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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/716

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JESUS CHRIST

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coup sur les événements). « On prend ici sur le fait dans sa brutalilé, réplique M. Henri MonmrrI, le procédé de la critique négative : il n’y a pas de prophétie ! » Dès lors ces historiens, asservis à leurs préjugés d’ordre philosophique, no s’arrêtent pas au fait que ces prédictions saturent vraiment la matière synoptique, où elles font partie intégrante de traits d’une historicité incontestée. En vain leur représentera-t-on que les tenir pour inauthentiques « équivaut à tout rejeter dans l’Evangile - >.

348. — Le siège des critiques radicaux est fait : ces prophéties doivent être réduites à l’état d’interpolations postérieures, tendancieuses. Les évangélisles

— je résume ici M. A. Loisv, qui peut servir d’exemple 3 — auront voulu répondre aux préoccupations des premières générations chrétiennes. Il fallait que le Christ eût prévu sa mort ; il fallait exi>liquer que les disciples avaient été lents à comprendre le mystère de cette mort ! Aux questions ainsi soulevées, Marc aurait cherché des solutions dans la doctrine de saint Paul, dont il était un disciple ardent jusqu’au fanatisme. Les notions pauliniennes, mises en style direct sur les lèvres de Jésus, auraient pris la forme des prédictions que nous lisons actuellement dans le second évangile. De là, elles auraient passé dans les autres.

Cet étonnant échafaudage d’hypothèses montre, pur un bon spécimen, les vices à la fois et le spécieux de la méthode empruntée par M. Loisy à certains critiques libéraux, et qu’il manie avec une virtuosité singulière. (In ne se demande guère si ces conjectures, prises d’ensrmhle, restent vraisemblables, sont compatibles avec ce qu’on sait d’aillenrs sur les évangélistes, rentrent sans le faire éclater dans le cadre des faits certains. Il sulTit que chacune, à son heure, paraisse à la rigueur possible, et que le tout réponde au besoin senti d’élimination, d’expurgation des textes gênants. Il serait trop malheureux que non, l’hypothèse étant précisément conçue pour cela ! Dans l’espèce, chaque anneau de la chaîne conjecturale est hautement suspect : rien ne permet de prêter au second évangéliste cette insincérité, cette habitude de tranquille (et trop habile) inconscience. Si Marc a pu créer et interpoler de tontes pièces cette série de déclarations détaillées, situées, circonstanciées, il n’est rien qu’on puisse tenir pour certain dans la tradition évangélique — et, de cette conclusion, personne ne veut, M. Loisy pas plus que les autres.

D’autre part, le « paulinismc > de Marc, si l’on entend par là quelque chose de plus que l’tisage de certaines formules créées ou employées par l’Apôtre pour exprimer des notions traditionnelles dont la tr.-iduction en grec s’imposait à tous, est une hypothèse sans fondement solide dans les textes. La théologie de Paul sur la mort rédemptrice de Jésus est le développement systématisé de ce qui se trouvait en geryie dans les prophètes, en particulier dans Isaïe, et surtout de ce que le Seigneur Jésiisavait clairement enseigné. Que l’Apôtre fut sur ce |)oint tributaire de la plus ancienne tradition chrétienne, et en parfait accord avec la catéchèse des Douze, il l’allimie explicitement dans sa première épître aux Corinthiens. La mort du Christ pour nos péchés (în Xiutô ; « Trîto.vEv

1. La Mission fiisloriquf de Jrsus", Paris, l’.n4, p. 2rt3, note 4.

2. Ibid., l>. 3C, 3.

3. Ils Evanj^iler synoptiques, Ccffoiifis, lOOS, 11, p. IC, 60, 233 et passim

4. Ceci nicmp ii’eit nucuncinenl jirmivé. Voir là-dessus E. MANr.rNOT, le l’auli.’ilsme tir Mure, dans flei’ue ilii elerpé fratuais. l : > noùl. l."> cxlobre, 1" noTcnihrc l’.lO.’i ; M. J. Lacrangi-, Ki’angilc selon saint Marc, Puris, 1911,

p. CXL-CL.

