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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/167

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MARIOLATRIE

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de corps, de paroles, de pensées, pour Marie et par Marie.

Nous voici loin d’Astarté (cf. Cyclopedia de New-York, t. V, p. 75 1, quelques lignes où l’auteur saisit la contradiction entre sa théorie et les faits ; D. Ca-BROL, àansXa. Rey. prai. d’ApoL, 15 nov. 1906 ; Pinard. Les infiltrations païennes dans le culte juif et chrétien, Bruxelles, 1909 ; Bbissel, t. 1, p. 52, 69, 153, 168 ;.Vontli, t. CXII, p. Saô ; et aussi une note importante du P. Jacquin dans la BeiHie des Sciences philos, et Ihéol., t. I, p. 090-594).

II. Le culte de Marie n’est pas le résultat d’une aveugle poussée mystique. — L’Ecriture, dira-t-on, ignore Marie, ou plutôt, mieux eût été pour la Vierge que l’Ecriture l’ignorât. Elle en parle, mais en quelle situation elle la met ! Fidèles à l’Ecriture, les premiers Pères ne voient en Marie qu’une femme que toute autre eût pu remplacer, une femme sujette aux lois de son sexe, inintelligente de son Fils, réprimandée plus d’une fois pai- lui. Ni les premiers Pères, ni les premiers fidèles ne songent beaucoup à l’honorer, moins encore à l’invoquer. Voilà, prétend-on, ce que disent les textes.

Mais cette iMarie de l’histoire fera pauvre (igure de Mère de Dieu, et donc ne peut sullire au peuple chrétien, aux moines, aux mystiques, aux dévotes qui supposent et se persuadent qu’une Mère de Dieu n’est pas, ne saurait être une femme ordinaire.

Qu’est-il arrivé ? Moines, dévotes, mystiques ont sans cesse grandi la Vierge. Emportés par ce flot, les docteurs, les chefs, après de vains efforts pour reprendre pied, ont dû s’aljandonner et céder au courant : ils ont retraité, cherché des formules à tout faire ; puis ils ont fini par se prendre à la piperie de leurs formules, ils sont devenus peuple, tant et si bien qu’après quelques siècles, les traces du combat se sont faites rares, la prescription a été passée, et la Vierge idéalisée des bonnes femmes et des théologiens leurs complices, la Madone toute-puissante qui écoule et exauce ses dévots, avait remplacé le personnage insignifiant de l’Evangile.

Partie des Réformateurs du xvi’siècle, adoptée en partie par les Jansénistes, cette opinion est devenue un lieu commun chez les protestants (cf. Lucius, Les origines du culte des saints, trad, Jeanmaire, surtout livre IV, p. 669), Tout récemment, Guillaume Hbrzog la reprenait avec fracas (_La Sainte Vierge et l’histoire, Paris 1908).

Moins grossière que la précédente, contenant quelques parts infimes de vérité, cette théorie pèche en deux points essentiels : tout d’abord, elle exagère jusqu’à la caricature la distance qui sépare la Vierge de l’Histoire et la Vierge de la théologie, la Vierge des savants et celle des simples. Qu’on se reporte à l’article Marie, qu’on se rappelle ce que nous avons décrit des étapes du culte, et l’on verra si l’écart est grand entre notre foi, notre dévotion et la foi et la dévotion de nos ancêtres chrétiens des premiers siècles, et si Newman avait tort quand il écrivait : … « The line cannot belogically drawn between Ihe teaching of the Fathers concerning the Blessed Virgin and our own. This view of thè matter seems to me true and important, Ido not think the line can be satisfactorily drawn… » Difficulties, p. 78.

En second lieu, la théorie méconnaît absolument les rapports entre le peuple et la hiérarchie, entre VEcclesia discens et VEcclesia docens. Tout ceci apparaîtra mieux au paragraphe suivant.

