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MATERIALISME

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psychologie, et cela va nous conduire à notre critique générale du Matérialisme.

3" Psychologie de Hæckel. — Relevons d’abord une équivoque, relative au mot naturel. Ce terme se dit, en général, de tout ce qui appartient ou convient à une nature, à une chose donnée, quelle qu’elle soit ; mais sur les lèvres de Hæckel parlant psychologie, naturel veut dire physiologique : un phénomène psychique naturel, est un phénomène susceptible d’une explication purement physiologique, c’est-àdire, en Un de compte, matérialiste ; et ce qui ne comporterait pas semblable explication, ne serait pas naturel, selon la langue de Hæckel. Or cet accaparement d’un vocable commun en faveur d’une vue très personnelle, n’est pas tout à fait innocent : il permet d’accoler aux idées combattues les fâcheux et injustesqualilicatifs de mystiques, âe surnaturelles, de transcendantes. Assaréiæal, une psychologie est jugée, qui admettrait une âme surnaturelle, une conscience transcendante, et des idées mystiques : la conscience est un phénomène naturel, on ne saurait en douter ; l'àme est tout aussi naturelle, et nul spiritualiste ne le contesta jamais. Seulement, reste à savoir quelle est la nature de l'âme, la nature de ces « phénomènes merveilleux de la raison et de la conscience ».

Nous avons dit l’opinion de Hæckel : ii) l'âme n’est qu’un « concept collectif désignant l’ensemble des fonctions psycitiques du plasma » (p. 123) ; — h) la conscience, ou intuition interne, n’est qu’une partie de l’activité psychique supérieure (p. 211) ; — c) or l’activité psychique supérieure se ramène an x « processus de la vie psychique inférieure)>(p. 106) ; — d) car elle dépend du cerveau : on a découvert (Flechsig) les « véritables organes de la pensée », les « organes de notre conscience », et l’on sait que des lésions cérébrales ont leur retentissement dans la conscience (p. 211-14). Bref, il n’y a pas d'àme-substance, mais des phénomènes psychiques, et ceux-ci sont sous la dépendance du cerveau. Ces idées de Hæckel, tout matérialiste les a toujours partagées, elles constituent le fond et l’essence du système. Il nous reste â les juger.

II) Afin de pouvoir commencer par une concession, reprenons ces idées en remontant : — i) Il est très vrai que tous les phénomènes psychiques se trouvent, de façon ou d’autre, sous la dépendance du cerveau ; si on l’a contesté, c’est chez les spiritualistes cartésiens, ou bien chez nos contemporains parallélistes. Mais un autre courant spiritualiste a toujours existé, autrement profond que celui qui se rattache à Descartes, plus proche de la complexe réalité, qui comporte un regard plus aigu et plus soutenu sur les modalités de la vie de l’esprit : le spiritualisme historique d’AnisTOTB et des Scolastiques n'éprouve, lui, ni difficulté sérieuse ni fausse honte à faire son profit des progrès de la physiologie, et à trouver une place, dans ses cadres, aux faits rappelés par Hæckel, tout comme à ceux de la psychologie expérimentale. Volontiers nous le reconnaissons : si, pour défendre le spiritualisme, il fallait attribuer à l’homme une vie intérieui-e parfaitement à l’abri de toute influence physiologique ou même externe, il serait très vrai de dire que les faits et les vraisemblances sont contre un dualisme si radical. L’homme est un seul être, où tout, de près ou de loin, peut influer sur tout : voilà qui est entendu.

a) C’est une tout autre question, de décider en quoi consiste la dépendance de la vie de l’esprit vis-à-vis du cerveau : confondre deux choses, par la raison que l’une exerce sur l’autre quelque influence, est un procédé trop simpliste 1

Or l’identité de la pensée et de phénomènes

cérébraux quelconques, est totalement inadmissiblecela, pour des raisons de fait très nettes et très positives, qui établissent avec certitude l’immatérialité intrinsèque de certaines de nos opérations psychiques, en particulier de nos idées intellectuelles, des idées proprement diti-s. (Voir : Ame humaine.)

Matérialisme et sensualisme s’elTorcent bien de confondre les idées avec les images, mais la tentative est vaine : un exemple vaudra mieux ici que de longues explications. Comparons l’idée de triangle, et l’image interne qu’on peut se former d’un triangle : pour l’intelligence, le triangle est une figure — toute figure — fermée par trois lignes ; c’est là toute l’idée de triangle, idée très précise. Or il est essentiel de le remarquer : cette idée s’applique, avec la plus parfaite exactitude et avec une perfection égale, à ioHS les triangles possibles, et à tous à la fois, quelque différents qvi’ils soient entre eux : équilatéraux, scalènes ou isocèles, peu importe. Peu importe encore que la figure soit sur un plan ou sur une surface courbe, de courbure d’ailleurs quelconque : tous les triangles sont également une figure fermée par trois lignes. Au contraire, l’image d’un triangle, la figure triangulaire que j’imagine, est inévitablement ou scalène ou isocèle ou équiangle, sans que jamais elle puisse être à la fois scalène et, par exemple, isocèle ; si ses éléments sont rectilignes, ils ne peuvent être en même temps curvilignes, et ils sont forcément l’un ou l’autre… C’est pourquoi aucune image de triangle ne répond avec une perfection égale à tous les triangles possibles ; qu’un triangle imaginé représente précisément certains triangles, par le fait même il ne se projette plus exactement sur les autres, il n’est pas leur image. L’idée de triangle, elle, est l’idée de tout triangle. C’est là une différence, et aucune négation n’est capable de la supprimer. Inutile de recourir aux images « composites » : elles représentent par à peu près quelques individus assez ressemblants entre eux, et c’est tout. Rien de cet à peu près ni de ces restrictions, dans le cas de l’idée : l’idée est universelle, l’image est particulière.

Ce caractère distinctif, bien compris, trace une limite infranchissable entre le domaine sensible et le domaine vraiment intellectuel. Si l’image est forcément /)ar/ic(i/ière, cela tient à sa nature de représentation sensible : non pas seulement représentation d’un objet sensible (ceci ne la distingue pas nécessairement de l’idée, dont l’objet peut être sensible aussi, comme dans notre exemple), mais encore et surtout représentation sensible elle-même, matérielle en un sens très vrai, en même temps que psychique : parce que matérielle, cette représentation n’est superposable (en imagination) qu'à des objets déterminés. Il en serait de même de l’idée (intellectuelle), si elle aussi était matérielle par quelque côté. Si donc elle exprime avec une perfection totale et uniforme les objets (dans le cas, les triangles) les plus divers, c’est que l’idée, considérée en elle-même, intrinsèquement, n 'es(^/us matérielle à aucun degré. Caractère matériel d’un côté, caractère immatériel de l’autre : en voilà bien assez pour mettre entre l’image et l’idée une irréductible opposition ; et les i< admirables ressources » de l’Evolution ne peuvent rien là-contre.

3) Après cela, il importe assez peu de savoir au juste en quoi consisteet comment s’exerce l’influence de la vie sensible sur la vie intellectuelle, et vice versa ; de préciser en quel sens large, très large, on peut parler des organes de la pensée ». N’eussionsnous, sur ces points et bien d’autres semblables, que de simples conjectures, les faits demeurent, et nulle théorie ou doctrine n’a le droit d’en rejeter systématiquement une catégorie ou l’autre.