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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/481

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MUSIQUE RELIGIEUSE

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religieiiK, qu’elle le soit dans l’acception double et dans la plénitude du mot, liant ou " reliant », du li*n esthétique le plus étroit et le plus fort, premièrement Dieu avec les hommes, et puis les hommes entre eux. On a souvent nommé la musique l’art socioloj, Mque ou social. Nous l’appellerons, nous, charitahle et fraternel. Aucun art mieux que celuilà ne sait agir sur la multitude et la rassembler, créer entre des centaines, des milliers d'êtres, non seulement l’union, mais l’unanimité. L’areliilectnre elle-même, à cet égard, possède une moindre puissance. Asile de la foule, une catliédrale en est pour ainsi dire l’expression aussi, mais immobile et muette. La musique en est l'àme, une ànie qui se meut et qui chante.

Rapprochés les uns des autres par la musique, nous le sommes, par elle également, de Dieu. Rappelez-vous le vers du poète : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde. » La musique est la forme la plus pure de ce dialogue nécessaire et mystérieux. Dans la question, fort obscure, on le comprend, et sans doute insoluble à jamais, des origines de l’art musical, riiypolhèse de l’origine religieuse n’apparaît pas comme la moins défendable. Et surtout, entre la religion et la musique, pour peu qu’on y réfléchisse, de naturelles conformités apparaissent. A quel art, et par un plus juste privilège, serait dévolu l’ordre ou la catégorie supérieure de l’idéal, si ce n’esta celui-là, dont la matière, aflinée et subtile, a le moins de consistance, le moins de persistance aussi, puisqu'à peine formée en quelque sorte, elle se dissipe et s'évanouit.

Sur les correspondances profondes de la musique et de la religion, le Chaleauluiand du Génie du Cliristiiinisme a dit des choses un peu vagues, et de fort belles choses. « Le chant nous vient des anges et la source des concerts est ilans le ciel. » Cela pevit faire doute. Mais ceci est plus sur : « Toute institution qui sert à purilier l'àme, à en écarter le trouble et les dissonances, à y faire naître la yertii, est, par cette qualité même, propice à la plus belle musique, ou à l’imitation la plus parfaite du beau. Mai ? si cette institution est en outre de nature religieuse, elle possède alors les deux qualités essentielles à l’harmonie : le beau et le mystérieux. oEnlin ce qui suit, particulièrement la remarque dernière, pour être d’un grand poète, en prose, n’en est pas moins d’un historien et d’un philosophe de la musique religieuse : ^ C’est la religion qui fait gémir, au milieu >de la nuit, les vestales sous ses dômes tranquilles ; c’est la religion qui chante si doucement au bord du lit de l’infortuné. Jérémie lui dut ses lamentations, et David ses pénitences sublimes. Plus lière sous l’ancienne alliance, elle ne peignit que des douleurs de monarques et de prophètes ; plus modeste et non moins royale, sous la nouvelle loi, ses soupirs conviennent également aux puissants et aux faibles, parce ([u’ellca trouvé dans Jésus-Christ l’humilité unie à la grandevir. >

Entre la religion et la musique, d’autres rapports existent, plus simples, plus précis, et qui peuvent s’exprimer avec plus de précision et de simplicité. Par exemple, on voit tout de suite comment la musique touche en quelque sorte de plus près que les autres arts à la vérité religieuse : il’ov’i la faculté, pour elle, d’y être plus profondément conforme ou contraire. La peinture, la sculpture, ne représentent de Dieu que l’apparence sensible, l’humanité et la mortalité qu’il a prise comme nous et pour nous. Mais la musique se lie — avec quelle étroitesse I — à la parole, au Verbe même, au Verbe qui était dès le commencement, qui était en Dieu, qui était Dieu. La musique d'église, la musique à