ÙTT’p Tûv à/itxpTi&j hy’M) est mentionnée comme faisant partie de l’enseignement primitif, essentiel, reçu par Paul à titre de tradition (-y.p : Su/.-A…i zai tt^^ é/c/.C ») et prêché par lui comme indispensable, en conformité avec Céphas, Jacques, les Douze, tous les apôtres

(£(T ; OJv ly’Jt airs èxitvoi, OJTW ; xr, &J770p.iy)K

S49. — De cette doctrine de la Rédemption, préexistante à Paul dans la communailé et noyau de la catéchèse apostolique, ce sont justement les idées fondamentales que nous trouvons dans saint Marc : les développements théologiques ultérieurs, particuliers à saint /’ «  « /, ne s’y rencontrent pas, et c’est bien plutôt dans le troisième évangile qu’on en trouverait trace. Ni l’eilicace de la Rédemption appréhendé et approprié « par la foi », ni le changement d’économie substituant la foi à la Loi, ni aucune des modalités

« pauliniennes » dans la façon de présenter le mystère

n’a même un commencement, une amorce dans le second évangile^.

SSO. —.insi, pas une des conjectures de M. Loisy ne résiste à l’examen. Toutefois on lui ferait la part trop belle en restant sur ces détails. C’est l’ensemble des paroles du Christ qu’il faut maintenant citer ; le lecteur pourra voir quel degré de probabilité reste à l’hypothèse qui tient ces paroles pour des interpolations, des infiltrations, des retouches de seconde main dues à un biais doctrinal. Dès le début Jésus envisage le fait de sa mort et les conséquences qui en résulteront pour les siens : ses réflexions, ses paraboles, ses attitudes même concordent avec les prédictions proprement dites et les complètent en les éclairant. Qu’on en juge 3.

Les Pharisiens et les disciples de Jean avaient accoutumé de jeûner. Ils vinrent donc [vers Jésus] et lui dirent : Pourquoi les disciples de.lean et ceux des Pharisiens jeùnenl-ils, et les vôtres, pas ? » El Jésus leur dit :

« Est-ce que les garçons d’honneur’peuvent jeûner à

l’heure que l’Epoux est avec eux ? Tout le temps qu’ils ont l’Epoux avec eux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront que l’Epoux leur sera arraché et alors ils jeûneront en ce jour-là M. Me., ii, 18-21.

En termes voilés que l’avenir se chargerait d’éclaircir, Jésus compare son séjour ici-bas aux brèves solennités des noces palestiniennes : ses disciples ne doivent songer qu’à profiter de sa présence, sans se soucier actuellement de rien autre. Le Maître ne leur sera enlevé, arraché (à.TMfihr, à-n’mrCfj) que trop tôt ! Alors il sera temps pour eux de faire pénitence. La perspective de la catastrophe est ouverte par ces mots profonds, qui ménagent la lumière aux yeux encore faibles. Mais le jour est proche et l’évangéliste nous montre dès lors les pharisiens et les partisans d’Hérode en conciliabule (ni, 6) pour perdre Jésus.

251. — Cependant, quand la foi des disciples est plus alTemiie, le Maître n’hésite plus à parler sans

1 I C"r.. XV. 1-12. Voir Ferd. Prat, La T/ieulo/^ie desaint Pant, 11, p. lil, sqq. ; Paul FriNT, Tlieologie des Siiien Testaments, Leipzig, 1910, p. 207 : 385 sqq.. surtout 388.

2 M. J. Lagrange, Evangile selon saint Mn-e, p. < ; xi.iv. sqq.

3. Dans la traduction de ces passages, comme sotneut ailleurs, j’ni donné son sens réel au « présent historique i’, si familier à saint.Marc. On peut consulter J. H. Moi i.ton. A Grnmniar of New Testament greel.-, Edinburgli, 1906. p. 12U-121 ; et surtout J. Kviii.r<%, Iloræ synoplicae^, Oxford, 1909, p. 143-154.

4. Littéralement : o les fils de la chambre nuptiale », les jeunes gens, amis et habiluellemenl parents de l’époux, ()iii lui tenaient compagnie pcudunl les fêtes des noces. — Sur l’expression arumécnne, M. J. Lagrange, ICiangile selon saint MarCj p. 42.