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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/634

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ORIGÉNISME

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à la Trinité, en s’inspirant des autres écrits d’Origène ; il laissa le reste à peu près intact. Ce traitement’ne devait pas suffire à désarmer la critique ; et aujourd’hui nous inclinons à croire que les plaies auxquelles Kulin porta remède n’étaient pas les plus profondes. La controverse arienne est passée, volontiers on excuse chez un Père du iii= siècle des incohérences de langage qui, au siècle suivant, ont dû faire scandale. Origène a d’ailleurs trop souvent affirmé la coéternité, la parfaite égalité, et en somme la consubstantialité des trois personnes divines, pour qu’on puisse, à un degré quelconque, le tenir pour un ancêtre d’Arius. Mais le souci d’inculquer, en regard du polythéisme, la prérogative du Père, source de la divinité, devait fatalement se traduire alors par des énoncés peu précis, tranchant la procession du Fils et de l’Esprit-Saint jusqu’à paraître impliquer une réelle infériorité. Il nous en coûte moins aujourd’hui de faire crédit à Origène sur la doctrine de la Trinité, et d’admettre que sa pensée, pour imprécise qu’elle soit, vaut mieux que son expression. Telles ces ébauches de maîtres, où le même détail a été repris vingt fois : les traits s’entre-croisent, cherchant diversement la vérité de l’image ; on ne saisit la résultante que dans un certain recul. Avec un magnifique optimisme, l’artiste a laissé subsister tout le faisceau dans l’œuvre définitive, sans prendre garde aux maladroits qui, en isolant un trait, prendront le change sur l’ensemble. Plus délicat est le jugement à porter sur la doctrine concernant les créatures. A lire le Contra Celsum ou les traités exégétiques, on goûte souvent le plaisir d’une admiration sans mélange, tant la pensée se déroule opulente et saine. De loin en loin quelques détails surprennent, quelques doutes surgissent, mais qui paraissent négligeables devant une si réelle plénitude de sens chrétien. L’impression change si l’on quitte l’œuvre d’Origène pour les Origeniana de Huet : cette vaste compilation, où sont cataloguées et classées méthodiquement les assertions d’Origène, oblige à reconnaître que, durant toute sa carrière, les principales chimères du Periarchon ne cessèrent de hanter son esprit. On ne les reconnaîtrait pas toujours si l’on n’était averti, d’autant qu’elles sont parfois comme voilées. Le christianisme vrai et traditionnel, dont vivait Origène, devait nécessairement l’amener à restreindre ses horizons et à surveiller sa pensée. De ces vastes ensembles où nous Tavons vu prodiguer les siècles et les mondes, il retient surtout l’idée d’une Providence attentive à parfaire ses élus, à travers les vicissitudes de la vie présente. Il lui arrive d’enfermer nettement la destinée humaine dans ses limites réelles et de lui assigner, pour terme définitif, soit l’éternelle vue de Dieu, soit l’éternelle réprobation. Surtout il repousse l’idée d’une conversion du diable, et s’indigne qu’on puisse lui imputer une telle folie. Mais il n’a pas abjuré pour autant l’hypothèse de la préexistence des âmes, et caresse encore le rêve du salut universel. Comme il faut désespérer de l’accorder parfaitement avec lui-même, il faut également renoncer à prononcer sur l’ensemble de son œuvre une sentence toute d’éloge ou toute de blàrae. Le loyal et vaillant Athanase, qui s’en inspire souvent sans s’y asservir, le sage Didyrae, qui le commente et le ramène à l’orthodoxie, paraissent en somme les juges les plus équitables, aussi bien que les plus qualifiés, du grand Alexandrin.

Le geste de Sisyphe, roulant persévéramment un rocher vers une cime inaccessible, symbolise assez bien l’effort du penseur autodidacte que fut Origène, pour amener son bloc d’hypothèses jusque sur les

hauteurs commandées par sa foi. Effort voué à un échec certain. La postérité ne peut se défendre d’admirer l’énergie du géant, mais elle constate la folie de l’entreprise.

