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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/638

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JEANNE (LA PAPESSE)

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si dévoués au siège de Rome, mécontents de Boniface VIII qui était mal disposé envers eux, aient saisi toutes les occasions pour introduire malicieusement le récit scandaleux dans l’iiistoire des papes. La fable est colportée et accueillie, sans malice, même dans l’entourage du pape et par des saints. Martin Polonus avait étépénitencierde cinq papes. L’auguslin Amaury d’Augier (Aiigerii), chapelain d’Urbain V, dédie à ce pape, vers 1362, des yicliis ponlificiim romanorum, où il admet l’existence de la papesse et, à la différence des premiers écrivains qui parlent d’elle, lui assigne un rang dans la série chronologique des papes : ponitur papa ceniesimus decimus. Cf. Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. Ili, p. 591. L’idée fera fortune. Dans l’édition latine de ses vies des papes, De vitisac gestis siimmorum ponti /iciim, Cologne, iS^o, p. 1 19, dédiée à Sixte IV, Platina, bibliothécaire du Saint-Siège, fait de la papesse, qu’il met après Léon IV, le if6" pape ot l’appelle Jean VIII, sauf à donner à Jean VIII, 110’pape, le nom de Jean IX, p. 123. II y a pire : dans la cathédrale de Sienne furent placées, vers i /400, les images des papes, cf. G.Gigli, />/ar(0 senese, Lucqucs, 1728, t. II, p. 43^-^35. Or, la papesse y figure, et ainsi les paiies Pie II, Pie 1Il et Marcel II, qui ont été archevêques de Sienne, ont soull’erl le portrait de cette femme parmi ceux de leurs prédécesseurs. (Florimondde Remond, l’anti-papesse, p. 188-189, supplie le pape régnant de supprimer ce scandale. A la demande de Baronius, Clément VIII obtint du grand duc de Toscane que le portrait de la papesse devînt celui du pape Zacharie, [ 762. Cf. G. Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica, 1845, t. XXX, p. 277.) Le grand défenseur de la puissance pontilicale, Jean de Torquemada, dans sa mémorable Siimma de Kcclesiu, p. ii, l. IV, c. xx, Venise, 1561, p. 39.5, cf. une note de J. Friedrich, dans Doellingcr, Die Papstfalieln, p. 23, n. 3, n’hésite pas à admettre l’existence de la papesse. II en va de même du cardinal Adrien d’Ulrecïit, plus lard pape sous le nom d’.Vdrien VI ; cf. Doellingcr. p. 26. Saint Antonin de Florence, Cltronic, p. ii, tit. xvi, c. i, § 6-7, risque Un doute sur l’existence de la papesse ; manifestement il voudrait pouvoir la nier, il n’ose pas. Le bienheureux Baptiste Spagnuoli, dit le Mantouan, + 1516, Alplionsits, l. III, V. 651-653, lians Prima pars operum Baptiste Manluani, 1607 (non paginé, mais p. 100), décrit les enfers de la sorte :

Hic pendebat tidltitc sexiim nientita virilcm Foemina ciii triptici phrygiant diademate mitram Extollehat apex, et ponti/icalis udulter.

Pendant les xv’et xvi’siècles, dit Cancellieri, Storia de’solenni possessi, p. 238, la légende fut insérée en toute liberté dans toutes les chroniiiiies composées ou copiées en Italie, même sous les yeux des papes. On la trouvait dans les nombreiises éditions des Mirabilia urbis llomae, espèce de guide pour les pèlerins et les étrangers. Il se rencontra un écrivain bizarre, Marins Equicola d’Alveto (Olivetnnus), -f 1539, De mulieribiis (sans lieu ni date, mais la dédicace est datéede 1501), pour prétendre que la Providence voulut que Jeanne occupât le siège papal alin de démontrer que les femmes ne sont pas inférieures aux hommes. Cf. Jean Tixier de Ra^ isy (fiavisius Texlor), -[- iSa/i, Ofjicinæ prima pars, Venise, 15/41. fol. 1/17-148 : il énumère les femmes habitum l’irilem mentitae, et nomme Sémiramis, les saintes Théodora, Marine, Euphrosine, Pélagie, puis Jeanne d’Arc, Joanna gallica. et, en septième lieu, Joanna anglica, dont il résume la légende, sciium est ex cbronicis et a tnaioribus scriptum.

