Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/699

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1385

JESUS CHRIST

1386

3. — La vie intime de Jésus

177. — On n’approclic qu’avec respect du sanctuaire, sacré chez le dernier des hommes, où s’aflirme parla pensée, le désir, l’amour, le vouloir, où s’exprime par le verbe intérieur l’incommunicable personnalité de chacun de nous. Combien plus, quand il s’agit d’un (le CCS hommes extiaordinairesqui ont entraîné sur leurs traces des milliers de leurs frères, et fourni aix générations suivantes un exem|)le, un idéal et (les leçons ! Au demeurant, l’originalité qui sépare du commun ces hautes figures est d’espèce fort dill’crcnte, bien que tous s’isolent de leur milieu et le dominent plus ou moins. _

Les uns retiennent surtout l’attention par l’élrangeté, le caractère « dilTérent i>, unique, de leurs allures, en contraste frappant avec celles de leurs contemporains. Les autres, les plus grands, se distinguent moins-par la singularité ipie par la supériorité de leurs dons. Ils regardent ce que les autres regardent, et dans la même perspective, mais ils y voient ce que les autres ne voient pas. Leur mérite est en profondeur : ils sont moins dill’érents de leur entourage qu’élevés au-dessus de lui. A ne le considérer qu’humainement, c’est à cette dernière famille qu’appartient sans conteste Jésus de Nazareth.

178. — Sa pensée habituelle se meut dans la sphère familière aux âmes religieuses de son temps et de son pays. Veut-il illustrer sa doctrine en la rendant plus accessible et plus concrète, c’est aux comparaisons, aux paroles scripturaires, aux grands faits et auxgrandshommes de l’histoire d’Israël qu’il recourt. Les sentences bibliques montent spontanément à ses lèvres. Moïse et David, Salomon et la Reine lointaine, Isaie etJonas lui servent d’autorités, de garants, de termes de comparaison. Il n’enseigne pas, certes, comme les scribes, mais la dialectique qu’il emploie, quand il daigne discuter, est celle des maîtres d’Israël, non La dialectiqne de l’Inde ou de la Grèce. Au cas de conscience bizarre et captieux des Sadducéens, ridiculisant la doctrine de la résurrection par l’aventure d’une femme mariée successivement (et légalement) à sept frères, quand les interrogateurs concluent triomphalement : « à la résurrection, duquel des sept sera-t-clle la femme ? Car tous l’ont possédée I)>

… Répoodant, Jésus leur dit : u Vous errez, ignorants que vous êtes et de l’Ecriture et de la puissance de Dieu. . la résurrectinn, ni on ne se mariera, ni on ne donnera en manage, mais on sera comme des anges dans le ciel ! Touchant la résurrection, n avez-votis pas lu cette parole de Dieu : « Je snis le Dieu d’.l)raham, et le Dieud’isaac, et le Dieu de Jacob u.-’U n’est pas le Dieu des morts, mais des virants. » Kl en l’écoutant^ les foules étaient frappées d’admiration par sa doctrine. j1//., xxii, 23-24.

Nous aussi, en lisant ces sublimes paroles. Mais on y entend l’accent authentique d’Israël, et ni Platon ni.ristote n’ont passé par là. Ni même Philon.

179. — Comme sa dialectique, le style de Jésus est marqné à l’empreinte de sa race et de son temps’. Pénétrants et familiers, ses dires ressortissent aux genres littéraires bibliques : on y entend l’écho des prophètes, on y retrouve le tour énigmatique et le sententieux des livres sapientiaux.. mainte reprise, les discours plus étendus prennent même l’allure de strophes, et s’il faut en cela faire la part des évangélistes (la comparaison des textes rapportant les mêmes paroles, dans le même contexte, nous y invite impérieusement) il reste que le moule prophétique

1. Là-dessus, entre autres, P. B.VTtn-OL, L’Enseignement de Jésus’, Paris, UI05 ; Alfred Durand, Pour qu’on lise i’Erantfile, dans les Etudes, du, î juillet 1U12.

fut sûrement celui où coula le plus souvent le pur métal de la parole du Maître. Quant à ses aphorismes et discours familiers, la sagesse d’Israël y est justifiée par l’emploi de ses procédés classiques : allitération, comparaison, parallélisme :

« A qui comparerons-nous cette geat.’— lille est pareille

à lie petits enfants assis sur les places et se criant les uns aux autres :

« Nous avons chanté et vous n’avez pus dansé.