Au VI’siècle, les assertions les plus capiteuses du Periarchon montèrent au cerveau de quelques moines palestiniens. Telle fut alors la fermentation malsaine des esprits que l’origénisme parut dégénérer en panthéisme émanatiste. Les textes retenus par le filtre de Justinien ne montrent Origène responsable de ces excès que si on les glose ; mais on comprend que l’Eglise ait jugé nécessaire d’endiguer le flot menaçant. De là les anathènies conciliaires qui associent le nom de n l’impie Origène Il aux noms des Arius, des Nestorius et des Eutychès. Ces anathêmes visent l’œuvre, dont une partie méritait une telle disgrâce. L’homme demeure grand par le génie et plus encore par le cieur.

La conclusion dogmatique est très bien dégagée par Mgr Freppel, Origène, t. II, p. 428 :

Nous tenons pour un fuit certain que l’auteur du Periarchon a été condamné par quatre conciles généraux, et tous les efforts que l’on tentera pour obscurcir cette vérité historique ne serviront qu’à la mettre mieux en lumière. C’est de la mauvaise critique que de vouloir se tirer d’embarras en supprimant les pièces du procès, et en traitant d’apocryphe tout ce qui contrarie une thèse préconçue. En pareil cas, il faut savoir accepter franchement les données de l’histoire, au lieu d’ébranler la certitude du témoignage par des négations peu mesurées. L’essentiel, c est de bien fixer le sens des jugements rendus contre Origène par les pouvoirs de l’Église. Sur ce point, la maxime de Huet restera comme le vrai mot de la question : « Si l’on entend par hérétique un homme qui erre sur un dogme de la foi, il est impossible de ne pas appliquer à Origène cette qualification ; mais si l’on veut désigner par là celui qui manifeste l’intention de persévérer dans son erreur, lors même qu’elle aurait été réprouvée par l’Église, qui oserait dire pareille chose d’Origène ? » C’est dans le premier sens, et nullement dans le second, que les conciles ont condamné l’auteur du Periarchon, Car il est évident qu’un homme ne peut pas devenir plus hérétique après sa mort qu’il ne l’était pendant sa vie. Or. de son vivant, Origène n’avait pas songé un instant à rompre la communion avec l’Église.

Bibliographie. — On ne cherchera pas ici une bibliographie complète d’Origène, que fourniraient d’autres recueils ; mais seulement l’indication des principaux ouvrages à consulter pour l’appréciation des doctrines origénistes. On peut nommer, selon l’ordre des temps : Sixte de Sienne, O.P., dans sa Bihliotheca sacra (Venise, 1566 : renouvelle la tentative paradoxale de Rufin, De adulteratione lihrortim Origenis, pour rejeter sur des faussaires malveillants la responsabilité des écarts doctriaaux d’Origène). — G. Genebrard, O. S. B., éditeur d’Origène, Paris, ib-j !). — P. Halloix, S. J., Origelies defensiis, Leyde, 16^8 fol. Apologiste oulrancier d’Origène. — P. D. Huet, évéque d’Avranches, Origeniana, Rouen, 1668, fol. Ce vaste travail, exempt de parti pris pour ou contre Origène, demeure fondamental pour l’étude détaillée de la doctrine. Il a été reproduit par Delarue dans son édition d’Origène, i 733-1759 ; on le trouvera dans Migne, P. /.., XVII, avec des notes empruntées pour une part à l’évêque anglican Georges Bull, Hefensio fidei Nicænae, Oxford, 1685-1688, qui estime l’enseignement d Origène pleinement conforme à la foi de Nicée, et à Dom P. Maran, Diviniias Domini Nostri Jesu Christi manifesta in Scriptiiris et Traditione, Venise, i’746. — E. R. Redepenning, Origenes. Eine Darstelliing seines l.ebens und seiner Lettre. Bonn, 1841 et 1846, 2 iu-8. Travail olijectif, d’un protestant qui a longuement étudié Origène. — Al. Vincenzi, In S. Gregorii