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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/140

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MARIE — IMMACULÉE CONCEPTION

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présence de ces maux en Marie avait un rapport nécessaire avec le péché originel contracté de fait ; mais ces maux peuvent venir, et ils viennent réellement de notre premier père qui, en péchant, a perdu les dons primitifs pour lui-même et pour toute sa postérité. Dieune rend pas les dons d’impassibilité et d’immortalité à ceux qu’il sanctifie par l’eau du baptême ; il a pu également ne pas les rendre à Notre-Dame, même s’il l’a sanctiliée au premier instant de son existence. En ce sens, il est vrai de dire avec saint Augustin que Marie est morte à cause d’Adam et du péché, Maria ex Adam mortiia propter peccalum. In Psalm., xxxiv, n. 3, P. L., XXXVI, 335. Quoi d’étonnant, puisque le Sauveur lui-même est resté soumis à ces sortes de maux ? Il faut seulement éviter de confondre les peines d’ordre purement physique et celles qui disent imperfection morale : les premières pouvaient être utiles à Marie et rentraient dans son rôle de nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans l’œuvre de la réparation ; il en allait autrement des autres, surtout de la tache héréditaire.

Ayant réfuté les objections des adversaires, Duns Scot pouvait conclure à la possibilité du privilège mariai. Il ne va pas plus loin dans les Reportata, son enseignement de Paris : « Potiiit esse quod nunquam fuit in peccato originali. » Il avait dit davantage dans le Scriptum Oxoniense : a Si l’autorité de l’Eglise et celle de la sainte Ecriture ne s’y opposent pas, il semble raisonnable d’attribuer à Marie ce tjti’il y a de plus excellent. » Plus loin, dist. xviii, n. 13 (éd. Vives, p. 68^), il avait même parlé de la bienheureuse Vierge comme n’ayant jamais encouru de fait l’inimitié divine ni par le péché actuel, ni par le péché originel : o Quæ nunquam fuit inimica actualiter ratione peccati actualis, nec ratione originalis (fuisset tamen, nisi fuisset præservata). » La différence de ton n’accuse point un fléchissement dans la pensée du Docteur subtil ; elle s’explique pav la réserve prudente qui s’imposait à lui dans ce milieu parisien, où les grands maîtres venaient de soutenir l’opinion contraire et où ils comptaient encore, dans leurs disciples immédiats, de si chauds partisans.

Comment une argumentation incomplète et de forme polémique suiTit-elle pour retourner lesesprits ? Pour s’en rendre compte, il faut d’abord constater les résultats directs de la grande controverse. De l’état implicite où elle était à peu près restée en Occident pendant les dix premiers siècles, la pieuse croyance était passée à l’état explicite, soit dans la conscience des pasteurs et des fidèles qui donnaient à la fête de la Conception le sens immaculiste, soit dans l’enseignement des nombreux docteurs qui se rallièrent aux conclusions de Scot. Surtout, des questions secondaires ou d’ordre purement philosophique se trouvèrent rejetées à l’arricre-plan, et la véritable signilication du privilège mariai fut fixée, quand on eut rattaché la sainteté de la bienheureuse Vierge non pas à la conception active ni à la conception passive imparfaite, mais à la conception passive parfaite ou consommée. Dire que Marie fut exempte du péché originel ou conçue sans péché, c’était affirmer que son àme, créée par Dieu et unie au corps pour l’animer, fut au même instant ornée de^ la grâce sancliliante ; en d’autres termes, c’était affirmer que la Mère du Verbe incarné, considérée comme personne humaine, ne fut jamais, pas même un instant, atteinte de la souillure du péclié.

Enfin, pour comprendre le succès obtenu par le Docteur subtil, il faut remarquer qu’une fois la possibilité du privilège mariai démontrée, la conclusion : Videtur probahile quod excellentius est tribiiere

Mariae, tirait une grande efficacité des principes que les grands docteurs du xiii" siècle professaient sur la sainteté exceptionnelle de la Mère de Dieu. Tous admettaient l’assertion d’Augustin : Quand Il s’agit de péchés, qu’il ne soit point question de Marie ; et celle d’Anselme : Il convenait que la Vierge Mère brillât d’une pureté sans égale au-dessous de Dieu. De

« celle qui a enfanté le Fils unique du Père, plein de

griice et de vérité », le Docteur angélique avait dit, q. XXVII, a. I : « Il est raisonnable de croire que, pour les dons de la grâce, elle l’a emporté sur tous les autres, u

De ces principes et autres semblables ils avaient conclu, non seulement à l’immunité de Marie par rapport à toute faute actuelle et même tout mouvement déréglé de la concupiscence, mais encore à sa sanctification dans le sein de sa mère, cito post animationem (Albert le Grand, saint Bonav., saint Thomas), mox et subito (Henri de Gand), eodem die cito post constitutionem ejus naturæ (Richard de Middleton). En un mot, ils étaient arrivés à proclamer la toute-sainteté de la bienheureuse Vierge, sauf en sa conception, au premier instant de son existence. Pourquoi cette restriction, cette unique exception ? Evidemment parce qu’ils jugeaient la chose impossible, non pas d’une façon absolue, mais relativement parlant, dans l’ordre actuel où tout rejeton d’Adam est un racheté du Christ. Or Aoilà que, dans l’argumentation du Docleur subtil, le privilège se présentait comme possible, possil>le dans l’ordre actuel, grâce à une notion du rachat plus honorable pour la Mère et plus glorieuse pour le Christ Rédempteur. Dès lors, le privilège ne devait-il pas rentrer dans le principe général, comme une application de détail, ou mieux, comme une première application dans une série indéfinie ? L’obstacle étant renversé, la possibilité entraînait la convenance positive, et celle-ci garantissait la réalisation effective. L’argument, ébauché par Eadmer, pouvait désormais s’énoncer dans toute sa plénitude : Potuit, decuit, ergofecit. Le travail des siècles suivants consistera, principalement, à développer le decuit et à corroborer le fecit par l’étude et par l’exploitation des éléments positifs du dogme, enveloppés dans les saintes Lettres et l’ancienne Tradition.

Le triomphe ne fut pas complet dès le début ; la lutte continua, elle fut longue, parfois passionnée, car les camps se formèrent et se tranchèrent, ayant à leur tête d’un côté les franciscains, de l’autre les dominicains ; mais l’impulsion était donnée, et le mouvement d’avance ne devait plus s’arrêter. De temps à autre, quelques faits plus notables marquent comme une étape dans la monotonie relative de cette lutte plusieurs fois séculaire. Introduction de la fête à la cour ponliCcale, à une époque qui n’a pas encore été nettement déterminée, mais qui semble restreinte au second quart du xiv’siècle, pendant le séjour des papes en Avignon. Décret porté, le 17 septembre i^Sg, par les Pères du concile de Bàle, alors sehisuiatique, et déclarant la doctrine de l’Immaculée Conception

« pieuse, conforme au culte d^ l’Eglise, à la foi catholique, 

à la droite raison et à l’Ecriture sainte ». Actes des Universités, qui exigent des aspirants aux grades académiques le serment de défendre la pieuse croyance : Paris 1469. Cologne 1499. Mayence 1501, Alcala et Salamanque ifii^etiGiS. Constitution Cum præcelsa en 1476, où Sixte IV inaugure la série des actes officiels du magistère suprême, en approuvant la fête de la Conception, avec une messe et un ollice, composés par le franciscain Lkonard de Nogarolk, qui ne laissaient pas place à l’équivoque. Réserve significative des Pères du concile de Trente, protestant, le 17 juin 1546, qu’il n’entre point dans leur