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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/16

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PESSIMISME

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la désagrégation d’une personnalité apparente, l’entrée dans le néant ? Seulement le nirvana dit-il bien cela ? Le nirvana ne serait-il pas plutôt simple délivrance de l’effort et de la douleur, évanouissement indéfini de la personnalité jusqu'à la limite où elle devient incapable de souffrir et affranchie du vouloir, simplification de l’activité dans l’engourdissement, non extinction dans le néant, mais — contradiction à laquelle se dérobe l’esprit indou par une catégorie qui manque au nôtre — jouissance du néant ? La vie phénoménale d’où le sage veut s'évader est plutôt vaine et de pure apparence que mauvaise. La possession du fond des choses doit combler toutes ses aspirations.

a° Depuis le Christianisme. — Arrive le Christianisme. Il ajourne nettement la possession de la souveraine félicité à une autre vie. Il montre dans la vie présente un temps d'épreuve. Sans doute, il prononce un mot nouveau : Espérance, et l’appuie sur des gages assurés. Mais que se passera-t-il ? Que la foi en la vie future s'évanouisse, qu’on supprime de l’armature humaine cette pièce essentielle, et l’incroyant, christianisé par son temps, devient la proie du pessimisme. Pour qui néglige ou rejette l’Evangile, la condition présente est plus dure qu’elle n'était avant le Christianisme. L’idée que le bonheur n’est pas de ce monde est désormais trop profondément ancrée dans l'àme humaine pour que celle-ci puisse s’en défaire. La foi en la vie future soutient le croyant dans ses épreuves et donne l’achèvement à ses joies partielles. L’incroyant ne peut se cacher ta vanité du lot de jouissances qui lui est concédé.

II est au pessimisme moderne une autre racine, également chrétienne. Les Anciens, dans la détermination d’une règle de conduite, concevaient la Perfection, les modernes conçoivent VIdéal. Celte perfection, les Anciens l’imaginaient par rapport à l’homme. Elle était un stimulant, qui ne les conduisait qu'à un degré moyen de vertu, mais leur laissait l’espérance de réaliser le modèle poursuivi. L’Idéal des modernes « est un but jamais atteint, car il est conçu par rapport à Dieu ». (C. Bos.) Plus jamais l’homme ne sera satisfait, parce que toujours il aura l’idée qu’une plus grande valeur morale, comme une plus grande satisfaction de ses facultés, est possible. Tant qu’il croira pouvoir l’atteindre un jour, son pessimisme sera tenu en échec. Mais lorsque la foi sera morte, avec elle ne disparaîtra pas l’aspiration qu’elle soutenait et l’idéal qu’elle illuminait. L’homme s’en souviendra toujours pour rêver, pour regretter, pour sentir le vide des réalités qui seules restent en sa possession.

Sous la loi judaïque, prélude du Christianisme, Job maudissant le jour où il est né, c’est le croyant aux yeux de qui s'éteignent, pour un instant, les promesses des félicités futures. L’Ecclésiaste, désabusé, proclamant que tout lui est indifférent sous le soleil, que « toute chose est vanité et poursuite du vent », c’est l’homme qui a entrevu, au delà de ce monde, de lointains et attirants horizons et se déprend de ceux qui sont proches. Voir art. Sapibntiaux (Livres).

Comme ï'Acedia est une crise de ténèbres dans une vie croyante, le mal romantique est la souffrance d’une génération qui a laissé périr la foi par laquelle avait été façonnée son âme. Rêveur avec l’auteur de Werther et celui de René, plus sombre et plus désespéré avec Byron, Lkopahdi, Musset, Heine, Flaubert, inquiet et maladif avec Amiel elle confident des troubles d' Adolphe, le pessimisme se prolonge, plus proche de nous, tour à tour glacé ou ardent avec Mérimée et Guy dr Maupassant, hautain et facilement insultant pour la divinité chez

Alfred de Vigny, Lecontb de Lislb, dans mainte pièce de Sully-Prud’hommb, maint développement de Jean-Marie Guvau (1854-1888). De ces figures, la plus caractéristique est celle de Léopard i, le pessimiste malheureux et athée. Pascal échappa au pessimisme qui le guettait, par la foi au Mystère de Jésus. Leopardi se priva de cette défense.

