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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/625

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JEAiNNE D’ARC

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demanda un délai à ses juges. On ne le lui refusa pas. Le 31 mars, samedi saint, l’cvêqv.e de Beauvais, Jean Lemaiire et neuf assesseurs ou tiinoins se rcmlirent dans sa prison et entamèrent une vraie discussion tlicolopique. A la subtilité de ces docteurs, la prisonnii-re opposa cette réponse d’un lion sens inatlaqualile : — "Je ne refuse pas de me souniettre à l’Eglise, mes Voix ne m’en dissuadent [las ; mais notre sire Dieu premier servi. » (Procès, t. I, p. 3-25,

324.)

Kn cette semaine sainte. Jeanne avait demandé à faire la communion pascale avec l’habit qu’elle portail. Le tribunal le lui refusa : il mit à la permission la condition qu’elle reprendrait l’habit de femme, n Je n’ai pris Ibabit d’homme, répliqua la prisonnière, que par commandement de Notre.Seigneur. Je ne le quitterai pas sans qu’il me le permette. Mais si Nolre-Seiijneur le demande, il sera tantôt mis là. » (Prjcis, t. I, p. igi-ig3.)

/.es il’uize articles. — Consultation de V i’niversitc de l’aris. — Les soixante-dix articles du Réquisitoire étaient trop nombreux, en contradiction trop ouverte avec le textedesinterrogatoiresqu’ilscitaienl à chaque page ; ils sentaient trop le dédain de la vérité et le parti (iris, pour que l’évcque de Beauvais fut sati-ifait de cet acte d’accusation. Il résolut donc de réduire ces articles à douze et de les présenter sous forme théorique plutôt que sous celle d’exposition de faits et de récit. Ce travail fut cnn(ié aux docteurs de Paris Jacques de Touraine et Nicolas Midi. Ils l’exécutèrent en quatre jours.

Le 5 avril, l’évcque de Beauvais et le vice-inquisiteur envoyaient à un certain nombre de docteurs, licenciés, bacheliers en théologie et en décret. présents à Rouen, les douze nouvelles propositions. Dans le milieu d’avril, quatre des six docteurs de Paris prenaient la roule de la capitale et allaient soumettre ces mêmes propositions aux maîtres de l’Université. Les maîtres de Rouen, sauf un tout petit nombre, d’une part, l’.-i’/Hia « la^er de l’autre par l’organe des facultés de théologie et de décret envoyèrent des réponses qui concluaient à la culpabilité de l’accusée.

Voici, du reste, en regard de chaque article, quelles furent les qualifications de l’Université. i° Les Voix et apparitions de l’accusée. — Fictives, mensongères, inspirées par les démons Bélial, Satan. Béhémoth. 2° I.e signe du roi. — Mensonge attentatoire à la dignité des anges. 3° Les l’isites de saint Michel et des saintes, foi de la Pucelle à leur réalité. — Croyance téméraire, injurieuse aux vérités de la foi. 1, ° l.c s prédictions de Jeanne. — Superstition, divination, jactance. 5° L’habit d’homme, — Blasphème, violation de la loi divine et des sanctions ecclésiastiques. 0" Les lettres de l’accusée. — Elles la peignent traîtresse, cruelle, altérée de sang humain. 7° Le départ pour Chinnn, — Impiété filiale, scandale, aberration dans la foi. 8* Le saut de Beaurevoir. —.Vcte touchant au désespoir et à l’homicide, erreur sur le libre arbitre. ij’Confiance de Jeanne en son salut, —.ITirmalion présomptueuse, mensonge pernicieux. 10° Que saintes Catherine et.Var< ; uerite ne parlent pas anf^lais.

— Blasphème à l’égard de ces saintes, violation du précepte de l’amour du prochain. 1 1° f.es honneurs que Jeanne leur rend. — Invocation des démons, idolâtrie. 12° lie fus de s’en rapporter de ces faits à l’Eglise. — Schisme, mépris de l’autorité de l’Eglise, apostasie, obstination dans l’erreur.

