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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/232

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MARTYRE

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juridiques des deux années suivantes, les différences ne sont que dans la forme. Pour les ecclésiastiques, tous les motifs de condamnation sont bons : le seul fait d’avoir dit la messe sullit (Leclekcq, t. XII, p. 262). Mais le plus souvent, c’est la question du serment qui est posée. Quelquefois on y joint la demande des lettres de prêtrise, comme signe de renonciation aux fonctions sacerdotales. Cette demande est adressée à plusieurs prêtres martyrisés à Lyon en 1798, MM. Auroze, Fraisse, Olivier, liallet, DuvaI(LECLEucy, t. XI, p. 281, 283, 284, 286, 296). Quelquefois même on va plus loin encore : interrogeant les quatorze prêtres guillotinés à Laval le 21 janvier 1794, le président du tribunal révolutionnaire demande à chacun d’eux s’il a prêté le serment prescrit par la Constitution civile du clergé, s’il a fait le serment libertéégalité, s’il est disposé à les prêter, et s’il veut s’engager à ne professer aucune religion (iliid., p. 368). M. Joseph Puech, exécuté à Rodez le 2^ février 1794, avait refusé le serment, mais n’avait pas quitté le jiays, et avait continué d’exercer secrètement son ministère. Arrêté, il comparut devant le tribunal criminel de l’Aveyron. Il fut condamné à mort par application de la loi du 21 octobre 1798. Comme il allait monter sur l'échafaud, on vint lui offrir la grâce s’il voulait abjurer sa religion et renoncer au Pape, et sa tête ne tomba qu’après son refus d’apostasier (ibid., p. libij).

Nombreuses sont les religieuses qui préférèrent, elles aussi, la mort au serment de liberté-égalité — qui les eût sauvées, mais que condamnait leur conscience. C’est l’histoire des seize Carmélites de Compiègne, martyrisées à Paris le 17 juillet 1794 (Alexandre Sobel, Les seize Carmélites de Compiègne, 1878 ; Victor Pierre, Les seize Carmélites de Compiègne, igoS ; L. David, Les seize Carmélites de Compiègne, 1906 ; Geoffroy de Grandmaison, Les Bienheureuses Carmélites de Compiègne, 1906 ; H. Chérot, Figures de martyrs, 1907) ; des trente-deux religieuses de Bollène, vingt-huit Sacramentines et quatre Ursulines, guillotinées à Orange du 6 au 26 Juillet 1794 (Redon, Les trente-deux religieuses guillotinées à Orange, Avignon, 1904) ; des onze religieuses de Valenciennes guillotinées dans cette ville on octobre 1794 (Wallon, Les représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les départements, t. V, 1890, p. 168-167) ; des quatre Filles de la charité d’Arras guillotinées à Cambrai le 26 juin 1794 (MisERMONT, Les Vénérables Filles de la Charité d’Arras, 1914) ; des Sœurs Marie-Anne Chaillot et Odile Bougard, fusillées à Angers le I" février 1794 (Misermont, Le premier hôpital des Filles de la charité et ses glorieuses martyres, 1918) ; d’une autre Fille de la Charité, Marguerite Rutan, supérieure de l’hospice de Dax, exécutée dans cette ville le 9 avril 1794 (P- Coste, Une victime de la liévolulirin. Sœur Marguerite Rutan, 1904).

Le martyre de ces religieuses offre des traits admirables. Conduites au supplice, les Carmélites de Compiègne chantent le Miserere et le Salve Regina ; au pied de l'échafaud elles entonnent le Veni Creator ; avant d'}' monter, chacune s’incline devant la supérieure, réservée pour être immolée la dernière, et lui demande, en vertu de la sainte obéissance, la periaission de mourir. A Valenciennes, les Ursulines marchent au supplice en chantant les litanies de la Sainte Vierge et le Te Deum ^ et disent aux soldats de l’escorte : « Nous prierons le Seigneur qu’il vous ouvre les yeux. » A Orange, les religieuses de Bollène baisent l'échafaud, remercient leurs juges, pardonnent à leurs bourreaux, pendant que les spectateurs murmurent : « La religion seule peut inspirer tant de courage et de sécurité. » Les quatre