III. Le culte de Marie est l’épanouissement de la croyance chrétienne. — A étudier l’Iiisloire de ce développement cultuel, à considérer les progrès de cette dévotion, on peut voir que cuUe et dévotion sont la reconnaissance pratique d’un fait concret,

Tome III.

historique, et, quoi qu’on en ait dit, scripluraire ; c’est que Marie est la Mère, la vraie mère, et donc non seulement par le corps, mais aussi par le cœur, du Christ, Fils de Dieu, Sauveur du monde, et donc qu’elle n’est pas une femme ordinaire. Chez elle, cette qualité complexe de Mère de Dieu, suppose préparation spéciale, accommodation à sa fonction, postule des privilèges de choix, des droits singuliers. Ces privilèges, ces droits, ces qualités, on les pressent à fleur de texte dans l’Ecriture, et une fois admis ils donnent aux textes de l’Evangile leur sens plénier. Telle est la vraie source de la dévotion à Marie, la vraie et solide base de la théologie luariale, qu’on n’a pas consti-uile après coup (cf. Cath. Enc., t. XV, p. 4Ô9, 460), mais qui est un fait tout à la fois d’expérience et d’instinct, d’amour et de raison.

L’histoire de cette dogmatique, c’est l’histoire même du sens de l’Eglise, l’exercice de sa « divination », de son « instinct » ; de ses coups de sonde, de ses recherches, de ses hypothèses, parfois, si l’on veut, de ses audaces ; mais c’est aussi l’histoire du contrôle, de la surveillance de l’Eglise enseignante, qui saule a mission de Dieu pour dire le dernier mol, pour apaiser l’agitation, vérifier les hypothèses, modérer les audaces, et, s’il y a lieu, pour reconnaître, sans pouvoir s’y méprendre, dans le « sens » des fidèles, dans la voix du peuple, la voix divine de l’Kpoux.

Accordons qu’en tout cela le rôle des fidèles est grand, et même convenons qu’il doit l’être. Mais ce rôle est dirigé par le magistère. A lui, à lui seul il appartient de prononcer ; au peuple de s’incliner, au peuple de suivre.

Mais au peuple de se réjouir aussi, et voici le culte. Pourquoi en effet voudrait-on l’empêcher de faire fêle à sa manière à ces dogmes acquis, de leur souhaiter de tout cœur la bienvenue ? De quel droit lui interdire de célébrer, avec des formules nouvelles, des vérités désormais plus clairement possédées ? Pourquoi l’arrêter quand il donne à Marie un témoignage de sa joie ? Allons plus loin : l’Eglise reste logique, lorsque d’abord elle tolère à bon escient, et à mesure qu’une idée théologique progresse, lorsqu’elle encourage la célébration d’un privilège sur lequel le dernier mot n’est pas dit. Dans ce cas (ce fut celui de l’Immaculée Conception, c’est aujourd’hui celui de l’Assomption), la dévotion, le culte sont d’une certaine manière en avance sur la croyance, c’est vrai ; mais ne voit-on pas qu’il y a là excitation à plus de recherches, occasion de poser des problèmes, d’examiner, de contrôler des traditions ; de placer cette opinion désormais plus explicite dans le jour des dogmes déjà définis ou des croyances qui en découlent, de l’en éclairer, de l’en nuancer ? Ne voit-on pas que, les contrastes s’aecusant, les objections se présentant, il faudra travailler à réduire ces contrastes, à résoudre ces objections ? N’est-ce pas là enfin le magnifique spectacle de l’amour marchant vers la lumière et guidant lui-même la recherche ?


Pourvu enfin — et dans un ordre moins relevé, moins délicat aussi — que les faits paraissent assez prouvés, pourvu que des documents de valeur humaine sérieuse semblent les appuyer, l’Eglise — sans engager une infaillibilité qu’elle n’a reçue que pour conserver et développer le dépôt fermé à la mort des Apôtres — l’Eglise tolère, encourage même la commémoraison liturgique ou la publication de miracles, apparitions, etc. ; parce que ces miracles, ces apparitions vont, en fin de compte, à honorer la grandeur, la sainteté, la bonté de la Vierge, et par là rejoignent le dogme ; par delà la contingence des faits allégués, ils remontent jusqu’à la personne de

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