Tandis que l’évcque de Beauvais s’occupait à « bien servir le roi », la prisonnière tomba malade. Grand émoi chez le cardinal <le Winchester et le comte de Warwick. Ils craignirent que la mort ne leur dérobât leur victime. Mandant aussitôt les hommes de l’art, ils leur dirent : « Soignez-la bien. Pour rien au

monde, le roi ne voudrait pas qu’elle mourût de mort naturelle. Il l’a achetée cher. Il ne veut pas qu’elle meure sinon par arrêt de justice, et qu’elle soit briilée. » (Procès, t. III, p. 51.) Les médecins tirent le nécessaire et la malade se rétablit. Il y eut une menace de rechute à la suite d’une scène de violence que lit à la prisonnière le promoteur d’Estivet. Warwick gouruianda sévèrement le promoteur et Jeanne reprit sa santé.

Le 18 avril, Jeanne était assez bien remise pour recevoir dans sa prison la visite de l’évcque juge et entendre de sa bouche une admonition charitable. Le a mai, en présence des juges et de soixante-trois assesseurs, Jean de Chàtillon, archidiacre d’Evreux, adressait à l’accusée dans une salle du château, une exhortation en six points qui résumaient les douze articles. Jeanne persistant à ne faire aucun des aveux qu’on désirait, ni la soumission que réclamaient ses juges, on espéra que la torture viendrait à bout de sa résistance. Le 9 mai, l’accusée comparaissait dans la grosse tour du château devant l’évêque et neuf assesseurs. L’appariteur s’y trouvait avec les instruments d’usage, prêt à lui faire subir la question. Ce jour-là, toutefois, on se contenta de la menace. Le 12 mai suivant, les juges et treize conseillers examinèrent s’il fallait passer de la menace au fait. De crainte que la torture n’amenât cette uiort naturelle dont le roi d’Angleterre ne voulait à aucun prix, à une foi le majorité la décision prise fut négative : tmis.assesseurs seulement se prononcèrent pour l’allirmative, les chanoines Morel.Loiseleur et Thomas de Courcelles.

Le Kl mai, l’évêque de Beauvais donnait publiquement lecture aux assesseurs, dans la chapelle de l’archevcché de Rouen, des lettres qu’il avait reçues de 1 Université de Paris et de divers docteurs en réponse à la coiisiiltalion sur les douze articles. Après avoir pris l’avis de la majorité, il annonça qu’il ferait adresser à l’accusée unedernière admonition charitable, et qu’il prendrait jour ensuite pour prononcer la sentence. Le chanoine Pierre Maurice fut chargé de l’admonition. Jeanre n’en persista pas moins à soutenir ce qu’elle avait dit au procès. Sur quoi l’évêque juge déclara les débats clos et remit au lendemain pour qu’il fut « procédé comme de droit et de raison n.

-4u cimetière de Saint-Ouen le’2'i mai. — Nous voici arrivés au point culminant du procès, à l’acte visé par l’évêque de Beauvais dès le commencement, à la scène concertée pour frapper la Pucelle de la condamnation arrêtée d’avance par le roi d’.

gleterre, et la faire brûler. Contrairement à l’opinion de la généralité des historiens, ce qui se passa le -j !) mai au cimetière de Saint-Ouen ne fut rien de fortuit. Pierre Cauchon n’a jamais parlé jusqu’à présent d’exiger une abjuration de l’accusée ; mais il y a pensé toujours. Sans abjuration, il lui sera ditlicile de porter une sentence capitale. Même prononcée, lexécution pourrait rencontrer des empêchements. .-Vvec une abjuration, apparente ou réelle, il sera facile de provoquer un cas de relaps, apparent lui-même ou réel. Ce cas produit, un procès de rechute s’ouvrira sur-le-champ, et ce procès de rechute aboutira infailliblement au bûcher. Voilà pourquoi, le 2^ mai, au cimetière de Saint-Ouen, il y eut, non pas une sentence terminant le procès de la Pucelle, mais une comédie d’abjuration canonique, suivie d’une condamnation à la prison perpétuelle. Et voilà aussi pourquoi, <|uatre jovirs après, Pierre Cauchon ouvrait un procès de rechute, condamnait le 30 mai Jeanne comme hérétique relapse et la livrait au bourreau.

De fait, il n’y eut d’abjuration canonique ni dans le fond ni dans la forme. Jeanne ne fut mise en