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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/292

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MIRACLE

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qu’il était. Du moment que la preuve de ceci est faite, la profession des témoins importe peu.

E. — Le* foutes : contagion menlate et haltticinalions collectives. — L’infériorité critique des foules peut être envisagée à deux points de vue différents. On peut se plaindre que l’examen des faits y soit difficile, parce que l’observateur s’y trouve noyé, parce que les rumeurs y naissent, indéfinies et vagues, susceptibles de grossir en circulant. H n’y a là qu’un ensemble de phénomènes « orHiflHo-. Ces inconvénients d’ailleurs ne sont ni universels ni insurmontables. Certains événements sont assez visibles pour qu’un nombre considérable de personnes puissent s’en assurer à la fois' ; bien souvent d’ailleurs, chacun peut les revoir à loisir et les vérifier en son particulier ; et même dans une foule, — nous en avons tous fait l’expérience, — un homme avisé n’est point fatalement entraîné par le courant des nouvelles diffuses, dont l’origine lui échappe. La multitude a d’ailleurs certaines supériorités sur les témoins isoles. Si les individus qui la composent demeurent dans leur état normal, ils constituent un tribunal, où des juges nombreux, divers d’opinions et de caractères, font des critiques indépendantes qui se contrôlent l’une l’autre, où la publicité même de l'épreuve est une garantie contre la fraude.

Mais la pathologie des foules nous ouvre un autre point de vue. Elle nous signale l'éclosion dans les multitudes de phénomènes anormaux. Dans les fouies, la persuasion se produit sans motifs de raison, sans moyens logiques ; l’idée, l’image deviennent hallucinatoires ; la contagion mentale se propage. La cause principale des hallucinations collcclives est ce que l’on a appelé « l’attention expectanle. »

« L’attente, dit Renan, crée d’ordinaire son objet. » 

Ces phénomènes morbides se produisent, d’après le D' Gustave Le Bon, même dans les groupes restreints. i< Dès que quelques individus sont réunis, ils constituent une foule… La faculté d’observation et l’esprit critique, possédés par chacun d’eux, s'évanouissent aussitôt. »

Dans ces théories, il y a incontestablement une par ! de vérité. L’attention expectanle peut,e « des circonstances spéciales, produire l’hallucination. La contagion mentale est un fait. Mais il ne faut pas ériger l’anomalie en règle universelle. Il n’est pas vrai que des personnes normales, par le seul fait qu’elles font partie d’une foule, perdent leur don de voir et de juger, pour devenir aveugles et hallucinées. La personnalité ne s’abolit point dans ce milieu ; les opinions divergentes y subsistent. L’allluence des croyants dans les lieux où le miracle est censé s’opérer ne suffit pas à en évincer les incroyants. C’est ce que nous voyons de nos jours à Lourdes. Une foule peut être divisée. Dans ces grandes nappes humaines circulent souvent des courants de sens contraire, aussi puissants les uns que les autres. Et alors les atlirmations des croyants exaltes se heurtent à des oppositions fortes et à des contrôles dépourvus d’indulgence. Il n’y a que Renan pour risquer, d’une plume alerte, ce gros aphorisme que

« l’attente crée d’ordinaire son objet ». On voit bien

souvent à Lourdes, l’attente la plus passionnée, le désir le plus impérieux du miracle, les supplications les plus enllammées n’aboutir à rien. Les cas d’hallucinationscolleclives des foules sont une exception. Nous nous sommes tous mêlés plus d’une fois à des foules, même enthousiastes, sans avoir rien constaté de pareil. En somme, une foule est bien plus souvent non-hallucinée qu’hallucinée.

Du reste, sous sa forme radicale, et telle que la professe le Dr G. Le Bon, la théorie aboutit à des

conséquences vraiment absurdes, a II n’est pas besoin, dit cet auteur, qu’une foule soit nombreuse » pour être suspecte d’hallucination… Cela edmis, il n’y a pas de témoignage historique qui puisse tenir. On pourra tout nier en se référant à l’hallucination collective. La concordance même des observations, loin d'être une garantie, deviendra une raison de se mélier.

F. — Les croyants. — 'Voici la classe la plus importante des témoins récusés, celle en qui l’on a cru découvrir le plus de vices rédhibitoires. La foi religieuse, dit-on, donne à l’esprit le pli de la crédulité ; elle l’habitue à s.'incliner devant l’irrationnel ; elle tue en lui la faculté critique. D’autre part, elle attaque la moralité de l’homme : elle donne naissance à la passion religieuse, pour qui le juste et l’injuste n’existent plus, mais seulement l’intérêt d’une cause sacrée… Ainsi parlent Hume, Renan, et des milliers d’autres. Il nous faut discuter à fond ce réquisitoire.

1° Pas de connexion constante entre la foi et l’erreur ou la fraude.

a) Les faits d’erreur ou de fraude allégués à la charge des croyants n’autorisent aucune conclusion générale. Que ceux-ci aient compté dans leurs rangs des naïfs et des dupes, aussi nombreux qu’on le A’oudra, que l’intérêt de la religion ait parfois inspiré des supercheries, cela ne suffit à établir aucune liaison constante entre les croyances religieuses et ces misères. Pour avoir prouve que certains croyants sont des témoins récusables, on n’a pas créé une prévention d’ensemble contre tous les témoignages des croyants.

0) Aussi bien, des faits non moins caractéristiques peuvent être allégués en sens inverse. Ils sont même si nombreux, et si évidents pour un esprit non prévenu, qu’on éprouve, à le faire, quelque embarras. La chasse à l’erreur et à l’imposture a été menée vigoureusement, par exemple, dans l’intérieur du christianisme, du catholicisme. De robustes croyants, qui n'étaient certes touchés d’aucun scepticisme à l’endroit du miracle, s’y sont employés. Par exemple, les jésuites belges, qui ont rendu célèbre le nom de Bollandisles, se sont fait, depuis le dix-septième siècle, bien des ennemis par leur impitoyable franchise eu matière d’hagiographie. Les enquêtes épiscopales ou poiitilicales sur les phénomènes merveilleux aboutissent à en éliminer plus des deux tiers. La suspicion de fourberie, que Hume et Renan essayent de faire planer sur tous les croyants, pour atteindre, en particulier, les chrétiens, est spécialement mal l’ondée. Une alliance naturelle entre la foi chrétienne et la malhonnêteté serait une chose bien étrange. Dans le christianisme, en effet, le mensonge est un péché. Cela est écrit en vingt endroits de l’Ancien et du Nouveau Testament. Et le service du Dieu des chrétiens n’autorise point à mentir : Numquid indi^et Deiis mendacio i’estro ?… En vérité, ne serait-il pas psychologiquement invraisemblable qu’un précepte aussi net s’obscurcit toujours, comme par enchantement, chez les personnes qu’on nous représente justement comme les plus zélées au point de vue religieux ? Quel incroyant, de bonne foi lui-même, et de sang-froid, oserait affirmer qu’il en est ainsi ? Quel est celui qui ne connaît point, parmi les chrétiens dont il est entouré, quelques âmes assez haiil>-s pour être incapables de s’abaisser à la supercherie religieuse ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que la sincérité et l’honnêteté ne sont pas le privilège des incrédules.

c) Bien plus, l’incrédulité peut, elle aussi, s’allier avec les défauts dont on accuse la foi d'être la source. Les incroyants ne sont pas tous des gens