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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/940

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1867

PENSEE (LA LIBRE)

1868

l’importance d’une école philosophique. Antoinb | CoLLiNS publia en 17 13 son manifeste, qui eut un grand retentissement, mais fit un énorme scandale. Le livre fut aussitôt traduit en français sous ce titre : Discours fur la liberté de penser^ écrit à l’occasion d’une noui’elle secte d’esprits forts ou de gens qui pensent librement. Il tente de prouver la liberté de penser par les raisons suivantes : i" C’est un droit qui appartient à tous les hommes, fondé sur le droit que nous avons lovis de connaître la vérité, donc da la rechercher ; or notre raison est le seul instrument de recherche et de connaissance qui soit en notre possession. 2" C’est le seul moyen de se perfectionner dans les sciences. 30 Sans ce moyen, on tombe dans toutes sortes d’absurdités. 4° C’est agir contre la raison que de prescrire des bornes à notre pensée. — Ces assertions, dont on trouvera plus loin la réfutation, parurent tellement hardies que, malgré la liberté traditionnelle laissée en Angleterre aux manifestations de la pensée, l’auteur dut quitter Londres ot se réfugier en Hollande. Une fois à l’abri, il écrivit plusieurs autres ouvrages, notamment une réfutation du traité de Clarkc sur l’existence de Dieu. Toute l'écolepliilosophiqueanglaise entra dans cette voie. En 1778 fut publié ; i Londres un recueil périodique intitulé : The free thinker. Essays tif lyit and humour. Roungbhokb et Home nièrent avec audace les fondements mêmes du christianisme, qui avaient été protégés jusque-là contre toute discussion. On sait l’influence considérable que ces deux écrivains exercèrent sur le mouvement philosophique en France.

C’est par des traductions de Rolingbroke et de Hume que Voltairk commença son œuvre antireligieuse. Il y ajouta sa verve railleuse, qui supplée à la force du raisonnement ; voici comment, dans ses Dialogues philosophiques, il définit l’esclavage de l’esprit : « J’entends cet usage où l’on est de plier les esprits de nos enfants, comme les femmes caraïbes pétrissent les têtes des leurs ; d’apprendre d’abord à leurs bouches à balbutier des sottises dont nous nous moquons nous-mêmes ; de leur faire croire ces sottises dès qu’ils peuvent commencer à croire ; de prendre ainsi tous les soins possibles pour rendre une nation idiote, pusillanime et barbare ; d’instituer enfin des lois qui empêchent les hommes de parler et même de penser. »

Plus modérée de ton et peut-être plus perfide, l’Encyclopédie écrit à ce sujet : « La véritable liberté de l’esprit tient l’esprit en garde contre les préjugés et la précipitation. Guidée ])ar cette sage Minerve, elle ne donne aux dogmes qu’on lui propose qu’un degré d’adhésion proportionné à leur degré de certitude. Elle croit fermement ceux qui sont évidents ; elle range ceux qui ne le sont pas parmi les probabilités ; il en est sur lesqjiels elle tient sa croyance en équilibre ; mais si le merveilleux s’y joint, elle devient moins crédule : elle commence à douter et à se méfier des charmes de l’illusion. Elle ramasse surtout toutes ses forces contre les préjugés que l'éducation de notre enfance nous fait prendre sur la religion, parce que ce sont ceux dont nous nous défaisons le plus difficilement ; il en reste toujours quelque trace, souvent même après vous en être éloignés. Lassés d'être livrés à nous-mêmes, un ascendant plus fort que nous nous tourmente et nous y fait revenir. »

Les libres penseurs du xvin' siècle restèrent généralement déistes, mais appliquèrent tous leurs efforts i ruiner l’autorité des Livres saints et à saper les fondements de la religion catholique. On connaît le mot d’ordre que faisait circuler Voltaire : Ecrajia.'is l’infâme.

