéraire, par

1. Le programme de l’ancien intellectualisme et son opposition nu mobilisme contemporain sont clairement définis par.Iacob contre M. Le Roy dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1898, p. 170-201.