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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/798

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PASCAL (LE PARI DE)

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calcul et par volonté, puisque nous ne pouvons l'être par conviction.

Telle est à première vue l’argunienlation de Pascal.

L’affaire de la foi, la grande affaire, nous est présentée comme une sorte de spéculation commerciale, qui se traite par chiffres. On dirait que Pascal nous fait l’article et qu’il com|)tc vraiment sur son ap|)areil malUématique pour nous entraîner dans la religion. Cela ne laisse pas de choquer, bien plus, d’irriter. Mais en même temps nous sentons vaguement qu’une vérité se cache derrière cette façade arithmétique. D’une part, nous nous disons : quand Pascal cherche à arracher la foi à notre volonté, il peut se tromper et nous tromper dans son calcul, mais au fund il a raison : c’est de la volonté que doit dépendre la foi. Si la foi pouvait ou surtout devait être le résultat d’une démonstralionintellectuelle.elleserait le privilège des intelligents. Elle serait, contrairement à la parole évangélique, aux atTirmations de Jésus-Christ, cachée aux petits et réservée aux sages. De plus, les habiles, les esprits déliés et rompus à la dialectique n’auraient aucun mérite ù croire, jmisque croire, en l’espèce, serait admettre des conclusions démontrées. Cela est inadmissible. Si on croit, ce ne peut être que parce qu’on le veut. — D’autre part, nous sentons et jusqu’au scandale, qu’il y a une erreur tout aussi grossière à estimer que la foi puisse dépendre purement et simplement d’un acte de volonté, résulter d’une sorte de calcul utilitaire où le facteur rationnel n’intervient jias, être assimilable ! même de loin à un pari. Celte foi n’est pas ce que les chrétiens entendent par foi et ce qu’il faut apjieIcr ainsi. Opter pour Dieu, parce que cette option entraîne le moins de risques, jouer sur lui, c’est sans doute se décider à faire comme si Dieu existait, ce n’est pas proprement confesser qu’il est. La foi, adhésion positive, ferme et intellectuelle, n’existe pas.

Ainsi, la pensée de Pascal, telle qu’elle nous est apparue jusqu'à présent, prête à deux genres de réflexions contradictoires. Car, d’une part, il semble qu’il faille l’adopter sous peine d’admettre un intellectualisme rigide qui fait de la foi une science ; et d’autre part, il semble qu’il faille la rejeter sous peine d’admettre un Gdéisme rationnel pour qui la foi n’est plus même une connaissance. Ne serait-ce pas le signe qu’elle tient compte de conceptions complémentaires, et qu'à mi-chemin entre des erreurs extrêmes, elle a le caractère complexe et équilibré de la vérité?

S’il fallail, pour arriver à cette vérilé que nous devinons présente à l’esprit de Pascal, dépasser Pascal, nous n’hésiterions pas. Les philosophes n’ont j>arlé que pour que nous puissions nourrir nos âmes de la vérité qu’ils ont découverte ou pressentie. C’est encore leur faire honneur, c’est les traiter <lignement que de rendre à la vie leur pensée jadis vivante, pour lui permettre de se compléter ou même de se corriger en nous. Mais pour demeurer dans l’orthodoxie, il n’est pas besoin de déjiasser Pascal ; il suffit, estimons-nous, de lui rester strictement fidèle.

Pour Pascal, la vérité chrétienne se pose en face de l’erreur rationaliste comme constituant avec elle les deux seules doctrines entre lesquelles a priori il y ait lieu d’opter, les deux seules vraisemlilables. Le bouddhisme, l'épicurisnie, le inahométisme, le judaïsme même ne comptent pas ; seul le christianisme mérite attention. C’est la position d’un honmie du XVII' siècle et Pascal entend qu’elle se justifie absolument : le rôle des miracles, des prophéties, des arguments généraux de l’apologétique classique.

n’est-il pas justement de privilégier la thèse chrétienne et catholique par rapport à toutes les autres ? I) autre part, la vérité chrétienne présente deux caractères distinctifs, spécifiques, qui entraînent chacun respectivemeut deux conséquences importantes :

I" La vérité chrétienne n’est jias une vérité abstraite, sans rapport avec la vie, dont le coeur et la volonté puissent se désintéresser. C’est, comme le dira OUé-Laprune, une lérilé morale. Toutes nos actions et nos ])ensées doivent prendre des routes bien différentes suivant qu’il est vrai ou faux que Dieu existe. Dès lors, cette vérité n’entre pas dans l'âme sans y susciter un parti d’opposition : tout ce qu’il y a en nous de mauvais et qui aimerait à s'émanciper, tout ce qui craint le joug, tout ce qui redoute le châtiment, tout ce qui tient au plaisir coupable, tout cela s’insurge… Et alors qu’une vérilé géométrique n’a qu'à se manifester à l’intelligence j)Our être admise, une vérité morale doit encore, pour assurer son empire, se fuire accepter par le cœur. De là le trouble et l’inquiétude, le malaise dont nous parlions tout à l’heure, et qui est l'état du libertin auquel on a o démontré » la re^gion chrétienne : il est ébranlé dans les assises de son esprit, et il résiste.

Conséquence : Pour arriver à la vérité chrétienne, il faut aller à elle non pas seulement a ec son intelligence, mais encore avec sa volonté. Il faut n’avoir point de préJMijé, d’hostilité a priori contre elle : il faut t^ainter j>our la connaître.

2 » La vérité chrétienne est surnaturelle. La raison ne peut la découvrir par ses projires moyens. Elle ne f>eut même strictement la percevoir avec ses yeux seuls, ni en sentir par elle-même toute la force.

Conséquence : Il faut, pour y accéder, un secours de Dieu, la grâce. Or, la grâce n’est pas quelque chose que nous puissions nous donner. Nous ne pouvons que nous y disposer. Et les dispositioi s à la grâce peuvent se résumer en deux mots : pureté et humilité ; se quitter soi et les plaisirs.

Du coup, la tâche qui incombe à l’apologiste se révèle à nous nettement déterminée. îl ne sullit pas de présenter la vérité à l’incrédule et de chercher à y attirer son esprit par des arguments. Cela est nécessaire, mais cela n’est pas tout. Il faut commencer par là, parce que l’homme, pour arriver à la foi, doit être mis en présence de l’objet à croire ; mais il ne faut point s’en tenir là, parce que les arguments n’opérant que sur l’intelligence préparent la certitude surnaturelle et ne l’engendrent pas. — Ce qu’il reste à faire, c’est la conquête de la volonté. Si le libertin résiste, sans avoir rien à redire aux preuves, c’est que son coeur n’est pas pris. Le rôle de l’apologiste qui eut aller jusqu’au boute : -t d’amener l’incnrlule à réaliser en lui-même les conditions stdijectites <e /fl foi. L’apologétique de l’intelligence doits’achevei jiar une apologétique de la volonté.

Comment convertir la volonté? C’est ici qu’intervient, selon nous, le fameux argument du Pari ; et c’est seulement quand on a posé le problème comme nous venons de le faire, que ce « pari » prend sa véritable signification. Pascal va « raisonner » U volonté, il va parler à l’incrédule comme on parle i un joueur, à un commerçant. C’est sa tactique originale, mais ce sera non pas, comme on l’a trop dit, pour lui extorquer une foi de calcul, une foi qui ne serait pas la Foi, mais jiour obtenir de lui, d’abord que, persuadé du bonheur de ceux qui croient, il les envie, désire leur ressembler ; ensuite, qu’il fasse les démarches nécessaires pour l’acquisition de la grâce, de laquelle seule viendra la foi. Ce sont les deux con-