Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/906

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1799

LAICISME

1800

veut, mais à ce que veut un plus grand que soimême ».

c) L’idéal laïque aboutit à des résultats contraires à ceux qu’il prétend réaliser. — En effet, il prétend exalter l’homme ; en fait, il l’amoindrit.

Sous prétexte que la vraie grandeur consiste à ne rien devoir qu'à soi-même et à se maintenir franc de toute dépendance, l’idéal laïque s’efforce d’isoler riiommede son passé, de ses traditions, de son milieu, de sa famille. En fait, il dépouille l’individu de tout ce qui le sélectionne, l’affine, l’ennoblit, et Varistocratise. La vie est trop courte pour que l’individu puisse à lui seul suppléer à tout ce que lui fournit la race, 1 entourage, la nature. La civilisation est faite d’apports successifs, qui en s’accumulant font le progrès. Supprimer ces apports, sous prétexte qu’ils créent une sorte d’esclavage et lèsent l’aulonomie du développement individuel, est un geste d’orgueil ridicule et sans proût. En bonne logique, il faudrait alors réduire chaque génération à recommencer les industries de Holntison Crusoë. C’est la négation du progrès et de la civilisation, c’est-à-dire du bénéhee que l’hiunanité retire légitimement du travail des générations passées. La même doctrine qui fait un dogme du progrès, le nie donc implicitement.

L idéal laïque n’est pas moins inconséquent quand il fait appel au respect de la personne humaine pour préconiser la tolérance universelle de toutes les opinions et de tous les cultes. Il a l’air d’exalter l’homme, en affectant de ne voir dans les idées et les croyances de chacun que la sincérité des convictions. Toutes sont respectables, ne eesse-t-il de répéter. Qu’importe qu’on soit athée ou croyant ? Ce qui importe, c’est que chez l’un et chez l’autre la conviction soit sincère. C’est devant le croyant, non devant la croyance, qu’il faut s’incliner.

Mais cette neutralisation des idées et des croyances, qu’on réduit à n'être plus que des opinions facultatives, se retourne contre la vraie notion de la grandeur de l’iiomme. Si les idées n’ont plusde valeur en elle-i-mêmes, si elles ne valent que par la sincérité de la conviction, on peut donc, à la seule condition d'être sincère, rejeter celles-ci, épouser celles-là, passer des unes aux autres, au gré des impressions successives. Mais commentapprécier la sincérité? C’est une attitudequi échappe, ilelle-même en quelque sorte, à tout contrôle, à celui d’autrui, et souvent aussi, surtout dans les émotions très vives, à celui de la conscience personnelle. Est-il rien de plus facile que d'être dupe de ses passions et de son cœur ? Plus l'émotion est intense, plus la sincérité est complète et entière. Que reste-t-il alors pour discerner la valeur des convictions individuelles, pour distinguer d’une conscience droite et éclairée, une conscience aveuglée, faussée, égarée ? Les idées ? Les croyances ? Mais, d’après les principes du laïeisme, c’est de la sincérité seule qu’il faut tenir compte !.. Sans doute, on voudrait limiter ces principes aux seuls dogmes religieux ; on s’en prévaut pour mettre sur le même pi<'d l’athée et le croyant, à qui on ne demande, au premier surtout, que d'être sincère. Mais les principes débordent cette étroite conclusion, en euxmêmes d’abord, et aussi dans rapi)lication, très légitime d’ailleurs, qui en est faite par la foule et s'étend ^.ans cesse à des cas nouveaux. On n’exige plus de la passion que d'être sincère. La conscience publique devient ainsi graduellement indulgente au divorce, à l’adultère, à l’assassinat, à toutcrime passionnel. La sincérité du geste excuse tout. Mais le nivellement des idées et des notions morales, qui en arrive à traiter de la même manière le malfaiteur et le héros, sous prétexte qu’ils sont également sincères, el tourne ainsi au détriment des meilleurs et au

profit des pires, n’est-il pas un encouragement à ces derniers ? et ne va-t-il pas aboutir, par une nécessité fatale, à diminuer la valeur humaine ?

