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H.E., I, vii. Or, voici à quoi se ramènent les renseignements fournis par Hégésippe.

Jacques, le frère du Seigneur, surnommé le Juste, prit avec les Apôtres, le gouvernement de l’Église de Jérusalem II, xxiii). « Après que Jacques le Juste eut été martyrisé pour la même cause que le Seigneur ; à son tour, le fils de son oncle paternel, Siméon, le fils de Clopas, fut constitué évêque (de Jérusalem) ; à l’unanimité on lui donna la préférence, à cause qu’il était un autre cousin du Seigneur » IV, xxii). Ce même Siméon fut crucifié sous Trajan (98-117), âgé de cent vingt ans. De son grand âge, Eusèbe conclut qu’il avait bien pu voir et entendre le Seigneur : d’autant plus, ajoute-t-il, qu’il est question, dans l’Evangile, d’une Marie (femme) de Cléophas (= Clopas), de laquelle Siméon est né. A cette même époque, survivaient d’autres parents du Seigneur, notamment les petits-fils de Jude « dit le frère du Seigneur selon la chair » III, xxxii ; cf. xi et xx). Déjà, sous le règne de Domitien (81-96), on les avait trainés devant le tribunal impérial, comme étant descendants de David et parents du Christ ; mais l’empereur avait donné l’ordre de les relâcher, estimant que ces paysans ne faisaient courir aucun danger à son autorité sur la Judée III, xx).

Aux textes de Josèphe et d’Hégésippe, des auteurs joignaient volontiers un fragment présumé de Papias de Hiérapolis. On reconnait assez généralement aujourd’hui que le document n’est pas authentique. Cf. dans Migne, P. G., V, 1261-1262.


II. Les explications.

1. L’appellation de « Frères du Seigneur » devait être, à l’origine, comprise de tous. Il n’y a pas trace de divergence ni surtout de discussion à ce sujet, jusque vers la fin du second siècle.

La première explication du terme se rencontre dans Hégésippe, qui du reste n’a pas la prétention de résoudre une difficulté, mais seulement de dire ce que tout le monde savait. Siméon fut choisi pour succéder à Jacques sur le siège de Jérusalem, parce qu’il avait l’avantage d’être un autre cousin du Seigneur. Or, Jacques est couramment appelé par Hégésippe le frère du Seigneur. C’est donc que, sous sa plume, les deux expressions sont équivalentes. Du reste il nous apprend que Siméon est cousin de Jésus par son père Clopas.

Par la teneur des textes, comme aussi par la manière dont Eusèbe les utilise, il est manifeste que Jacques et Siméon restent, aux yeux du chroniqueur palestinien, identiques à ceux des mêmes noms qui sont énumérés dans l’Evangile parmi les Frères du Seigneur. A-t-il pensé que ces deux personnages étaient entre eux frères plutôt que cousins ? Les rares fragments d’Hégésippe qui nous sont parvenus ne permettent pas de faire à la question une réponse catégorique. Il est certain qu’il ne donne jamais à Siméon le titre de « frère de Jacques ».

Le même auteur écrit encore de Jude : « Celui qui était dit le frère du Seigneur selon la chair. » Si Jude avait été le frère de Jésus au sens strict du mot, pourquoi faire observer qu’on l’appelait son frère ? La chose allait de soi. Dira-t-on qu’entre tous les Frères du Seigneur Jude était le plus en vue, et qu’à ce titre on lui donnait par antonomase le nom de ἀδελφὸς τοῦ κυρίου ? L’hypothèse n’est pas recevable. On sait que « le frère du Seigneur » par excellence était Jacques, le premier évêque de Jérusalem ; tellement que Jude lui-même se contente de prendre, en tête de sa lettre, la qualification de « frère de Jacques ». Quant au déterminatif κατὰ σάρκα selon la chair, il garde ici un sens suffisant, même s’il n’a d’autre but que de bien marquer que Jude n’était pas le frère de Jésus seulement selon l’esprit, à la façon des Apôtres et des Disciples. À cette époque primitive, l’appellation de « frère du Seigneur » est peut-être moins un titre d’honneur qu’un moyen commode de distinguer les nombreux homonymes qui comptent parmi les personnages considérables de l’Église de Jérusalem. S’il fallait en croire certains auteurs, il n’y aurait pas eu moins de quatre Jacques, peut-être cinq.