I l'église, n’accompagne et ne traduit pas seulement la prière, ou ce que nous disons à Dieu, mais ce que Dieu nous a dit et continue de nous dire : d’où la nécessité d’une appropriation plus stricte et plus sévère. Un tableau d^ Uubens ou de Véronèso, une statue du Bernin sera moins déplacée dans le sanctuaire, qu’une mélodie de salon ou d’opéra. L’architecture même, plus symbolique et plus idéale que la peinture et la statuaire, est pourtant moins que la musique la servante de la liturgie. Elle a le droit de construire la maison de Dieu suivant des types divers. La messe peut se dire partout ; mais nulle part elle ne se dit qu’en des paroles invariables et consacrées. Etsi la formede l'édilice importe moins que celle du chant, c’est que l’architecture ne fait pas corps avec les paroles mêmes ; c’est que, sans leur cire étrangère, elle leur est du moins extérieure. La mélodie au contraire est en elles ; elle les inspire et les anime, elle leur est en quelque sorte incorporée. Sur la vertu religieuse de la musique, les Docteurs de l’Eglise ontabondammenl raisonné. Saint Thomas peut-être a le mieux connu la nature, posé les principes et proclamé l'éminente dignité de la musique sacrée. « La louange vocale, a-t-il dit, est nécessaire pour élever les cœurs vers Dieu. Tout ce qui donc est capable de produire cet heureux effet, peut être employé dans la louange de Dieu. » (II » 11"=, q. gi, art. 2) La musique, observe til encore, accroît la piété des saints et la contrition des pécheurs. Elle soulage ceux qui sont accablés, elle nous fortilie dans le combat et nous relève après la chute. Enfin, — et ce dernier effet n’avait peut-être pas été signalé, — elle insiste plus que la parole sur les mots, c’està-dire sur les pensées ; elle s’y attarde, elle y revient s’il le faut, et devant les yeux de l’esprit elle arrête ainsi plus longtemps la vérité. Ce que nous devons chanter à Dieu, ou devant Dieu, c’est sa grandeur, sa bonté, et c’est aussi nos péchés. Ainsi la musique religieuse exprimera notre admiration, notre gratitude et notre pénitence. Unis par elle à Dieu, nous le serons encore entre nous, entre nous tous. Dans le cœur de chacun, elle créera comme une région d’innocence (regionem innocuam) où se répare l’injustice mutuelle, où s’cITace le mal que les hommes se font. La musique alors, humainement et divinement religieuse, aura rempli sa mission tout entière. L’Eglise n’a pas seulement, par la voix de ses Pères et de ses docteurs, parlé de lii musique ; par la volonté, par les décrets de ses papes, pour elle et sur elle, afin tantôt de la contenir et tantôt de l'étendre, elle a constamment agi. « A peine l’Eglise, au IV" siècle, est-elle libre de se développer, que nous voyons le chant liturgique être l’un des objets des préoccupations de ses pontifes. >i (M. A. GasTouii, l’art grégorien) De la (in du vi' siècle à nos jours, de saint Grcgoii-e à Pie X, à travers le Mojen Age, la Renaissance et les temps modernes, l’histoire sidt la glorieuse et longue théorie des Papes musiciens. L’influence de la foi s’est même répandue au delà du sanctuaire et la musique extra-liturgique en a ressenti le bienfait. Un saint aimable a créé l’oratorio, et depuis trois cents ans les innomlirables chefs-d'œuvre de ce genre ou des genres connexes, voire quelques chefs-d'œuvre de théâtre, en certaines pages du moins, ont été jusque dans le « monde », ou le « siècle », des messagers, des témoins assez éloquents et fidèles de l’idéal religieux.

L’Eglise enlîn s’intéresse à la musique au delà de la mort, ou plutôt elle ne veut pas que la musique meure. Dans le Purgatoire et dans le T’aradis, Dantk nous a montré mélodieuses et chantantes les âmes des pénitents et celles des bienheureux. Il assure même ([ue la voix des élus, par eux de nouveau