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MARIE, MERE DE DIEU

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à la phrase un tour inlerrogalif : « Mon heure — celle <Ie la grande manifestation — n’esl-elle pas venue ? » Après le baptême dans le Jourdain, quand Jésus compte déjà des disciples, on peut croire en ell’el i(ue son heure est venue, et ce langage n’olTre rien d’invraisemblable. Ace compte, la requête de Marie n’aurait pas réellement bâté les premiers miracles de Jésus, et la réponse ne tendrait qu’à la rassurer tout en modérant son zèle. Sur cette le^on intéressante, voir Knabknbaubr, In luannem, p. 118 S(iq., i’aris, 1898.

Voici maintenant Jésus en plein exercice du ministère évangélique.

J)/a «., 111, 46-50 (Cf. ^f( ! rc., III, 31-35 ; iuc, viii, ig-21) :

Comme il parlait encore à la foule, voici que sa mère et ses frères se préseiilèient au dehors, cherchant ^ lui parler. Quoiqu’un lui dit : « N’oici que votre mère et vos frères sont là dehors, cherchant à vous parler. » Il répondit à celui qui lui avait adressé la parole : <* Qui est ma mère ot qui sont mes frères ? » Et étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. (^hiiconi[iie fait la volonté de mon Père qui est auK cieiix, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère. »

De cette scène, nous rapprocherons ; Matt., xiii, 54--^7 {Cf. Ma/ c., VI, 1-3 ; Lhc.^ 1 v, 32 : ïoaii, , vi, 42) :

Etant venu dans sa patrie, it eiiseignyil dans la synagogue ; et les gens étonnés disaient : <i D’où lui vient cette sagesse et ces miracles.’IS’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t elle pas Marie et ses frères Jacques, Joseph. Simon et.lude * Ses sœurs ne sont-elles pas toutes au milieu de nous ? D’où lui vient donc tout cela ? » Et ils se scandalisaient à propos de lui.

Ces deux récits, communs aux trois synoptiques, ont donné lieu : iode nier la perpétuelle virginité de Marie ; 2° d’affirmer que Jésus a publiquement renié sa mère, ou du moins l’a sévèrement réprimandée.

i"On comprend très bien que la vue de Marie, entourée des frères de Jésus, ait suggéré l’idée d’une mère entourée de ses propres enfants, d’autant que, après avoir nommé Marie, les évangélistes désignent les frères de Jésus par leurs noms et parlent aussi de ses saurs.

L’objection a été largement discutée à l’article FnÈRiîSDU Seigneur ; nous n’y reviendrons pas. Rappelons seulement que, jusqu’à la (in du iv= siècle, l’opinion d’HKOÉsiPPK resta commune dans l’Eglise : d’après cette opinion, les « frères de Jésus » seraient des enfants nés à saint Joseph d’un premier mariage. U était réserve à saint Jérôme de faire prévaloir une autre opinion : en défendant contre Helvidius la perpétuelle virginité de Marie, il en vint à allirmer que l’époux de Marie était lui-même resté vierge ; les frères de Jésus seraient plutôt des cousins nés d’une sœur ou d’une proche parente de la Sainte Vierge. La critique même incroyante reconnaît souvent la probabilité de cette opinion, en faveur de laquelle le sens catholique s’est décidément prononcé.

1° Reste la question du prétendu reniement — ou du reproche — infligé par Jésus à sa mère. Au deuxième siècle, Maiicion invoquait ce texte en faveur de son docétisme : Jésus aurait nié la nativité corporelle qui l’avait fait l’un de nous (VoirTiuiTUi-LiKN, IV Adi’. Marcionem, xix. xxvi ; De carne Cliristi, vu.