I. Giacomo Leopardi, né en 1798 au château de Itecanati dans les Apennins, fut mal compris, dès ses premiers ans, par une mère qu’absorbait trop le soin de reconstituer le patrimoine familial, par un père autoritaire et bizarre, très féru des privilèges de son nom, tous deux d’une religion sincère mais étroite. Sevré d’une affection que, d’ailleurs, il se met peu en peine de gagner, il se jette avec passion dans l'étude. A ces excès, il ruine à tout jamais un tempérament naturellement rachitique : gibbosité, maux d’estomac, maux d’yeux, maladies nerveuses, tout l’accable. Avec cela, précoce jusqu’au prodige. A treize ans, il traduisait en vers V Art poétique d’Horace et rimait une comédie. Bientôt les travaux d'érudition le conquièrent. Il commente Hesychius deMilet, Porphyre, les Rhéteurs du deuxième siècle, les Pères grecs de ce même deuxième siècle et les anciens Ecrivains grecs de l’histoire ecclésiastique : il a alors 16 ou 17 ans. Son premier poème de quelque étendue, le Pressentiment de la Mort, est de la même époque.

Cependant l’existence à Recanalilui pesait de plus en plus, tan dis que s’aggravaient encore ses infirmités. Enfin, en 1822, il obtient de partir pour Rome, à la recherche d’un emploi. C’est le commencement d’une vie errante qui devait durer quinze ans. Après un an de séjour à Rome, où il sollicite en vain une charge près des érudits et des bibliothécaires, qu’effrayent ses idées révolutionnaires en religion et en politique, il se résout à retourner un temps à Recanati. Puis on le voit à Bologne, à Milan, à Florence, à Pise, une dernière fois à Recanati, enfin à Naples. Il y trouvait le terme de ses souffrances, le 14 juin 1837.

Giacomo Leopardi semble avoir été doué d’une véritable bonté native. Partout où il passe, il fait naître de ferventes amitiés. Mais, vite, il blesse ses amis par son humeur bizarre, et écarte ses protecteurs par son orgueil intransigeant et sa hardiesse de pensée. Patriote ardent, il gémit sur la décadence de l’Italie. Amoureux d’idéal, épris de la passion de savoir, il se juge incompris. En même temps, il porte en son cœur la blessure d’un double amour frustré par la mort. Mais il faut convenir que c’est un écrivain puissant, enflammé ou plaintif dans ses Canzoni, ironique et amer dans ses Opérette morali. Son thème favori est que l’homme naît pour la douleur, vit esclave de la fatalité et victime d’une nature marâtre, et ne trouve de paix que dans le trépas. Il se raidit contre la nécessaire Infelicilà et proclame les nobles charmes de la mort, la Gentilezza del morir. « Vivre est un mal, mourir est une grâce. » Mais la mort, il l’appelle et tout ensemble il la brave.

« O mort, belle divinité, toi qui seule au monde as

compassion de nos douleurs, si jamais je t’ai célébrée, si j’ai tenté de venger les outrages faits par le vul. gaire ingrat à ta divine puissance, ne tarde plus, condescends à des prières que les oreilles ne sont plus accoutumées d’entendre ; ferme aujourd’hui à la lumière mes tristes yeux, ô reine de l'âge présent ! Quelle que soit l’heure où, propice à mes vœux, tu déploieras tes ailes sur ma tête, tu me trouveras, je te le jure, le front haut, faisant face au destin. On ne m’entendra jamais louer la main invisible qui, à force de me frapper, « 'est teinte de mon sang innocent ; ni la bénir comme a fait de tout temps, dans