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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/714

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JESUS CHRIST

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« suspendre », ou de « contredire » les lois naturelles, 

ont pour résultat de les oontiruier en les dirigeant, en les combinant, en exaltant leurs efforts pour des uns supérieures. Constructeur d’aéroplanes, je profite des lois d’inertie, d’équilibre, de résistance, pour un résultat qui peut sembler, au regard superficiel,

« suspendre » ou « contredire » ces mêmes

lois. Médecin, je canalise, je suscite, j’active des forces vivantes, subordonnées en une certaine mesure à ma libre intervention, mais qui conservent, nonobstant cette intervention, leur direction, leurs façons d’agir, leurs imperfections, leur automatisme foncier. 239. — Delà vient que l’efiicacitéde mon intervention — de toute intervention humaine — est fort restreinte. Le monde matériel est plutôt surpris par ruse et artifice, que soumis et dompté par force. Nous connaissons, pour nous y être souvent meurtris, ces bornes étroites de notre pouvoir, et l’expérience bumaine est faite de millions, de milliards de constatations uniformes. Avec de la farine, de l’eau et du feu, dans certaines conditions et à travers bien des peines, nous pouvons faire du pain : nous ne pouions pas nourrir, avec « cinq pains d’orge et quelques petits poissons », des milliers de personnes alTamées. Contestez le fait, si vous le pouvez, à la bonne heure 1 S’il est constant, il dépasse les forces humaines.

Il y a de même certains enchaînements, certains déroulements d’effets qu’on peut qualifier d’irréversihles, parce qu’aucune force naturelle ne peut en suspendre le cours, et bien moins le renverser. Telle altération physiologique met par exemple un organe, condition du consensus vital, en un tel état de perturbation, de dissolution qu’il n’est plus au pouvoir de personne de l’arrêter. Quand la série de ces morts partielles s’est propagée jusqu’aux centres de coordination, de nutrition, d’équilibre, ce sera la mort dernière, la « mort sans phrases ».

L’expérience faite par tant de générations d’hommes, placées dans les conditions les plus diverses, a permis ainsi d’assigner une limite à l’intervention eflicace des forces humaines. Limite impossible à préciser dans son dernier détail, mais certaine. Expérience qui enlève toute probabilité sérieuse à l’hypothèse du renversement naturel de certains processus de dissolution, parvenus à un point donné. On ne ressuscite pas un mort, on ne guérit pas en un instant un organe physiologiquement, profondément lésé, des tissus dont la réfection exige (après les « éraonctions « nécessaires) l’apport, l’élaboration sur place, dans des conditions très instables, de centaines, de milliers de cellules différenciées. Or on peut vérifier souvent, de façon à écarter tout doute sérieux, la mort réelle, l’altération physiologique réelle. Les phases de ces divers phénomènes, et celles des réfections inverses, ont été étudiées avec une patience et une finesse admirables, ipii rendent naturellement inconcevables, en beaucoup de c.TS, les circonstances exigées par un retour soudain à In vie ou à la santé.

S40. — S’il s’agit de forces humaines spirituelles ; enthousiasme, patience, etc., les limites, pour être moins ap|>arpntes, n’en sont pas moins réelles et. en gros connaissables.il est très dilficile de localiser dans telle couleur certaines raies du spectre solaire ; pour d’autres, le doute serait déraisonnable : elles coupent netiement la zone verte ou la rouge.

Cependant tous ces agents naturels, bruts 0)i vivants, automatiquement mis en branle ou capables de choix, tous ces agents dontl’inertie on la faiblesse s’opposent victorieusement aux interventious humaines, restent soumis ; i une Puissance plus haute, qui peut en majorer l’etlicacité et en concentrer l’énergie. Non certes que Uieu, par uue intervention arbi traire, veuille l’impossible, réalise l’inconcevable, puisse faire penser une pierre ou contredise une loi dépendant d’essences qu’il a voulues telles. Mais, pour des Uns spirituelles dont il est juge, Uieu pourvoit l’homme élu, le thaumaturge, d’une force qui lui permet de maîtriser, de concentrer, d’accélérer, de suppléer telle ou telle activité naturelle. Cette plaie qu’il faudrait normalement des semaines, ou des jours, pour fermer, se guérit par la formation iustanlanée d’un tissu sain ; cet équilibre vital que le corps n’avait pu maintenir est derechef rendu possible, el restitué, par un changement extraordinaire des éléments corporels. Ces débiles volontés humaines, femmes, enfants, pauvres ignorants, bénéficient d’une sorte de confirmation qui les rend supérieures à toute épreuve. C’est eu présence de faits semblables qu’étonnés, admirant la disproportion fiagrante entre les causes naturelles actuellement appliquées et la grandeur de l’effet, nous crions au miracle : « Ihi esl Jleiis tuus ? Les miracles le montrent et sont un éclair’. »

S41. — Transcendance spiriUielle du miracle. — Toutefois, nous ne le ferons avec une conviction éclairée que si, à côté de la transcendance corporelle (nous venous de la préciser), le fait merveilleux se pare d’une autre transcendance. Il faut que sa teueur et son orientation permettent de l’attribuer à la sagesse et à la bonté suprêmes. Il faut que le signe ne soit pas indigne de celui qui daigne s’en servir. Assurément, on ne lui demandera pas une perfection qui risquerait d’arrêter et d’absorber l’attention sur lui-même. Dans ce cas, l’esprit serait en danger de ne pas aller plus loin, de ne pas percer jusqu’à la chose signifiée. Il reste pourtant que le signe ne doit pas seulement être approprié au sens qu’il doit suggérer, mais digne, par le sérieux et la bonté morale des actions qui le constituent, de convoyer cette haute signification.

242- — C’est pourquoi le prodige devra se présenter sous des dehors de décence, de convenance, de moralité qui l’autorisent comme œuvre divine. Tout ce qui sentirait la fantasmagorie, le prestige, le a truquage » ; tout ce qui favoriserait l’orgueil, la sensualité, l’égoïsme du thaumaturge- ; tout fait qui s’insérerait dans un contexte grossier, coupable, puéril (les exemples abondent dans les évangiles apocryphes et, plus encore, dans les « miracles » du Bouddhisme indien-’), ou même tout phénomène bizarre, isolé, sans attache perceptible avec un attribut divin ou un intérêt religieux majeur — tout cela devrait être dédaigné, ou du moins suspect, quand il s’agit de miracle. Fermement maintenues, ces exigences permettent d’écarter une diflîcultt’subtile touchant l’interprétation des signes divins

« Admettons, dira quelqu’un, que tel phénomène

dépasse les forces humaines : il n’est pas démontre pour autant qu’il faille l’attribuer aune force divine. Des puissances surhumaines, spirituelles, bonnes ou méchantes, sont concevables, dont l’intervention

1. Pasi : ai. Pensées, éà. Brunschvicg mo/or, III, p. 283.

2. On sait que nombre des « révélations » faites :. Mahomet pendant la période finalede sa vie, à Médine, vont à jiistifiiTses crimes, la violalion de ses propres lois su’le inaviag^e. etc. Il s’en accuse loi-mème dons le Coi-an. Voir H. La.mmfns, Ma/iomel fut-il sincère ? dans les Recherches de science religieuse. II, Paris, 1911, p. 2ôsqq., HO sqq.

3. Voir H. Kp.RN. Histoire du Bouddhisme dans I Inde. tr. tv. 0. Hnet, Paris, 1901, 1902, I. p. ".’îsqq. — Il fart d’aillfuis tenir compte en tout cela de l’état des esprits et des mœurs : rudesse n’est pas grossièreté, simplicilê n’est pas sottise.