Les libres penseurs du xix* siècle ont poursuivi l'œuvre de leurs prédécesseurs, ils ont attaqué la religion naturelle elle-même. Des déistes comme Jules Si.MON et Paul Janet leur ont apparu comme des attardés, incapables de ralentir le mouvement destructeur. Ils ont d’ailleurs vainement essayé d'élever sur les ruines faites par eux un nouvel édifice intellectuel.

Les libres penseurs comprennent d’ailleurs la nécessité de remplacer ce qu’ils tentent de détruire, suivant le principe de Feuerbach : « C’est seulement sur le manque de justice, de sagesse et d’amour dans l’humanité que repose la nécessité de l’existence de Dieu. Il faut donc s’efforcer de rendre inutile la vie future par l’amélioration de cette vie ; de sorte que l’homme ne laisse pas échapper les biens de ce monde en attendant ceux du ciel, et qu’il préfère un bonheur limité, mais réel, à une félicité qui n’a d’existence que dans l’imagination… Tout homme doit se faire un Dieu, c’est-à-dire un but final de ses actes ; qui a un but, a une loi au-dessus de lui ; il ne se conduit pas seulement lui-même, il est aussi conduit par une volonté supérieure… Quiconque a un but, un but véritable, a, par cela même, une religion, sinon dans le sens borné de la-plèbe théologique, du moins, et c’est là l’important, dans le sens de la raison, dans le sens de la vérité. »

La plupart des écoles philosophiques contemporaines, comme le rationalisme, le positivisme, le matérialisme, n’ont de commun que le principe de la libre pensée ; leur divergence contribue à aggraver la défiance contre l’intellectualisme et à rejeter les esprits modernes vers le pragmatisme.

Voilà pourquoi la libre pensée a, de nos jours, une allure moins théorique que pratique et politique. Sous l’influence des disciples d’AuousTE Comte, elle est devenue une véritable religion, qui a sa hiérarchie et ses cérémonies, parodies de celles de l’Eglise catholique. C’est ainsi qu’ils organisent les banquets du vendredi saint, destinés à protester contre le respect que les indifférents eux-mêmes ont conservé pour le jour anniversaire de la Passion du Christ.

Etat actuel. — Les libres penseurs ont organisé de nombreuses associations groupées en Fédérations nationales, celles-ci réunies en une Fédération internationale (fondée en 1880), dont le Bureau permanent est à Bruxelles. Ils se réunissent en Congrès régionaux (Londres, 1882 ; Amsterdam, 1883 ; Anvers, 1 883 ; Londres, 1887 ; Paris, 1889 ; Madrid, 1892 ; Bruxelles, 189.5 ; Paris, 1900 ; Genève, 1902.,.) ou même internationaux (Rome, 20 septembre 190^ ; Paris, igoS ; Buenos-Ayres, igo6 ; Buda-Pest, 1907 ; Lisbonne, 1918 ; Prague, igiS, pour commémorer le SoC anniversaire du martyre de Jean Huss). Les associations possèdent leurs périodiques. Outre certains journaux politiques, comme le Journal de Charleroi, qui publie chaque jeudi les nouvelles de la Libre Pensée dans le monde entier, il y a dans chaque pays un organe officiel du mouvement : Portugal : Lifre Pensamento^ organe de la Junte fédéral do Livre Pensamento. fondée en 1908 et qui a succédé à la Société du registre civil, fondée en 1906, ainsi nommée parce que, sous la monarchie, elle réclamait la la’icisation de l'état civil ; Hollande, Vrije Gedachte proteste contre le gouvernement qui propose de modifier la constitution de manière à organiser l’enseignement primaire public comme un simple complément destiné à remédier aux insuffisances de l’enseignement libre. Le 4 mai 1913, Congrès à Amsterdam pour grouper dans une fédération les agnostiques, les positivistes, les monistes, les athées et les anticléricaux. On fonda en ig14 la revue mensuelle : Ontoihheling. — Bohême, journal, Plameny,