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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/964

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LOI DIVINE

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comme faculté du libre arbitre, il ne resterait à peu près aucune obligation. Supposons, en elïet, pour un instant, que l’exercice du libre arbitre soit le seul bien moral, dès lors tout ce que nous ferons librement sera bien. Il n’y aura plus, par conséquent, de mal moral ni de péché, car il n’y a péché que quand le libre arbitre s’exerce. La société aura, en outre, le devoir de laisser à chacun la liberté de faire tout ce qu’il lui plaira. Les partisans de la morale indépendante protesteraient contre des conséquences aussi immorales. La base de leur théorie, ce n’est pas, en effet, le fait du libre arbitre, mais une liberté, c’est-à-dire une perfection idéale qui fera la dignité de l’homme. Mais alors, qu’ils ne disent pas que la liberté dont ils parlent est un fait.

Ce système mutile aussi la morale dans ses principes et ses éléments constitutifs. — Il lui ôte son immutabilité, en plaçant son fondement ou bien dans un fait essentiellement contingent, le libre arbitre, ou bien dans un idéal dont la détermination est laissée au caprice de chacun, du moment qu’on n’en cherche pas la base dans un principe de raison, — Il supprime l’obligation, car, si c’est nous-mêmes qui nous commandons à nous-mêmes, nous sommes libres de ne pas nous commander, et nous avons le droit de ne pas nous obéir. On dira sans doute que ce serait manquer à ce que nous devons à notre dignité ; mais pour prouver qu’il y a en cela un mal moral, il faudrait chercher en dehors du moi humain le fondement de la loi qui nous oblige, de cette loi que la conscience peut manifester, mais non créer.

— Le système mutile la sanction, ou plutôt il la supprime, car il la réduit au remords et à l’estime ou au blâme de nos semblables ; or, nous avons vu que les arrêts de ce double tribunal de la conscience et de l’opinion manquent d’équité et qu’une bonne partie des actions morales leur échappent. — Entin, en privant la morale d’un fondement rationnel placé au-dessus des volontés des hommes, ce système tend à sacriQer le bien et l’équité à l’arbitraire, même le plus injuste, quand cet arbitraire est imposé comme un bien par la volonté des masses qui font l’opinion et les lois. La morale indépendante se rapproche donc du positivisme, elle va comme lui à substituer la force brutale au droit.

6° Morale dite scientifique, fondée sur la sociologie.

L’enseignement de cette morale a revêtu deux formes principales :

a) Vient d’abord une forme qu’on peut appeler timide. C’est la morale de la Solidarité représentée notamment par H. Marion, De la solidarité morale, Paris, 1880, et Léon Bourgeois, Solidarité, Paris, 1896. — Cf. L. RouRE, Anarchie morale et crise sociale, p. 120-1 29.

h) Puis vient une forme extrême, qui s’inspire plus particulièrement de M. DunuiiinM : Cela est moral, qui est pratiqué par la société. De cette école, M. Albert Bayi : t est l’enfant terrible.

Donnons la parole à M. L. Rovre, Etudes, l. CIII, p. loi, 5 avril 190.S :

Exposé. — a M. Albert Iîaykt (La morale scientifique. Essai surlesapplications morales des sciences sociologiques, Paris, 190, 5) donne uneidéedu parfait gâchis où mène la méconnaissance de la métaphysique. L’auteur s’empêtre dans des dilliciltés de mots, de détinitions, d’appellations. Faut-il dire science des m’i’urs, on sciences morales, ou orl moral /iralique ? La science des mù’urs, qui fait partie de la sociologie, en est-elle distincte ? Tout ce formalisme est à la fois laræntabli^ et risible chez un écrivain qui affecte des allures révolutionnaires. Au surplus, lise met très docilement à l’école de MM. Durkheim et