L’Evangile de Jacques, ix, xv, xviii, et l’Evangile de Pierre (cf. Orig., In Matth., xiii, 55, t. X, xvii), œuvres apocryphes dont les éléments fondamentaux remontent à la fin du second siècle, voient dans les Frères du Seigneur des enfants que saint Joseph aurait eus d’un premier mariage, avant que de devenir l’époux de Marie. Au lieu de cousins paternels, comme dans Hégésippe nous avons ici des demi-frères. (Sur la compilation définitive du Protévangile de Jacques, on peut voir les éditions récentes de E. Amann, 1910 ; et de Ch. Michel, 1911.)

2. Au seuil du troisième siècle, on rencontre Tertullien. A-t-il tenu que les Frères du Seigneur étaient nés de Marie, mère de Jésus ? Helvidius et saint Jérôme, Contra Helv., xvii, l’ont cru, tandis que des critiques modernes, par exemple J.-B. Ligthfoot, font difficulté d’accorder ce point.

Dans Les passages où le grand polémiste touche incidemment au sujet, c’est pour s’en prendre au docétisme des Marcionites, qui abusaient des paroles du Christ rapportées dans l’Evangile : « Qui est ma mère et quels sont mes frères ? » De virg. vel., vi ; Adv. Marc, IV, xix ; De carne Christi, vii, xxiii ; De Monog., viii. Cf. A. d’Alès, La théol. de Tertullien, 1905, p. 196. Pour établir la vérité de la nature humaine dans Jésus-Christ, Tertullien insiste sur la maternité de Marie. Jésus est homme aussi réellement que nous : il a une mère qui l’a engendré de sa chair, la Loi lui donne un père dans la personne de saint Joseph, un père putatif (car Tertullien croit à la conception virginale du Christ) ; enfin l’Evangile nous parle de ses frères. Il est vrai que la Vierge a conçu Jésus alors qu’elle n’était encore que « fiancée », — c’est le sentiment de Tertullien, — mais la Loi assimile la fiancée à l’épouse. Et puis, Marie devait, après avoir enfanté le Verbe de Dieu, devenir réellement la « femme » de Joseph, semel nuptura post partum. Alors, la Vierge mère a porté le joux de l’homme, virum passam. Les considérations de Lightfoot pour atténuer la portée réaliste des expressions de Tertullien ne sont pas sans valeur, mais elles tiennent difficilement devant le fait qu’au milieu du IIIe siècle, Origène, lui aussi, en un passage que nous allons citer, semble bien avoir représenté Tertullien comme un adversaire de la perpétuelle virginité de Marie.

On dirait que Clément d’Alexandrie (+ 215) a voulu combiner le sentiment d’Hégésippe avec celui des Evangiles apocryphes. Dans un passage des Hypotyposes, cité par Eusèbe (H. E., II, i), il semble identifier Jacques le frère du Seigneur avec l’apôtre du même nom, fils d’Alphée. D’autre part, dans un fragment qui provient vraisemblablement de la version latine que Cassiodore avait fait exécuter, il voit dans Jude, l’auteur de l’épître catholique, tout à la fois le frère de Jacques et un des fils de Joseph, P. G., IX, 731 ; cf. Cassiodore, De Instit. div. lit., viii. Il peut se faire que la contradiction ne soit ici qu’apparente. Les frères de Jésus sont appelés les fils de Joseph. A quel titre ? Il n’est ni impossible, ni invraisemblable qu’aux yeux de Clément d’Alexandrie ils aient été seulement ses neveux, des enfants dont Clopas son frère, ou Alphée son beau-frère, lui auront, en mourant, laissé la tutelle. Ce n’est là qu’une supposition, mais peut-être a-t-on le devoir d’y recourir, avant que d’admettre une incohérence dans le témoi-