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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/234

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MARTYRE

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pour être conduit au supplice, les soldats et les gardiens s’agenouillèrent devant lui pour recevoir sa bénédiction : en montant sur l’cchafaud, il entonna le Te Deum (Leclbrcq, t. XII, p. tf]).

Le régime de la Convention avait, à cette date, fait place à celui du Directoire. Mais la situation des prêtres réfraclaires était restée la même. Quand, dans l'été de 1797, une loi, rendue sous la pression de l’opinion publique, les eut enfin rappelés, le coup d’Etat du 18 fructidor (4 septembre 1797) — dont M. Madelin a montré « le caractère nettement antichrétien », — la déchira presque aussitôt, et lit revivre les anciennes rigueurs, a Parle décret du 19 fructidor non seulement toutes les lois contre les prêtres insermentés, leurs receleurs et leurs ûdèles, ont été remises en vigueur, mais encore le Directoire s’est attribué d’abord le droit de déporter, « par arrêté individuel et motivé », tout ecclésiastique « qui trouble la tranquillité publique », c’est-à-dire qui exerce son ministère et prêche sa foi, et, de plus, le droit de fusiller, dans les vingt-quatre heures, tout prêtre qui, banni par les lois de 1792 et I7g3, est resté en France. » (Tainb, Origines de la France contemporaine. La Révolution, t. III, 1888, p. 601). Il est triste de dire qu’un évéque constitutionnel, jaloux de voir son Eglise réduite presque à néant, et les ûdèles se rallier en masse autour des prêtres insermentés <i lit chanter des Te Deum pour remercier Dieu d’avoir rouvert l'ère des proscriptions. » (Pisani, Répertoire biographique de Vépiscopat constitutionnel, Paris, 1907, p. 358)

Il Aucune de ces dispositions n'était sanguinaire, dit Thibrs, car le temps de l’effusion du sang était passé. » (^Histoire de la Révolution française, t. IX, Paris, 1845, p. 287) On ne peut se tromper plus complètement. D’octobre 1797 à mars 1798, des commissions établies à Paris et dans les grandes villes recherchèrent les prêtres rentrés dans leur patrie. Laissant de côté celles de Marseille et de Toulon, sur lesquelles il ne se trouve pas suffisamment renseigné, M. Victor Pierre compte, poiu- les autres, pendant cette période, la condamnation à mort de trente et un ecclésiastiques abusivement qualifiés d'émigrés, reotrés en France pour y exercer leur ministère, et tombés victimes d’une criminelle légalité. L’historien donne, sur la mort de quelques-uns d’entre eux, les détails les plus édifiants et les plus touchants (Les émigrés et les commissions militaires, dans Revue des Questions historiques, oct. 1884, p. 556-094 ; La Terreur sous le Directoire, Paris, 1887, p. 144-161).

Goutrelesprêtresqui, accusés simplement de « troubler la tranquillité publique », c’est-à-dire, selon le mot de Taine cité tout à l’heure, « d’exercer leur ministère et de prêcher la foi », le Directoire a une autre arme, moins sanglante, mais non moins meurtrière, la Cl guillotine sèche » de la déportation. Il y a tant de manières de a troubler la tranquillité publique » I Les uns sont déportés simplement pour avoir secoué « les brandons de la discorde », d’autres pour avoir rappelé aux acquéreurs de biens nationaux les obligations de la justice chrétienne, d’autres pour avoir enseigné aux fidèles la nécessité du mariage religieux, d’autres pour avoir fait des baptêmes et des mariages et en avoir tenu registre, d’autres pour avoir annoncé les offices pai- le son des cloches. Un grand nombre sont déportés pour avoir rétracté des serments prêtés parfaiblesse, ou pour avoir conseillé oureçula rétractation de tels serments ; un plus grand nombre encore pour n’avoir pas prêté non seulement le serment à la Constitution civile du clergé et le serment de liberté-égalité, mais encore tous les serments ordonnés depuis, comme la déclaration de soumission aux lois, exigée par les décrets du 1 1 prairial an III (30 mai 1795) et du 7 vendémiaire

