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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/479

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MOYEN AGE

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elle donne au pape et à beaucoup d'évêques et d’abl)cs des territoires où ils sont souverains ; le pouvoir temporel du pape et les principautés ecclésiastiques sont issus de la même source et ont disparu sous l’empire de la même cause, à cette diirérence près que l’Etat de l’Eglise a survécu presque un siècle aux autres principautés ecclésiastiques. Ajoutons que le pape, comme chef de la société religieuse, est coUaleur de la couronne impériale ; il est suzerain de royaumes qui se sont spontanément faits ses vassaux (Deux-Siciles, Aragon, Angleterre) ; s’il ne dispose pas des couronnes royales, en général, il revendique et exerce le droit de délier les sujets du serment de fidélité à des rois indignes.

.Cependant, tout en brisant l’unité politique du monde ancien pour en tirer la nation moderne, le mojen âge n’a pas renoncé entièrement à l’institution majestueuse qui représentait autrefois l’unité, c’est-à-dire l’Empire. Il en a gardé le titre et les insignes et il se persuade volontiers le continuer. L’Empire est resté dans les imaginations comme un rêve prodigieux ; ce rêve reprend corps avec Cliarlemagne et si, après lui, l’idée impériale pâlit, ses successeurs les plus rigoureux, Othon 1, Henri III, Frédéric Barberousse, s’en font les représentants énergiques. Les prétentions rivales des papes et des empereurs n’ont jamais été complètement conciliées pendant tout le temps que l’idée impériale a subsisté. Selon la doctrine pontificale, le pape avait le droit de choisir comme aussi celui de déposer l’empereur ; selon les impérialistes, non seulement l’autorité impériale n'émanait pas du pape (déclaration de Rentz, 1338), mais l’empereur avait même le droit de nommer celui-ci, la pratique du xi' siècle et les nombreux antipapes de création impériale veulent que pour les empereurs ce droit ne restât pas confiné dans le domaine de la théorie.

La persistance du titre impérial n’est pas le seul legs de l’antiquité au moyen âge ; nous retrouvons soniniluence très vivace dans le domaine intellectuel, où deux noms, ceux d’AnisTOTn et de Virgile, résument en quelque sorte le prestige immense et presque surnaturel dont la pensée antique jouissait dans l’imagination médiévale. Dante, qui est dans l’ordre intellectuel le représentant le plus complet du moyen âge, appelle Arislote le maître de ceux f/iii stifeiit et se proclame l'élève reconnaissant de Virgile. A partir du xi= siècle, une troisième autorité antique viendra prendre place à côté d'.ristote et de Virgile dans le culte fervent des hommes du moyen âge : ce sera le Corpus Juris Cifilis de Justinien, qui devait exercer à la longue une action des plus fâcheuses sur le développement de la société politique. Ce qui est digne de remarque toutefois, c’est que, pendant la plus grande partie du moyen âge et surtout aux jours de son apogée, la pensée chrétienne garda sa forte originalité, malgré des influences si considérables. Le moyen âge se mettait volontiers à l'école de l’antiquité païenne pour apprendre d’elle le trésor de ses connaissances et la méthode de l’investigation ; mais il les faisait servir à l'édifice de la civilisation chrétienne, dont le plan lui était fourni par l’Evangile. C’est seulement lorsque les humanistes, enivrés du vin de l’antiquité, oublièrent de se retremper aux fortes sources de l’Evangile, que la société dévia vers le paganisme : il est vrai qu’alors la période du moyen âge était close.

Si, ces réserves faites, on veut pénétrer au cœur de la société du moyen âge pour voir en quoi elle est nouvelle et se distingue de la société antique, on remarquera que, sous l’influence du christianisme, l’orientation de la vie individuelle et le but de la vie sociale sont complètement transformés. Les esprits dirigeant s

du moyen âge ne conçoivent la vie d’ici-bas et par suite la société elle-même que comme une préparation à une vie et à une société meilleure, qui est le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu est un idéal dont chaque individu doit tâcher de se rapprocher, autant que possible par l’application du commandement nouveau, qui est l’amour de Dieu pardessus toute chose et l’amour du prochain comme soi-même pour l’amour de Dieu. La pénétration graduelle de la société moderne par cet idéal constitue en dernière analyse le fond de l’histoire du mojen âge ; elle a eu des résultats presque incalculables, dont il faut nous borner à signaler ici les principaux.

Dans l’antiquité, la société humaine ne savait ni d’où elle venait, ni où elle allait ; elle plaçait dans ce monde la réalisation plénière des destinées humaines ; son passé et son avenir étaient couverts d'épais nuages. L’homme ne connaissait et n’aimait que sa patrie, et dans sa patrie que ses égaux ; l'étranger et l’esclave étaient sans droit ; la perfection de l’individTi était d’ordre intellectuel, c’est-à-dire aristocratique et, en dernière analyse, égoïste. La société du moyen âge a une idée très nette et très claire des problèmes (pie l’antiquité laissait sans solution ; par delà la Cité, elle voyait l’Eglise, c’est-à-dire l’humanité ; elle s’intéressait à toutes les âmes, surtout aux plus déshéritées ; la perfection, pour elle, était d’ordre moral. La civilisation antique ne savait qu’absorber ou anéantir les autres civilisations ; celle du moyen âge reconnaissait à toutes un droit d’existence, mais les groupait pacifiquement dans une unité plus haute qui était la communion des saints. Cette largeur de cœur dilatait l’horizon intellectuel lui-même, on s'élevait à l’idée de l’humanité, de la fraternité de tous les hommes descendants d’un même père, de la fraternité de tous les peuples. L’historiographie chrétienne, inaugurée au iv* et au v^ siècle par Eusèbk et par saint Augustin, introduisait pour la première fois dans les chroniqueurs du moyen âge l’idée d’une histoire universelle.

Outre cette dilatation de l’idée d’humanité et de civilisation, nous avons â noter les traits caractéristiques suivants, qui creusent entre le moyen âge et l’antiquité une ligne de démarcation profonde.

Distinction da spirituel et du temporel, sur la base de la parole évangélique : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (5. ilathieu, XXII, 21 ; Marc, xii, 17 ; lue, xx, 25). Il y a au moyen âge et il y aura désormais, tant que subsistera l’humanité, deux sociétés, la religieuse et la politique. La question de leurs rapports est, de tous les problèmes qui se sont posés au moyen âge, le plus élevé, le plus vaste, le plus permanent ; il se pose encore de nos jours et se posera aussi longtemps qu’il y aura une humanité. Le moyen âge ne l’a pas résolu, puisqu’il en avait deux solutions opposées ; le protestantisme a essayé de l'écarter par son principe cujus regio ejus religio ; la civilisation moderne ne p, iralt pas sur le point de lui donner une solution définitive. Mais, quoi qu’il en soit, c’est la distinction du temporel et du spirituel qui a introduit et qui maintient dans le monde la grande notion de la liberté de la conscience.

! >uppression de l’esclavage. — En principe, l’esclavage est incompatible avec le christianisme, qui

veut que l’on obéisse à Dieu plutôt qu’aux hommes : aussi a-t-il été d’emblée supprimé en droit (v. la lettre de S. Paul à Philémon), et graduellement en fait, moins encore par la multiplication des afTranchissements que par l’adoucissement progressif de la condition faite aux esclaves. C’est en violation de l’esprit de l’Eglise qu'à certaines époques on a