Il a été déjà facile de constater ces résultats.

d) L’idéal laïque part d’un principe faux et il implique des contradictions. — L’allirmation fondamentale des partisans du laïeisme, c’est iiue le bien suprême de l’homme est l’indépendance. Rien de plus inexact.

Le bien de l’homme est ce qui répond à ses facultés et à ses tendances. Le bien de l’intelligence humaine, c’est le vrai ; le bien des yeux, la lumière, etc. A chaque faculté, correspond un objet en qui elle se repose, quand elle le possède : cet objet est son bien. Le bien de l’homme est l’objet qui répond à sa nature, considérée dans la pleine et totale harmonie de ses aspirations et de ses pouvoirs. La liberté, dont jouit la nature humaine, n’est qu’une manière d’exercer son vouloir. Celte liberté n’est pas illimitée en fait. Affirmer qu’elle l’est en droit, implique contradiction avec tout le système. N’est-ce pas enchoincr l’homme à un credo, à un nouvel Evangile ? El tout article de foi n’est-il pas la négation de la libre pensée ? D’autant que tout article de foi en entraîne un autre. Poir prouver que l’homme est, en droit, son seul souverain, on affirme que vers cette souveraine indépendance il ne cesse de s’acheminer, qu’il progresse d’un pas continu et irrésistible. L affirmation du progrès indélini de l’Humanité est une thèse chère entre toutes à la libre pensée. En est il de plus gratuite, quoiqu’il n’y en ait pas de plus catégorique et de plus souvent renouvelée (cf. Sabatikh, Orientation religieuse, p. 45-46)? S’agit-il du progrès matériel ? Mais il n’est pas vrai qu'à tout progrès matériel, ni même qu’au progrès delà culture intellectuelle, corresponde toujours un progrès moral ; et n’est-ce pas, en délinitive, ce dernier seul qui importe, quand il s’agit d’assurer la véritable indépendance de l’homme ? Or le progrès moral, en dehors du fait chrétien, qui réclame une place à part, est-il vraiment une loi de l’Humanité? De plus, l’Humanité aurait-elle toujours progressé dans le passé, a-ton le droit d’allirmer qu’il en sera de même dans l’avenir ? Le dogme du progrès en suppose à son tour un autre, le dogme de la bonté de la nature humaine, d’une bonté qui a été et sera toujours, en lin de compte, victorieuse du mal.

Ce sont là de multiples articles de foi, et on en pourrait allonger la liste. Ne sont-ils pas une contradiction vivante, au coeur d’une doctrine qui se fait honneur d’avoir débarrassé l’Humanité de tous les dogmes ? La vérité, c’est que l’idéal laïque, ainsi ([ue nous l’avons dit, n’est pas une conclusion intellectuelle, c’est une préférence du cœur. La libre pensée n’a creusé aucun problème. Qu’est-ce que l’homme ? quelle est son origine ? quelle est sa fin ? Qu’est-ce que l’univers ? Les phiinsoplies du Laïeisme ne l’ont guère étudié. Il vil de quelques mots passe-partout, empruntés à la demi-science ou à de pseudophilosophics : Progrès, Humanité, Tolérance, Liberté, Autonomie, Evolution, Science. C’est assez pojir donner un peu d’allure à de pauvres sophismes, qui flattent d’ailleurs de vils instincts. Il serait impossible, avec tout le vocabulaire laïque, de composer le plus petit catéchisme tant soit peu précis et cohérent.

a) Contre le régime laïque. — Les contradictions inq)liquces dans l’idéal laïtjue se retrouvent dans le régime imaginé pour le réaliser, la Ré|)ublique démoeratiqne.

L’idéal laïque, c’est la lil)erté la plus absolue. Qui dit régime ou gouvernement, dit autorité, c’est-àdire échec à l’indépendance individuelle. Comment, en effet, organiser la vie en société, sans recourir à