Nous avons pleuré et vous n’avez pas gémi. »

Vint en effet Jean, ne mangeant ni ne buvant, et l’on dit : « Il est possédé ! u

Vint le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : c(’oici un glouton et un buveur ! » Mt, , xi, 16-20.

S’agit-il de décrire l’angoisse des derniers jours et la crise précédant l’avènement délinilif du Règne de Dieu, le style des apocalypses qui s’était, depuis les grands prophètes, imposé à ces tableaux, se retrouve dans les discours du Maître.

» ( Comme l’éclair part de rOricnt et brille jusqu’à l’Occident, telle sera l’apparition du Kils de l’iiomme : où gît le cadavre, se rassembleront les aigles. Et aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil s’obscurcira, etc. » Mt.^ xxiv, 27 sqq.

Suivent des citations textuelles, prises des apocalypses d’Isa’ie, de Daniel, de Zacharie.

180. — Jusque dans la partie la plus originale par la forme qu’y revêt son enseignement, dans ce genre parabolique, qu’il n’inventa pas’, mais qu’assurément il aime de préférence et pousse à sa perfection, Jésus reste Israélite, et Israélite palestinien. Allégorie ou fable ou (c’est le castrés souvent) subtil mélange des deux, ses paraboles se déroulent selon les lois de la pensée sémitique. Sous la plume du plus hellène, du plus « humaniste » des évangélistes, les paraboles les plus touchantes ou les plus tragiques, l’Enfant prodigue, les méchants Vignerons, restent encore, par leur absence de composition, apparentées à la littérature de Sapience, dont elles sont la fleur la plus exquise. Ces beaux récits se développent par plans réguliers, plutôt lentement, sans autre enchaînement que la suite des faits, sans aucune péripétie, sans la recherche d’un effet dramatique quelconque. Tout le pathétique est dans les choses.

181. — Mais autant que l’ordimnauce, c’est le matériel des discours de Jésus, les mots et les images, qui sont exactement ceux qu’on pouvait attendre d’un prédicateur galiléen^. Le monde qui se reflète dans les paraboles et les entretiens du Maître n’est pas celui d’un visionnaire, d’un homme abstrait ou d’un livresque. Un développement spirituel intense tend parfois (on l’a noté de saint Bernard) à émousser le sentiment concret ou esthétique des choses visibles. On n’a pas à regretter cette lacune dans le Sauveur ; François d’Assise ne fut pas plus ami de la nature. L’Evangile en témoigne à chaque page. C’est toute la Galilée d’alors qui s’y reflète, avec ses deuils et ses fêtes, son ciel et ses saisons, ses troupeaux et ses vignes, ses moissons et l’éphémère parure de ses anémones, son beau lac et la robuste population de ses pêcheurs et de ses cultivateurs aisés. — Le monde extérieur existe pour Jésus : il n’est pour lui ni un

1. Lii-dossus Paul Kifbiiî, AUiuediscbe Gleic/inisse und die Gleieltnisse Jesu, TuhiDgen, 1904.

2. Quelques remarques peuvent servir dan » les articles du Dielionary of Christ and llie Gos/n-h, s. v. Animais, I, p. r.2, B-( ; y, B (H. g. Wood) ; Illustralions, I, p. 770, B-778, A (R. Glaister) ; ilelaphors. 11. p. 179, A-181, B (C..M. CoBEBN) ; Poet, U, 372, A-377, (A. J. Kelma.n).