LÉVY-BRiiHL : il ne se sépare de celui-ci qu’avec timidité. Quant aux travaux de T.arde, ils sont nettement antiscientiUques ». Ainsi la sociologie, qui date d’hier, de l’aveu de M. Bayel, et qui est déjà divisée contre elle-même, est la base sur laquelle on veut bâtir la morale. La nouvelle morale s’occupera beaucoup de réformes économiques, de caisses d’épargne, de mutualités. Et la vie intérieure I Souci d’esprits délicats, répond M. Bayet avec quelque dédain. Les consciencess’habituerontpeuà peu à s’en passer. Les groupes sociaux, qui gagneront en force heureuse aux progrès de l’art rationnel modiGant la réalité collective, gagneront encore à son abstention dans la vie intérieure, au libre essor des parties, des affections, des énergiesetdesfaiitaisies individuelles. » Suivons la même école dans la voie des réalisations. De nouveau, L. Kovrs, Etudes, t. CXV, p. 2(58250, 20 avril 1908 :

n Faut-il combattre le suicide ? Faut-il favoriser le suicide ? Pareille question, dit M. Albert Bayet (L’idée de Bien. Essai sur le principe de l’art moral rationnel, Paris, 1908), est prématurée. Présentement, les doctrines les plus diverses régnent au sujet du suicide. Laquelle l’emportera ? Nous l’ignorons. Demain (c’est-à-dire d’ici un siècle ou deux), le suicide sera-t-il loué ? Sera-t-il blâmé ? Sera-t-il considéré comme un acte indifférent ? Les données nous uianquent pour porter là-dessus un jugement solide. Donc a l’art moral rationnel » ne peut présentement qu’enregistrer le fait du suicide. Il ignore s’il est un bien ou un mal.

« En effet, le bien est en chaque pays, à chaque

instant, ce que les consciences collectives jugent, implicitement ou explicitement, être bon. » Or il arrive souvent, dit M. Bayet, que ces jugements se contrarient.

" Et il nous ouvre cette perspective charmante. Qui sait si demain voler et assassiner ne sera pas un bien ? « La réalité d’une idée de bien se mesure à sa puissance active. Et l’idée véritable est celle qui, consciente ou non, est impliquée dans l’activité des groupes. Or les groupes de voleurs dépensent leur activité à voler, les groupes d’assassins à assassiner. Qu’un grand nombre de voleurs et d’assassins aient des scrupules, des remords, c’est fort possible et c’est tout naturel : la morale commune pèse de tout son poids sur leur morale professionnelle, et peut fort bien les faire hésiter. Mais la preuve qu’en (in de compte la morale professionnelle est la plus forte, c’est qu’en fait ils volent et ils assassinent’. »

« Nous avons voulu citer textuellement. La conclusion

logique est : le jour où la moitié des hommes plus un volera ou assassinera, ce jour-là voler et assassiner sera un bien. L’idée morale (traduisez : l’idée jugée bonne) naît à chaque instant, dans la mesure où elle commence à animer la conscience d’un groupe. « Le bien est aujourd’hui ce que les consciences jugent être bon ; il sera demain ce qu’elles voudront ; et les jugements de demain pourront être la contradiction des jugements d’aujourd’hui. » N’oublions pasque « juger bon » est synonyme de prendre comme principe d’action ».’I II ne s’agit d’ailleurs, en aucun cas, de louer ou de blâmer, de récompenser ou de punir. Le juge, le praticien n’ont qu’à prononcer sur des faits, ou sur ce fait : quelle est la viabilité de cette idée de bien ?

1. « Est-ce le coinracntnîre de 00 que M. Bnyei avait écrit dans ses Leçons de morale à l’usugft des écoles primaii’es (collectioti A. Aiihird) : a Les bonnes actions sont celles qui nous sont utiles)i ? Il ûjoulo ; « c’est-à-dire celles qui nous rendent vraiment heureux w. Cela no monte pns tr-ès haut, dans une morale qu’on déclare

« laïque et positive ». (Note de L. Rouke.)