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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/679

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PAPAUTE

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La question à résoudre était la suivante : le Tu es Petrtis est-il authentique et non pas interpolé?

Nous avons passé en revue les arguments qui établiraient l’interpolation ; et nous avons constaté combien ils sont inefficaces.

Par ailleurs, non seulement tous les manuscrits et toutes les versions présentent le Tu es Pelnis coiniae autbentique en saint Matthieu ; mais de manifestes citations et allusions témoignent positivement de son emploi continuel au quatrième et au troisième siècle, et même de son existence avérée en plein deuxième siècle. Quant au silence Je Marc et de Luc, il fournil un nouvel indice contre l’interpolation et pour l’authenticité.

A vrai dire, parmi les textes de l’antiquité profane les plus universellement admis, en est-il beaucoup dont l’authentique attribulion repose sur un pareil ensemble de témoignages concordants ?

C’est donc à bon droit que la plupart des critiques libéraux, d’accord avec tous les catholiques et presque tous les protestants orthodoxes, avouent que le Tu es Pelrus, dans sa rédaction actuelle, n’est pas interpolé, mais appartient certainement et aulhentiquement à l’Evangile grec selon saint Matthieu.

Reste maintenant à étudier si notre texte reproduit une parole véritable de Jésus-Christ, ou bien s’il n’est pas l'œuvre artificielle du rédacteur évangélique.

Ce sera le problème d’historicité.

a" Le Tu es Pelrus est-il historique, et non pas rédactionnel ? — Les critiques libéraux sont unanimes à nier que le Tu es Petrus, dans sa formule actuelle, reproduise une parole véritable de JésusChrist.

Quand ils avouent que ce texteappartientauthentiquement à l’Evangile grec selon saint Matthieu, ils n’entendent donc pas reconnaître pour autant son historicité. Ils considèrent, en effet, la promesse adressée à l’apôtre Pierre par Jésus-Christ, comme étrangère à la tradition primitive, et comme élaborée, peu à peu, entre la Passion du Sauveur et la composition de notre Evangile : c’est-à-dire pendant une période longue, d’après eux, non pas seulement de trente ou quarante ans, ruais de soixante ou soixantedix ans. Le Tu es Pelrus devrait être ainsi attribué

« à une couche secondaire, probablement à la dernière couche du travail rédactionnel d’où est sorti

le premier Evangile ». Tel est le sentiment de M. Alfred LoisY (Les Evangiles synoptiques, t. U, p. 2-15. Ceffonds, 1908. In-8). Nommons, parmi ceux qui, en France, ont adopté une position analogue : Jean Rbville (Les Origines de l'épiscopat, p. 31-43. Paris, 1894. In-8), Auguste Sabatirr ([.es Religions d’autorité et la Religion de l’Esprit, p. 209-212. Paris, 1904. In-8), M. Charles Guionebïrt (Manuel d’histoire ancienne du christianisme. Les Origines, p. 226a31. Paris, 1906. In-16. — Modernisme et traditian catholique en France, p. 89-91 et 119-125. Paris, s. d. <1908). In -12).

On peut ramener à quatre chefs les arguments et les hypothèses qui, d’après ces divers critiques, permettraient d’affirmer l’origine rédactionnelle du Tu es Pelrus :

Le contexte de saint Matthieu lui-même ;

Le silence de saint Marc et de saint Luc ;

Le caractère ecclésiastique du passage ;

Son caractère éhionite et judaïsant.

Nous allons donc examiner les quatre chefs de démonstration, et rechercher si, véritablement, ils excluent l’historicité de notre texte évangélique.

^, En premier lieu, on objecte le contexte, médiat ou immédiat, de saint Matthieu lui-même.

Tome III.

Le contexte médiat prouverait que Jésus-Christ n’entendait pas réserver à Pierre une prérogative comme celle dont le Tu es Pelrus fournit l’expression. Le contexte immédiat prouverait que le Tu es Petrus fait violence à la narration qui l’encadre.

Au sujet du contexte médiat, nous n’avons pas à répéter ce qui a été dit plus haut sur la place de Pierre parmi les apôtres. Jésus-Christ a fait suivre d’un précepte d’humilité les naïves et ambitieuses querelles entre disciples |)our le premier rang. Jamais, toutefois, il n’a exclu de son royaume, icibas, l’existence d’une primauté qui serait, non pas un honneur mondain, mais un n service « , un ministère, pour le bien spirituel de tous. Par ailleurs, dans l’ensemble du récit évangélique, spécialement chez saint Matthieu. Pierre apparaît toujours comme l’apôtre principal et privilégié. Voilà, certes, un contexte « médiat » qui n’est en rien défavorable au Tu es Pftrus. Inutile d’insister.

Mais, dit on, le premier Evangile attribue au Sauveur une déclaration manifestement incompatible avec le Tu es Petrus.

Notre texte contient les paroles suivantes : " Et tout ce ([ue tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux ; et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dansles cieux. » (Mutth, , xvi, ig)Or, le même évangéliste rapporte, quelques pages plus loin, une formule à peu près identique : i Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel ; et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » (Malth., xviii, 18)

De part et d’autre, puissance efficace et plénièrede

« lier et de délier ». Mais, dans le premier cas, visiblement, « il s’agit d’une prérogative spéciale et

unique accordée à Pierre ». Dans le second cas, ce même pouvoir est reconnu » à la masse des croyants », ou, pour parler plus juste, au collège apostolique toutentier. (Lesraisonshistoriques ne font certes pas défaut pour considérer le texte de.Vatth., xviii, 18, comme adressé uniquement au collège apostolique. Cf. LoisY, Synoptiques, t. II, p. 90, 91 ; mais ce serait sortir de notre sujet que de vouloir fournir ici cette démonstration.) Bref, entre les deux passages, apparaît une contradiction. « Il semble donc que, si xviii, 18 subsiste, xvi, 19, doivent tomber ; et vice versa. »

Dureste, pour la critique libérale, ni l’un ni l’autre des deux textes n’est historique et primitif. Mais ils sont regardés comme ne pouvant assurément pas remonter, l’un et l’autre, à la même date et à la même origine. Or, le second texte portant diverses marques d’antériorité relative, c’est le Tu es Pelrus qui se trouverait le moins historique et le moins primitif des deux passages opposés. (Henri Mon.mbr, Notion de l’apostolat, p. 136, iSj. Nous savons déjà que M. Monnier conclut, non seulement contre l’historicité, mais contre l’authenticité même du Tu es Petrus.)

Malgré lesaffirmationsconvaincues de certains critiques (Réville, Origines de l'épiscopat, p. 3 ; , 38. GuiGNEBERT, Manuel, p. îZo. Modernisme, p. 90), nous avons peine à comprendre cette incompatibilité radicale entre les deux textes de saint Matthieu.

Un souverain dit à un homme d’Etat : « Je vous confierai un portefeuille ministériel, avec la présidence du conseil. » Le même souverain dit ensuite à douze personnages politiques, amis les uns des autres, et parmi lesquels se trouve le futur premier ministre : « Messieurs je vous confierai, à tous, un portefeuille ministériel. » Prétendra-t-on que la seconde promesse détruise la première ? La charge de « ministre » garantie à douze hommes politiques est-elle incompatible avec la « présidence du conseil », déjà promise à un seul d’entre eux ?