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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/855

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JUIFS ET CHRÉTIENS

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ÛK’e, « la liberté du métier a été la loi presque générale du pays » ; le mouvement qui comprend le progrès de l’organisme corporatif et <elui de la réglementation a commence avec Charles Vil, s’accuse sous Louis XI et à la lin du xv « siècle », P. Imbart DK LA ïoun, Les originrs de la lié/orme, t. I, La France moderne, Paris, 1906, p. 30/). Longtemps les Juifs ont pu s’adonner aux mêmes professions que les clirétiens ; une minorité l’a fait, beaucoup ont préféré exercer l’usure. Souvent aux plaintes contre les Juifs usuriers se mêle l’invitation à consacrer leur activité à un travail lionnéle. « Etsivivcnt tous les Juifs des labeurs de leurs mains ou dos autres besoignes sans usures », porte une ordonnance de saint Louis (125/1). L’empereur Faiiuiinic II décréta que les immigrants juifs se conGneraient dans les travaux agricoles (i-2’i-]). Saint Tuomas d’Aquin, /Je re^imine Jiidæoriim ad diicissani Brabanliae, conseille à l’autorité publi(]ue de les obliger à un travail utile pour gagner leur vie, comme cela se pratique en Italie, au lieu de les laisser se nourrir aux dépens des autres. Cf. Pikrue lk vénérable, /i/ « 4(., IV, xxxvi(auroide France Louis VII) ; ïritukme, Gki-LBR de Kaisersberg et Jean Buscii, cités par J. Jans-SKN, L’Allemagne et la Réforme, Irad., Paris, 1887, 1. 1, p. 377 ; M. Becan, Tractatio dilucida et conipcndiaria omnium de flde controvcrsiaram ex suo Manuuli ejusdem argumenti deprumpiu. V, xvii, Lyon, 1624, p. 462, etc. Ici la thèse de B. Lazare est juste : si les circonstances et le milieu dirigèrent le Juif vers le maniement de l’or, il y alla aussi de lui-même, par sa « nature artiûcielle d, par ses « lois propres », par sa condition de commerçant qu’il avait librement choisie, par l’influence du Talmud et de l’enseignement rabbinique. Que les Juifs, menacés perpétuellement de la spoliation et de l’exil, aient eu besoin de rendre leur avoir facilement réalisable, et donc de lui donner une forme mobilière, celles de l’or et, mieux encore, île la lettre de change qui échappait au lise, nous ne le constesterons pas. Mais cela ne fut vrai qu’à partir du moment où les usures criantes des Juifs leur valurent e.xil et dépossessions. Si les Juifs n’avaient pratiqué rusureabusivement, ils n’auraient pas eu à défendre leurs richesses et à parer aux éventualités les plus redoutables.

40. Les Juifs ont-ils exercé l’usure modérément ?

— Non. Dans leurs mains, l’usure prêt à intérêt est devenue l’usure au sens actuel du mot, le prêt à intérêt exorbitant. Si le mot » usure » a changé de sens, ce n’est pas uniquement par suite des modilications qu’ont subies les conceptions économiques des peuples modernes, et toutes les accusationscontre les Juifs en cette matière ne reposent pas sur

« un simple malentendu et une sorte de jeu de

mots ».

LoBB s’applique à justilier le taux qu’ils adoptèrent. { ; ’était le même, dit-il, que celui des prêteurs chrétiens ; ils prêtaient à la semaine, et ce taux a toujours été plus cher que le prêt à l’année ; ce taux n’était pas excessif, vu la rareté du numéraire et les risques à courir : annulation totale ou partielle des créances, expulsions, pillage, etc., sans compter qu’une bonne partie de ces intérêts était destinée à la caisse des princes, sous forme d’impôts écrasants.