Ce qui se passa au concile de Constance fut encore

plus extraordinaire. Jean Hus, dans son De Ecclesia, c. vii, XIII, avait allégué le fait de la papesse Jeanne, qu’il appelait Agnès, à la suite deRanulphedeHigden, -f vers 1363 (bénédictin à Chester, d’où le nom de Cestriensis sous lequel Hus le désigne). Aucun des Pères du concile chargés d’extraire du traité de Hus les propositions condamnables ne songea à relever les aflirmations relatives à la papesse. A propos de la (luatorzièmc de ces propositions, en plein concile, le 8 juin 1415, Hus déclara que « l’Eglise a été trompée dans la personne d’Agnès », la papesse. Nul ne protesta ni ne fit la moindre réserve. Cf. J. Lenfanl, Histoire du concile de Constance, Amsterdam, 1727, t. I, p. 324-335 ; J. von Hefele, Conciliengeschischte, 2’édit., 1874, t. VII, p. 165, trad. Delarc, Paris, 1874, t. X, p. 356-3.’17. Tant il est vrai que la fable était universellement admise I

B. A PARTIR nu PROTESTANTISME, à) Les catholiques. — Les légendes ont la vie dure. Parce que les protestants s’emparèrent de celle de la papesse comme d’un argument de poids contre Rome, il était inévitable que les catholiques en vinssent à y regarder de plus près et à exercer une critique sérieuse. Il y fallut du temps. A Rome même, des livres parurent qui rééditaient les racontars légendaires ; en 1548 et en 1550, les Mirabilia urbis liomæ les reproduisaient ingénument. Toutefois, des doutes timides furent exiirimés. Déjà ils s’étaient présentés sous la plume de Jacques de Mærlaut, ]- vers 1300, Spiegel hislorical, Leyde, 1857, t. III, p. 220 ; de l’auteur de la première des Vies d’Urbain V publiées par Baluze, Vitne paparum avenionensium, t. I, col. 381, cf. io14 (le doute est moins accentué que Baluze ne l’affirme) ; d’Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur Pie 11, Epislole et yarii tractatus PU securidi, Lyon, 1555, Epist. CCC, contra bohemos et tliaboritas (non paginé, mais p. iSi) ; de saint Antonin de Florence ; de Plalina, le vite de’Ponte/ici, t. I, p. 207 (encore son doute semble-t-il porter non sur l’histoire de la papesse telle que la raconte Martin Polonus, mais sur les détails qui ne sont pas connus par des auteurs certains). Ils se montrèrent à nouveau, sous une forme très modérée, dans Barthélémy Carranza, -|- 1676, Siiiiima omnium conciliorum et l’ontificum, Rome, 1055, p. 734 : Hæc yulgo feruntur, incertis tamen et ùbscuris authoribus. Si peu hardies que fussent ces réserves, c’était trop pour certains esprits, tels que le franciscain Rioche, Chronique. Paris, 1676, fol. 280, qui leur opposait la certitude résultant de la croyance de l’Eglise universelle.

b) Les protestants. — Naturellement les protestants exploitèrent, dans leurs attaques contre Rome, la fable de la papesse. C’est, disaient-ils, un « événement qu’il importe de rappeler fréquemment au peuple dans la chaire et dans les livres, dans les rimes populaires et par les images, pour la honte éternelle de la papauté inventée par l’enfer. Hans Sachs (édit. A. von Keller, Tubingue, 1877, t. VIII, p. 652-G55) avait, dès 1558, offert au public une Histoire ri niée de la papesse Jeanne, Les Centuries de Magdebonrg (commencées en 1559) reviennent trois fois sur ce conte (Centuria /.V. p. 333, 357, 501), et il existe peu d’ouvrages de controverse protestante où il n’ait été reproduit. Même, aux plus grands jours de fêtes, il servait de thème à beaucoup de sermons… Le prédicant de cour Polycarpe Leiser voyait, dans le refus des Jésuites d’ajouter foi à la fable de la papesse Jeanne, la preuve que le mensonge est le signe caractéristique du jésuite… En iSGa, Cyriacus Spangenberg ne se contente pas d’une papesse : « Les pontifes romains, écrit-il, n’étaient souvent, bien qu’extérieurement hommes, que des prostituées >, J. Janssen, L’Allemagne et la liéforme, trad. E. Paris,