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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/345

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MODERNISME

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octobre igo5, p. 4061. Les dernières lignes de ce passage onl été légèrement atténuées par Tyrrell dans rliroiigh Scylla and Charybdis, p. 208.)

Celte description s’éclaire encoi’e si l’on compare l’une à l’autre, dans leurs traits principaux, la notion catbolique et la notion moderniste de la révélation : Pour le catholique, les vérités que Dieu nous révèle sont, en partie du moins, hors de noire portée naturelle ; nous ne les pourrions connaître s’il ne nous les avait manifestées par une bonlé gratuite. Pour, 1e moderniste, toutes les vérités religieuses sont implicitement contenues dans la conscience de l’homme ; Sci lia and Cliaryhdis, p. 277 :

« Parce que l’homme est une partie et une parcelle

de l’univers spirituel et de l’ordre surnaturel, parce qu’en Dieu il a sa vie, son mouvement et son être, la vérité de la religion est en lui implicitement, aussi sûrement que la vérité de tout l’univers physique est enfermée dans chacune de ses parties. S’il pouvait lire les besoins de son esprit et de sa conscience, il pourrait se passer de maître. Mais ce n’est qu’en tâtonnant, en essayant telle ou telle suggestion de la raison ou de la tradition, qu’il découvre ses besoins réels. »

Il suit de là que, pour le catholicfue, la révélation est essentiellement la communication d’une vérité ; pour le moderniste, elle est essentiellement l’exaltation ou l’excitation du sens religieux. De là ces antithèses où ils aiment à opposer l’une à l’autre les deux doctrines : « La révélation appartient plutôt à la catégorie des impressions qu’à celle de l’expression

« ; Ib., ). 280 : « Révélation belongsrather to tlie

category of impressions than to that of expression. »

« La révélation n’est pas une afDrmation mais une

expérience » ; Ib., p. 280 : « Révélation is not statement but expérience. » C’est dans le même sens qu’un protestant, M. Wilson, écrivait : « La révélation n’est pas une instruction mais une éducation. >> Cambridge tlieological Esxays^ p. 287 : Révélation is éducation, not instruction. »

Pour le catholique enlin, c’est Dieu qui par la révélation communique à l’homme une vérité ; pour le uioderniste, c’est l’homme qui se parle à lui-même :

« C’est toujours et nécessairement nows-mèmes, 

qui nous parlons à nous-mêmes ; qui (aidés sans doute par le Dieu immanenl) élaborons pour nous-mêmes la vérité. » Scylla and Cliarybdis, p. 281 :

« There it is ahi’ars and necessarily ve ourselves

who speak to ourselves : who (aided no doubt by tlie immanent God) Tvork out truth for ourselves. » (Souligné par l’auteur)

De ces deux conceptions foncièrement opposées, que catholiques et modernistes se font de la révélation, découlent nécessairement deux appréciations contradictoires de sa valeur de vérité.

Pour le catholique, cette vérité est absolue, puisqu’elle vient de Dieu ; elle ne consiste point d’ailleurs dans l’adaptation de notre croyance à nos besoins religieux, mais dans sa conformité avec la réalité divine qu’elle a pour objet. « La foi, disait jadis saint Irénée, s’appuie sur les choses qui sont réellement, et ainsi nous croyons à ce qui est, et tel que cela est ; et parce que nous croyons à ce qui est, tel que cela est, notre assurance est entière. » (Démonstration de la prédication apostolique [Leipzig, 1907I, ni, p. 3. Trad. française [Berthoulot et TixerontJ âans Hecherclies de science religieuse, 1916)

Le moderniste ne peut avoir cette assurance : l’action divine ne se termine point immédiatement à la communication d’une vérité, mais à la propagation d’une vie ; la conception intellectuelle, ou le dogme, est le fruit d’une réaction purement humaine ; elle

n’est donc pas directement garantie de Dieu, et n’a d’autre titre à notre respect que son rapport avec l’émotion religieuse qui l’a fait naître’.

En résumé, nous avons ici une inversion du rapport iondamental qui fonde la vérité de la foi : pour le catholique, la révélation est une communication surnaturelle qui impose à la foi son objet, et la foi à son tour est la règle de la piété subjective ; pour le moderniste, la révélation est une émotion qui excite la piété, et la piété à son tour engendre la foi. Dans le premier cas, la vérité de la foi est absolue et lui vient de sa conformité avec son objet ; dans le second elle est relative, et lui vient de son rapport avec le sentiment religieux. C’est, en d’autres terræs, ce c^u’énonçait SahalicT (Esquisse, p. 268) : « Le phénomène religieux n’a donc pas que deux moments : la révélation objective comme cause, et la piété subjective comme elTet ; il en a trois, qui se succèdent toujours dans le même ordre : la révélation intérieure de Dieu, laquelle produit la piété subjective de l’homme, laquelle, à son tour, engendre les formes religieuses historiques. » Cette thèse n’est qu’une application du principe philosophique énoncé plus haut : « Puisque notre vie est pour chacun de nous… l’unique absolu, tout ce qui en émane et tout ce qui y retourne, tout ce qui en alimente et en enrichit le développement, a également la valeur d’un absolu. »

Il est facile maintenant de comprendre le retentissement qu’auront ces diiïérentes thèses sur la conception de la révélation chrétienne, de sa transmission, de l’adhésion que nous lui devons.

Le catholique croit que toutes les vérités de foi qu’il possède lui viennent du Christ et des apôtres. Dieu, avant la venue de Notre-Seigneur, avait bien des fois parlé aux hommes, en particulier par les prophètes. Mais sa révélation suprême nous a été donnée par son Fils. Depuis lors, sans doute, le ciel n’est pas fermé ; mais les paroles divines qui retentissent au fond de nos cœurs, quelque précieuses et chères qu’elles nous soient, ne nous révèlent point des mystères nouveaux et n’ont point pour nous la certitude infaillible de la révélation publique et officielle, qui est le patrimoine de tous les chrétiens et que l’Eglise nous transmet.

Nous n’avons point l’illusion de reporter à l’origine de notre foi chrétienne les formules que l’Eglise a depuis élaborées peu à peu. Nous savons que la connaissance religieuse qui procède immédiatement de la révélation n’a point la forme d’une théologie ;

l. « En quel sens, dit Tyrrell, les révélations religieuses sont-elles divinement autorisées.’Quelle sorte de vérité leur est garantie par le sceau de l’esprit.’D’accord avec ce qui précède nous devons répondre : Une vérité qui est directement une vérité pratique, une vérité de préférence, une vérité appro-ximative, et seulement indirectement une véiité spéculative. Ce qui est directement approuvé, d’une façon pour ainsi dire expérimentale, cest une manière de vivre, de sentir, d’agir en relation avec l’autre mon de. Les conceptions explicatives et justificatives que notre esprit construit par lui elTort délibéré [ou même par une activité spontanée et nécessaire] comme postulées par cette manière de vivre, ne sont point directement approuvées de Dieu ; [elles sont tout au plus une réaction purement naturelle de l’esprit humain répondant à une excitation surnaturelle du cœur]. De plus, l’approbation divine donnée à une voie, à une vie, et donc indirectement à la vérité explicative, n’est guère qu’une approbation de préférence, recommandant une alternative, non comme idéale, comme parfaite, mais comme une approximation vers l’idéal, comme un mouvement dans la bonne direction. » The Rights and Ijmits of llieulogy [Quarterly Heview, octobre 1905), p. 4f17. En reproduisant son article dans Scylla and Cliarybdis (p.’210), l’auteur a eftacé les mots que j’ai mis entre crochets.