A cela nous répondons, d’abord, cjue les excès des chrétiens ne justifient pas ceu.K des Juifs. Les Lond)ards, les Caorsins, etc., se livrèrent à un Iralic odieux, condamné rigoureusement par l’Eglise, et qui leur attira la haine populaire et parfois des répressions énergiques ; c’est ainsi que les Lombards furent expulsés de France à plusieurs reprises. En quoi les usuriers juifs en sont-ils innocentés ? Les princes qui connivèrent avec les Juifs, les riches qui’fome II.

leur fournirent des fonds pour participer à leurs bénélices, tous ceux qui, « chrétiens de nom seulement mais tout aussi grands usuriers que les Juifs 11, comme disait TiiirnÛME, cité i)ar Jansskn, op. cit., t. I, p. 377, tous les « usuriers chrétiens plus insatiables et cupides que les Juifs ii, disait sainte UniornB, lievelat., IV, xxxiii, tous ceux, disait Hans Folï, dans son Histoire de l’empire romain (i/|80), cité par JANssEiN, t. I, p. 380, cf. 380-389, « qui l’ont de la musique avec les Juifs sur le même violon », tous ceuxlà ont été flétris par l’opinion publicjue non moins que les Juifs. Loeb objecte, après avoir rappelé l’indignation excitée contre les Lombards et les mesures prises contre eux, que le préjugé s’est uniquement souvenu de l’usure des Juifs et a oublié celle des chrétiens. C’est que Lombards et Caorsins sont loin dans l’histoire, tandis que les Juifs sont proches.

Le prêt à la semaine « a toujours été beaucoup plus cher et peut-être moins oppressif ipie le prêta l’année ». Pluscher, oui ; moins oppressif, oui encore, dans des cas exceptionnels, quand il s’agit d’un besoin d’argent momentané et d’un emprunteur capable de s’acquitter de sa dette ; non, en général. C’étaient surtout lespetitesgens qui avaient recours à ce prêt, au jour de la détresse. L’àpreté des usuriers se donnait vite libre carrière. « Les Juifs pillent et écorclienL le pauvre homme, dit Erasjib d’Erbach (1/(87), cité par Janssen, t. I, p. 373-374. La chose devient vraiment intolérable ; que Dieu ait pitié de nousl Les Juifs usuriers s’installent maintenant à poste lixe dans les plus petits villages ; quand ils avancent cinq florins, ils prennent des gages qui représentent six fois la valeur de l’argent prêté ; puis ils réclament les intérêts des intérêts, et de ceux-ci encore des intérêts nouveaux, de sorte que le pauvre homme se voit à la Un dépouillé de tout ce qu’il possédait ». Ce fut évidemment pour obvier au mal ([ue Philippe Auguste qui, afin de réduire les prétentions juives, avait statué (1206) qu’ils ne prendraient pas plus de deux deniers pour livre par semaine (un peu plus de 43"/, , par an), leur défendit (1218) de prêter à aucun chrétien vivant du travail de ses mains, qui propriis manitius laborat, sicut agrirola, sutor, carpentarius et hujusmodi, i/ui non hahent Itæreditates l’el mobilia unde possinl sustentari nisi lahorent propriis manihus, et de prendre en gage des fers de charrue, des animaux qui servent au labour, du blé non vanné. Ces défenses indiquent bien la nature et la gravité du péril ; à emprunter à des taux fabuleux, ces petites gens, paysans, ouvriers, gagne-petit, couraient à la ruine irrémédiable.

Le numéraire était rare, les risques à courir sérieux, le taux légal élevé : ces trois raisons légitimeraient-elles l’usure juive ? II est vrai cjuc des taux fort élevés furent légalement en usage. Philippe Auguste, prohibant un taux supérieur à 43 °/„, permit donc le taux de 43°/o- L’intérêt légal monta parfois plus haut, à 52, 86, et jusqu’à 174 "/o- La rareté du numéraire, la menace des risques, expliquent, dans une certaine mesure, la majoration du tau.x. Mais, tout de même, trop est tro[), et « légal » n’est pas nécessairement synonyme de « juste ». P. Imb.vrt DB LA Tour, op. cit.. t. I, p. 281-282, a démontré que, à la suite de l’extensiou du contrat de rente, un aliaissement général et progressif du taux do capitalisation se produisit dans les régions du nord etdu centre de la France — et sans doute aussi, plus ou moins, ailleurs — à la lin du xvi^ siècle et au commencement du xvii^ ; il oscilla entre 10 et 5 "/o, en se rapprochant davantage de 5"/, ,. On ne voit pas que les banquiers juifs aient diminué leurs exigences.

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