religieuses d’Arras portent sur la tête, comme une couronne, leur chapelet qu’on y a posé par dérision : arrivée sur l'échafaud, la dernière exécutée, la Sœur Fontaine, renouvelant une prophétie qu’elles avaient déjà faite à plusieurs reprises, crie : « Chrétiens, écoutez-moi. Nous sommes les dernières victimes. Demain, la persécution aura cessé, l'échafaud sera déti’uit et les autels de Jésus-Christ se relèveront glorieux, v La prédiction s’accomplit à la lettre pour la région d’Arras : quelques jours après leur mort, la guillotine dressée sur la grande place de Cambrai fut démontée, et les tribunaux révolutionnaires d’Arras et de Cambrai cessèrent leurs fonctions.

On trouve d’aussi beaux traits dans l’histoire des prêtres martyrs. A Paris, raconte Mgr de Bruillart, — qui, dans ses jeunes années, y avait, sous le nom de Philibert, vécu caché, en visitant les lidèlcs et en administrant les sacrements, — u on a vu des prêtres, sur les charrettes, occupés à confesser leurs voisins. On en a vu un, entre autres, ancien vicaire général, vieillard respectable, confesser avec autant de calme son voisin que s’il eût été dans une église, au milieu de la paix la plus complète » (cité par SadaTiÉ, Le tribunal révolutionnaire de Paris, p. 298). Quand l’abbé de Fénelon, fondateur de VOKuvre des Petits Savoyards, après avoir pendant sa détention cvangélisé la maison d’arrêt du Luxembourg, fut, quoique octogénaire, conduit, en 1794, à l'échafaud, plusieurs de ses petits protégés voulurent le suivre jusque-là (ibid., p. 348-345). A Laval, M. Turpin de Cormier, monté sur l'échafaud, récite le Te Deum, puis baise avec respect la planche couverte du sang de treize de ses confrères (Leclbrcq, t. XI, p. 876). M. Pinot, curé de Saint-Aubin-du-Louroux-Béconnais, dans le diocèse d’Angers, avait, le 23 janvier 1791, dans son église même, refusé le serment, après avoir exposé éloquemment aux lidèles les raisons de son refus. Banni de sa paroisse, il demeura caché dans le pays, menant pendant trois années la vie du missionnaire, pleine de privations et de périls. Découvert et arrêté le 9 février 1794 » il fut, le 21 du même mois, traduit, à Angers, devant une commission militaire. Après l’avoir condamné à mort, comme <( convaincu de conspiration envers la souveraineté du peuple français », ses juges lui demandèrent s’il voudrait être conduit à l'échafaud dans le même costume. « Oui, répondit-il, vous ne pouvez me faire un plus grand plaisir. » « Dès le soir, — ajoute M. Gruget, — la sentence fut exécutée. Il fut conduit au supplice avec tous les ornements dont les prêtres se servent pour offrir le saint sacrifice, et il mourut ainsi, à l’exception de la chasuble qui lui fut ôtée avant d'être mis sous le couteau » (voir Mémoires et Journal de l’abbé Gruget, Angers, 1902 ; marquis t)B SÉGUR, Un admirable martyr sous la Terreur, Paris, 1904 ; F. UzuREAU, Noël Pinot, curé du LourouxJléconnais, guillotiné à Angers le 21 février ]791, Angers, 1912 ; Leclercq, t. XII, p. 2-46). Noël Pinot n’est pas le seul prêtre exécuté de la sorte : le 5 mars 1794, Jacques-Philippe Michel, jnêlre de l’Ardèche, caché depuis deux ans à Montpellier, où il remplissait avec un zèle admirable ses fonctions auprès des lidèles, fut condamné de même à être guillotiné « avec les habits ci-devant sacerdotaux ». Ajoutons (car il faut quelquefois montrer jusqu'à quel point le ridicule se mêlait à l’odieux) que les magistrats du tribunal criminel de l’Hérault, qui condamna ce martyr et un grand nombre d’autres prêtres insermentés, avaient pris, pour se conformer au calendrier républicain, des noms de fruits et de-