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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/255

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MATERIALISME

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entre les deux, « elles vont jusqu’à se nier l’une l’autre ». o Du moins nous ne saurions comment définir l’intelligence et la force, siée n’estcomme immatérielles, excluant naturellement la matière ou lui étant opposées. » Qu’est-ce à dire ? Biichner serait-il dualiste ? Nullement : il veut simplement accentuer sa critique de la « loi de Vogt » ; — ou, du moins, il se liàte de noyer cet embryon de distinction entre matière et intelligence « sous la rapide succession des phrases » (H. Langb). L’intelligence est un mode spécial d’activité, résultant de l’organisation spéciale du cerveau. Cela est si vrai, que l’homme doit sa supériorité intellectuelleaux dimensions, à la délicatesse de structure, au système de circonvolutions, à la richesse en composés pliosphorés, de son cerveau.

3. Le rnui, Inconscience personnelle, résulteaussi de l’activilé cérébrale, dépend des sensations. C’est une illusion d’y voir une entité immuable, illusion basée sur une certaine continuité des sensations ; en réalité, le moi se développe avec le cerveau, il change constamment par le renouvellement de la matière cérébrale, il peut disparaître momentanément sous l’effet paralysant de l’hypnotisme, ou même à jamais par destruction d’une partie du cerveau.

l). La volonté libre, encore une illusion ; nous sommes nécessairement soumisauxlois qui régissent toutes choses, tout en nous est déterminé par les influences diverses que nous subissons ; incapable de choisir le bien, l’homme qui fait le mal est digne de pitié, non de châtiment.

5. L’immortalité de l’âme, bien entendu, n’est qu’une cliiuière ; l’âme n’étant que l’activité du cerveau, (I l’enchainement des forces diverses réunies en unité, l’effet d’une concurrence de beaucoup de substances douées de forces et de qualités », il est évident que, cet assemblage détruit, l’âme n’est plus.

On a souvent fait observer que Biichner manque complètement d’idées personnelles ; son mérite, dit Paul Janet, c’est d’avoir a rassemblé ce qui était épars, lié ce qui était incohérent, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, et cela dans un livre court, rapide, clair, bien composé ». (Ze matérialisme en Allemagne, 1864) Ce jugement est trop flatteur ; on y tient compte à Biichner du service rendu « en nous donnant un adversaire à combattre au lieu de ces fantômes insaisissables qui, flottant sans cesse entre le matérialisme et le spiritualisme, ne permettent de les atteindre en aucun endroit ». (P. Janet, Ibid.) Il est évident que longueurs et redites abondent dans le livre’de Biichner, et que tout n’y est pas clair ; il serait aisé de montrer que les incohérences n’y sont pas rares. Le mot « Matérialisme » lui-même, le plus positif des termes philosophiques, est pris par B. en des sens très divers : c’est tantôt ce que tout le monde entend par ce vocable, tantôt un synonyme de « Réalisme » ou d’  « Empirisme » ; parfois même il désigne le <t Scepticisme » ; de même le mot « Idéalisme » prend chez B. nombre de significations, parmi lesquelles celle d’Orthodoxie. Biichner étant arbitraire et indécis dans l’emploi des concepts, remarque Lange, « il ne peut naturellement être regardé comme le représentant d’un

« principe nettement exprimé, déterminé et positif.
« Il n’est tranchant, impitoyable et logique que dans

la négation ». (Lange, 1. c.) En définitive, ce n’est pas encore Louis Biichner qui réussit à faire du Matérialisme un système coordonné d’une manière satisfaisante, o Ce que, dans ces derniers <t temps, Feuerbach, Vogt, Moleschott et autres ont

« fait dans ce but, écrit un compère, ne consiste
« qu’en afllrmations, en suggestions partielles qui
« sont loin de satisfaire celui qui cherche à appro(I fondir la question. » (H. Czolbe, Nouvel exposé

du sensualisme, 1855)

— H. CzoLBE mériterait plus qu’une brève mention, dans une histoire systématique du Matérialisme. Mais comme il est fort peu connu parmi nous, et que d’ailleurs il se qualifie de « sensualisle », on se contentera ici de donner sur son compte de brèves notes :

I. Son but : la réforme de la morale, laquelle a le tort, juge-t-il, de reposer sur des bases métaphysiques. Le premier principe moral doit être : Contentetoi du monde donné. « Les besoins dits moraux, nés

« du mécontentement que nous inspire la vie terrestre, 

pourraient, avec une justesse égale, être appe-II lés immoraux… Oui certes, le mécontentement que (1 nous inspire le monde des phénomènes… est une Il faiblesse morale. »

2. Le moi en.montrer que le monde donné, exclusion faite de tout n suprasensible », de toute force et de tout être transcendant, se suflil ; pour cela, ramener tout à la matière et à ses mouvements. Czolbe l’avoue, l’élimination du « suprasensible >/ peut être traitée de préjugé, d’opinion préconçue. De proche en proche, il est conduit à mettre en son système tout autre chose que les simples mouvements de la matière, auxquels il pensait tout d’abord s’en tenir : ainsi, il admettra une espèce d’  « âme du monde », composée de sensations invariablement liées aux vibrations des atomes ; ces sensations, en se condensant et en se groupant dansl’organisme humain, y produiraient les effets d’ensemble qu’on appelle la vie de l’âme ; ainsi encore, Czolbe en vient à admettre des formes organiques fondamentales, groupes d’atomes liés de toute éternité, dont l’agencement en mécanismes plus complexes forme et explique les organismes.

3. Au reste, Czolbe n’a guère d’illusions : « Je puis

« bien me figurer, dit-il, comment on méjugera, car
« il me semble à moi-même que les conséquences, 
« auxquelles le principe m’a conduit nécessairement.

Il m’ont fait entrer dans un monde d’idées féeriques. » {Formation de la conscience.) — Jamais il n’a cru que le Matérialisme fût imposé par les faits : « J’ai, Il dit-il au contraire, toujours été| persuadé que les Il faits de l’expérience externe et interne se prêtent Il à bien des interprétations diverses, et peuvent Il aussi, avec un droit inconstestable et sans aucune

« infraction à lalogique, s’expliquerthcologiquement

Il ou spirituellement par l’hypothèse d’un deuxième monde. » (Limites et origines de la connaissance humaine, 1865.) Et ailleurs : « J’atteste que ce qui

« me force à nier l’immatérialité de l’âme, ce n’est

Il ni la physiologie ni le principe rationnel de l’exclusion du surnaturel, mais avant tout, le sentiment Il du devoir envers l’ordre naturel de l’univers ; cet

« ordre me suffit. » (Lim. et or.)

Au fond, Czolbe fut un idéaliste, rêvant d’une morale esthétique d’où la lutte serait bannie, et qui reposerait sur la bienveillance mutuelle des hommes. On sait si nous avons vu naître et mourir des morales sans métaphysique : leurs inventeurs paraissent à peu près découragés, et bornent maintenant leurs ambitions à faire une science des mœurs.

— David-Frédéric Strauss, connu parmi nous comme auteur d’une Vie de Jésus qui inspira celle de Renan, fut aussi un matérialiste, converti de l’hégélianisme. Son dernier ouvrage (l’ancienne et la nouvelle foi, 1872) exprime « le dernier mol que l’auteur eiit à dire au monde ». Après deux chapitres préliminaires, où nous apprenons : — i) que nous ne sommes plus chrétiens, mais — 2) que nous avons encore de la religion, si l’on veut dire par là que nous sentons notre dépendance vis-à-vis des forces