an IV (20 septembre 1795), elle serment de haine à la royauté et à l’anarchie, prescrit par la loi du 19 fructidor (sur les polémiques entre catholiques au sujet de ces deux derniers serments, voir Picot, .Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique pendant le XVIH' siècle, éd. 1856, t. VL p. 459-464, et MÉRic, Histoire de M. Emery, t. I, 1885, p. 435-436 et 463). Tels sont les motifs indiqués dans les arrêtés portant la signature des directeurs RevellièreLepeaux, Merlin, Treilhard, Rewbell ou Sieyès, qui condamnèrent des prêtres à être déportés, et qu’a publiés M. Victor Pikrrb dans son curieux livre, Xa Déportation ecclésiastique sous le Directoire, Paris, 18g6. Du 4 septembre 1797 au 9 novembre 1799, près de trois cents prêtres furent déportés à la Guyane, douze cents internés dans la citadelle de l’ile de Ré et dans l'île d’Oleron (Victor Pierre, I.a Terreur sous le Directoire, p. 14-15 ; Lemonnier, La fin de la déportation ecclésiastique dans les (les de Ré et d’Oleron (1802), dans Revue de Saintonge et d’Aunis, t. XXIII, ig13, p. 5-87), a sans parler, ajoute M. Madelin, des 8.235 prêtres raflés dans les départements belges. Et encore se plaint-on de n’en pouvoir pas plus saisir, à cause du dévouement que leur montrent

« d’aveugles agricoles ». De fait, partout les paysans

cachent leurs curés : en messidor an VI, le Directoire s’indignera que les habitants donnent asile aux prêtres, « fléaux cependant plus redoutables que les voleurs et les assassins ». (L. Madelin, La Révolution, 5" éd., Paris, 1914, P- 499)

Parmi les prêtres condamnés à la déportation par un simple trait de plume, sans instruction et sans examen, la mortalité fut effrayante. En Guyane, plus de la moitié périrent. Mais ces confesseurs de la foi avaient eu le temps d’exercer, là où cela avait été possible, leur apostolat parmi les indigènes, et d'édifier leurs ennemis eux-mêmes par la pureté de leurs mœurs et leur résignation dans la soullrance. Un déporté politique, qui les avait vus de près, et qui n’est point suspect de partialité religieuse, l’ancien membre du Conseil des Anciens Bardé-MarBOis, écrit dans son Journal d’un déporté non jugé :

« Tous ceux qui moururent là-bas y sont vénérés

comme des martyrs. »

L’héroïsme des membres du clergé demeurés fidèles pendant la tourmente révolutionnaire a été ainsi jugé par Taink : « Ils s'étaient laissé dépouUler : ils se laissaient exiler, emprisonner, supplicier, martyriser, comme les chrétiens de l’Eglise primitive ; par leur invincible douceur ils allaient, comme les chrétiens de l’Eglise primitive, lasser l’acharnement de leurs bourreaux, user la persécution, transformer l’opinion et faire avouer, même aux survivants du dix-huitième siècle, qu’ils étaient hommes de foi, de mérite et de cœur. » (Origines de la France contemporaine. La Révolution, t. III, p. 415)

Nous n’avons pas parlé du clergé constitutionnel, c’est-à dire des prêtres devenus schismatiques en prêtant serment à la constilution civile du clergé ou en acceptant d’elle des fonctions. Eux-mêmes ne furent pas épargnés : ils fournirent quelques noms à la liste des déportés, beaucoup plus de noms à celle des exécutés : le titre de prêtre, de quelque faiblesse que se fiit rendu coupable celui qui le portait, suffisait à rendre suspect. Si plusieurs de ceux qui furent ainsi frappés méritent peu d’estime, et se montrèrent devant la mort très inférieurs aux prêtres fidèles (cf. la Relation d’un contemporain, Mgr de Bruillart, citée par Sabatik, p. 348), d’autres doivent être jugés avec plus d’indulgence. « Parmi ces derniers, il s’en trouva qui protestèrent contre le mariage des prêtres, autorisé par les lois jacobines ; on les poursuivit et ils furent incarcérés.