— d’Alès, Théologie de Tertullien, p. 170 et 188). Au siècle suivant, cette bizarrerie fut rééditée jiar Manias (Voir Âcta disputationis S. Arclielai ciun Manele, XLviii, P. G., X, 1508). De nos jours, on ne s’avise pas de mettre en doute l’Iiumanitc du Christ ; mais il n’y a vilenie qu’on ne lui prête pour faire injure à sa mère. Et parfois on s’appuie sur saint Jban Ciirysos-TOMK, qui, en quelques passages, rapiielle tro]) certaines lacunes de la christologie anliochienne. Dans les homélies sur saint Matthieu qu’il a prononcées à

Antioche, on lit à deux reprises que Jésus ne rougissait pas de sa mère, i)uisqu’il avait daigné naître d’elle, mais qu’il voulut lui donner une leçon. Marie aurait cédé à un mouvement de vanité ou d’ambition, en venant, devant la foule, jouir des succès de Jésus et faire montre de l’autorité qu’elle exerçait sur lui : Jésus aurait condamné publiquement cette jietitesse d’une âme féminine, floiii. xi.iv, i et xxvii, 3 ; J G. LVll, 464. 347.

A ces interprétations fâcheuses, le texte évangélique n’offre pas le moindre fondement. Il renferme un enseignement très élevé. Nous assistons à un partage de l’humanité, à l’occasion de la prédication de Jésus ; de ce partage, on ne saurait assigner d’autre principe que la foi, et la foi est le privilège d’un petit reste en Israël. Or nul, plus que Marie, n’excelle dans la foi ; elle n’a pas cessé d’être la vierge docile à la parole de l’ange, saluée par Elisabeth de cet éloge : « Bienheureuse êtes-vous d’avoir cru. » La parole de son Fils n’y contredit nullement.

Mais encore, que venait-elle faire, dans cette foule, elle d’ordinaire si retirée ; pourquoi venait-elle escortée des frères de Jésus’.' L’évangile ne nous le dit pas ; mais saint Marc — seul entre les évangélistes — raconte, au début de cette scène, que les « proches de Jésus » voulaient s’opposer à son apostolat, n’y voyant que l’eiTet irune exaltation morbide, et le jugeant peu sain d’esprit, Marc, , m 21 : ’iie/c-j -/àp crt éf£7T » j. Les frères de Jésus ne croyaient pas en lui {loan., VII, 5), et sa prédication ne connut pas de pire obstacle que l’incrédulité des siens, Marc, vi, 4. 5. Cette observation des évangélistes, touchant les frères de Jésus, non seulement n’atteint jias Marie, mais fait ressortir par contraste le mérite singulieide sa foi. On demande ce qu’elle venait faire, entourée lies frères de Jésus ? Mais ne venait-elle pas précisément s’interposer entre Jésus et l’incrédulité de ses frères ? Il y avait là un utile ministère à remplir. Et surtout, la parole où Jésus déclare tenir pour ses proches ceux qui font la volonté de son Père, ne renferme rien que d’honorable à Marie. — Cf. L. de Granumaison, Eludes, t. t ; XI, p. Sig-Saa.

Jésus oppose à la chair et au sangl’Esprit de Dieu, à ses proches selon la chair ses proches selon l’Esprit, à la Synagogue l’Eglise. ^ Cf. saint Hilaihe, In Matt., XII, 24, P. L., IX, qgS B., saint JiinôMB, In Matt., 1. II, XII, 49, A L., XXVI, 85 A. D’ailleurs contre personne il ne prononce a priori d’exclusion, et beaucoup moins contre Marie. Il ne tient qu’à ses proches selon la chair d’avoir part aux bénédictions des proches selon l’Esprit. Disons mieux : il fait implicitement le plus bel éloge de sa mère, si proche de lui selon la chair sans doute, mais bien plus proche selon l’Esprit.

U en est de même de cette parole, propre à l’évangile de saint Luc, que provoqua l’exclamation d’une femme du peuple, présente dans l’auditoire :

Luc, XI, 27 : ?8.

Tandis qu’il parlait, une femme élevant la voix, de la foule, lui dit : « Bienheureux lo sein qui vous a porté et les mamelles que vous avez sucées !.>.lésus répondit : « Plutôt bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent ! >

Dira-t-on qu’ici encore Jésus a renié sa mère ? Assurément non. Car l’éloge que nous venons d’entendre, nul ne le mérita au même degré que la vierge dont il est écrit par deux fois qu’elle gardait et repassait dans son cœur tous les enseignements divins offerts par la vie de Jésus (l.iic, ii, 19. 51). Mais celle parole de Jésus, comme la [larole dite au temple, comme la parole dite à Cana, tendait à relever vers le ciel les cœurs des enfants des hommes, appesantis par les choses de la terre. Loin de contredire cette