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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/892

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1771

LAICISME

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formel, et de la manière la plus explicite, il est, avant tout, la négation, au nom de la liberté individuelle, de toute suprématie du clerc sur le laïque, du pouvoir religieux sur le pouvoir civil. « L’Eglise, disait M. ViviANi au Sénat le 2^ mars igi^, s’offre à nous sous deux aspects. Si elle n’était qu’une croyance, si elle se contentait d’ouvrir des temples aux lidèles, de les appeler à la prière, de leur ollïir la paix, le silence et la résignation…, qu’y trouverions-nous à redire ? Mais… l’Eglise est plus que cela, le cléricalisme ne lui permet pas de n’être nue cela.elle veut être un gouvernement… Voilà la dislance qui nous sépare. » (Ed. des Questions actuelles, 4 avril igi^, p. 452.)

Le dogme capital, avoué par le laïcisme, ce n’est donc pas. on le voit, l’irréligion ni l’athéisme : c’est que la religion doit rester une affaire strictement privée. C’est la négation de toute autorité religieuse, extérieure à la conscience individuelle, la négation de l’Eglise en tant qu’elle est un gouvernement des âmes. L’Etat laïcisé ne connaît que des consciences individuelles, dégagées de tout lien religieux extérieur à elles mêmes. Il ignore Dieu. L’athéisme social devient ainsi une loi du système. Il y a plus. A cet athéisme social, voilé sous les noms divers de laïcité, de neutralité, ou même de respect des consciences, les partisans du laïcisme tendent à donner un caractère sacré et obligatoire, à en faire une sorte de religion et d’Eglise à rebours. Il prend ainsi dilTérentes attitudes et revêt, suivant les circonstances, comme un quadruple caractère : il est anticlérical, anticatholique ou antiecclésiastique, antireligieux, pour devenir lui-même à son tour, par une nécessité immanente, justement tout ce qu’il condamne, une sorte de clergé, d’Eglise, de religion, mais en caricature, c’est-à-dire une secte usurpatrice, violente, accapareuse, despote. Son triomphe serait pratiquement d’aboutir à l’athéisme individuel obligatoire. Le rêve laïque, c’est l’homme fait Dieii.

C’est à cette doctrine, semblet-il. qu’il faut réserver le nom spéciûque de Laïcisme. Les citations que nous aurons à faire l’établiront avec évidence. Il était nécessaire de l’indiquer dès maintenant pour orienter notre exposé et notre réfutation.

PREMIÈRE PARTIE

L’ANTICLÉRICALISME

Forme négative et populaire du laïcisme

I. Les griefs contre le clergé. — La forme primitive qu’a revêtue le Laïcisme, la plus usuelle, la plus populaire aussi, c’est la résistance aux empiétements du clergé, à son esprit de domination, aux soi-disant excès de sa propagande. Au cléricalisme, qui est l’usurpation du clerc, on oppposait le droit du lnïque. C’est pourquoi la lutte fut d’abord anticléricale. Notons que le mot prête à confusion : il pourrait signifier en effet la défense d’un droit légitime contre une usurpation, et en cela il n’importe rien de blâmable. Le clergé n’est pas, de droit, omnipotent. Il n’a rien à voir sur le terrain des affaires purement tem])orelles. Mais où s’arrête le droit légitime, où commence l’usurpation ? On ne s’est pas en général embarrassé de l’examiner. Vague, le mot avait l’avantage d’être commode. Il pouvait facilement alimenter une campagne sommaire, où l’on se flattait d’être opportuniste, de sérier les questions et de ménager les étapes nécessaires aux desseins que l’on méditait. Sous couleur de protéger le povivoir civil et les droits des laïques, on pouvait discréditer le clergé, échauffer les i)assions contre lui, déconsidérer sa mission elle-même. Les fauteurs du

laïcisme affectèrent cependant tout d’aboi-d de ne s’en prendre qu’aux empiétements des }uêtres. Aux élections de 1876, plusieursdes candidats qui se présentent comme républicains protestent dans leurs déclarations contrercnvahissemenl clérical. Mais ce qu’ils entendent jiar là, disent-ils, c’est l’intrusion du clergé dans le gou^ ernenient de la société civile.

« J’entends que l’Eglise reste l’Eglise, s’écrie GamniiTTA

dans son discours de Lille. J’entends que, résignée à poursuivre sa carrièrede consolation purement spirituelle, elle se défende dans ce domaine, mais qu’elle ne vienne pas semer la haine et la discorde, l’insinuation calomnieuse : c’est là qu’est le péril. » Dans la Drôme, M. Emile Locbet promet, lui aussi,

« de défendre la société civile et les lois qui l’ont

constituée depuis 1789. contre tout empiétement, envahissement et tendance de domination cléricale ». Il ne s’agit, on le voit, que de protéger la société civile. Quelques années plus tard, et chaque fois que les chefs du parti le jugeront opportun poin- endormir quelques résistances, ils tiendront le même langage. <i, >ous sommes institués, dira Jules Ferry au Sénat dans la séance du 10 juin 1881, pour défendre les droits de l’Etat contre un certain catholicisme, qui n’est point le catholicisme religieux et que j’appellerai le catholicisme politique. » C’est à satiété qu’on répétera avec lui : « Oui, nous avons voulu la lutte anticléricale ; mais la lutte religieuse, jamais, jamais. »

Qu’avait donc fait le clergé, pour qu’au risque de troubler la paix et l’unité du pays, de le précipiter dans les discordes intestines, le chef des 363, allant à l.i bataille, osât jeter à ses troupes ce cri de guerre, qui tant de fois ensuite devait devenir un cri de ralliement :

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi I » (Séance

du 4 mai 1877.) Lorsque Gambetta dénonçait et essayait de flétrir le gouvernement de M. de Broglie en l’appelant le « ministère des prêtres », le n gouvernement des curés », y avait-il vraiment péril en la demeure ? Quels reproches si graves pouvait-on faire au clergé français ?

Nous n’avons pas ici à écrire une histoire complète. Knus n’avons qu’à répondre aux objections et à défendre l’Eglise des accusations portées contre elle. Il s’agit de justifier le rôle du clergé français à ce moment de l’histoire. En vérité, il n’y a pas lieu de paraître embarrassé en cette matière. Le clergé français de la seconde partie du xix’siècle s’est consciencieusement acquitté de son ministère. Les griefs formulés contre lui n’ont pas de fondement. Il faudrait ajouter : ils n’ont pas d’excuse.

A) Griefs généraux — les empiétements, l’esprit dominateur et militant du clergé. — Réponse. — C’est un reproche que, sous cette forme générale, l’Eglise aura toujours de la peine à éviter. Instituée tout entière pour le bien commun de la société, elle a le devoir de défendre sa propre existence, pour rester fidèle à la mission qii’elle a charge de rem[dir. La vérité révélée dont elle a le dépôt, elle doit la prêcher aux hommes. Les sacrements dont elle est dispensatrice, elle doit les administrer et non les garder pour elle. Pour mieux propager le culte de l>ieu, et s’employer i>lus fructueusement au service des hommes — ce qui est toute sa raison d’être et sa fonction — elle doit s’efforcer d’aA olr des ressources et de l’influence, multiplier les démarches, élever la voix, encourager. Bup])lier, blâmer, faire des instances, l’Apôtre lui en a fait im devoir : Argue, (disecra, increpa, insta opportune, importune, à tem])S et à contre-temps. Il en est qui voudraient l’Eglise moins remuante, moins passionnée, sereine et même quelque poi indifférente, à la manière d’une école de philosophie. En adoptant cette altitude, l’Eglise se