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chacun de croire pour son compte à une connexion logique entre les deux doctrines. Mais prétendre au nom de ce raisonnement, que le Saint-Office n’a pu condamner l’une sans réprouver l’autre, c’est précisément supposer ce qui est en question ; et c’est de plus attribuer aux Cardinaux Inquisiteurs une ignorantia elenchi qui ne se peut admettre sans preuve.

Dès longtemps en effet la question classique des opinions probables se présentait avec une précision inconnue de saint Thomas et même de Médina ; depuis Suarbz au moins (De bonit. et mal//. acf., Disp.xn, s.6, nn. 8-10), tous les probabilistes sérieux exigeaient pour l’opinion moins sure une probabilité solide, et, par leur distinction entre l’honnêteté et l’efficacité de l’acte humain, posaient leur thèse de telle sorte qu’elle ne se pouvait étendre sans sophisme à l’exercice des fonctions judiciaires, à l’administration des sacrements, à l’option religieuse, et autres cas semblables, exclus nommément par eux (A. Schmitt, Zur Geschichte des Probabilismus, Innsbruck, 1904, pp. 119 ss.). On savait bien cela au Saint-Office ; et voilà pourquoi la censure des thèses laxistes ne pouvait viser par ricochet le probabilisme. La réserve observée à l’égard de ce système prenait plutôt, étant données les circonstances, le sens d’une approbation, suivant l’esprit du vieil axiome : « error cui non resistitur, approbatur » (Gratibn, Decr., p. I, d. 83, c. 3). Tel est du moins l’avis de saint Alphonse (La legge incerta, 1765, n. a4 ; t. XXIX, p. 5aa ; De V usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 1, nn. 6 ss. ; ibid., p. 3a ss.).

B. — On peut croire qu’en son for intérieur Innocent XI jugea insuffisant le décret de 1679. L’intérêt qu’il prend dès ce temps-là aux idées et à la personne du jésuite espagnol Thyrsk Gonzalez (} 1705), auteur d’un ouvrage contre le probabilisme, dont la publication était arrêtée par les reviseurs de la Compagnie ; le cas qu’il fait des lettres et mémoires, où ce jésuite le conjure d’imposer le probabiliorisme aux universités ; les termes expressifs dans lesquels il lui fait répondre pour l’encourager à combattre vaillamment l’opinion moins probable ; on désir devoir paraître le livre arrêté, dont Brancati di Lauria, consulteur du Saint-Office, lui promet le plus grand bien : tout cela manifeste à l’évidence sa pensée personnelle. Et néanmoins, comme unique suite donnée à cette affaire, au lieu de se conformer aux suggestions de Gonzalez, il se contente d’exiger du Général des Jésuites que liberté soit laissée dans la Compagnie d’attaquer le probabilisme : « ut permittat Patribus Societatis scribere pro opinione inagis probabill » (D.-B., iaig ; A. Astrain, Historia de la Compahia de Jésus en la Asistencia de Espana, Madrid, igao, t. VI, pp. ao4 ss.). Tel est, dans son cadre historique et ses exactes proportions, ce qu’on a si improprement appelé le décret du 26 juin 1680 : simple décision du Saint-Office prise au nom du Pape en séance ordinaire de feria quarta, projet d’ordre à transmettre ultérieurement au Général Oliva, mesure d’objet extrêmement modeste, de caractère purement disciplinaire, de portée restreinte : l’observation est de saint Alphonse (La legge incerta, 1765, n. 19 ; t. XXIX, p. 516).

Sans entrer dans l’histoire des controverses auxquelles a donné lieu ce document (J. Bruckbr, Etudes, 1901, t. LXXXVI, pp. 778 ss ; 190a, t. XCI, pp. 831 ss. P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1901-1902, sept articles), il suffit de rappeler qu’une version fautive, publiée en 1734 par Pierre Ballbrini, égara longtemps les polémistes en leur faisant croire aune interdiction formelle d’enseigner le probabilisme :

« ne permittat Patribus Societatis scribere pro opi

nione minus probabili » (Cf. J. Bruckbr, I. c, t. LXXXVI, p. 784). Grâce au P. Brucker, un grand progrès a été accompli dans l’éclaircissement de cette curieuse affaire par la publication du vrai texte, communiqué officiellement au P. Bucceroni par l’Assesseur du Saint-Office, Mgr Lugari, le 19 avril 190a. Ce texte n’est autre que celui dont Gonzalez eut lui-même connaissance en 1693, et que les Jésuites ont toujours tenu pour authentique (J. Bruckbr, /. c, t. XCI, p. 847).

C. — D’autres faits encore révèlent l’hostilité d’Innocent XI pour le probabilisme. C’est lui qui, dans un but facile à deviner, désigna Gonzalez au choix delà Congrégation générale de juillet 1687 (Dorllin-GER, t. I, pp. 131 ss. A. Astrain, /. c, pp. aa6 ss.). C’est à lui que remonte l’initiative du 18° décret de cette Congrégation touchant la liberté de suivre le probabiliorisme, — liberté qui d’ailleurs, comme le fit observer le nouveau Général avec une loyauté parfaite, avait toujours existé dans la Compagnie (A. Astrain, /. c, pp. 339 ss.). — C’est sur son ordre que Gonzalez confia au P. devlfaro, élève d’Elizalde, la chaire de morale du Collège romain (Dobllingbr, t. I, p. 133. A. Astrain, l. c, pp. 234 ss.). Il eût voulu imposer aux Jésuites d’autres mesures encore (Gonzalbz, Libellas supplex, n. 6).

Mais si tous ces faits renseignent avec certitude sur sa mentalité, pris en eux-mêmes et dans leur contexte historique, permettent-ils de conclure à une opposition entre le probabilisme et l’esprit de l’Eglise ? (Ainsi P. Mandonnbt, Revue thomiste, 190a, pp. 7-8, 14-15). On ne peut l’admettre sans confondre avec les actes du magistère ordinaire, — règle doctrinale plut obscure mais non moins certaine que la définition expresse, — cet ordre de pensée personnelle où les papes se meuvent au gré de leurs préférences, n’engageant d’autre autorité que celle d’un docteur privé. Aussi n’y a-t-il pasplus à s’émouvoir de la sévérité d’Innocent XI à l’égard des probabilistes, que de son indulgence pour les tutioristes deLouvain ; et, à tout prendre, on s’explique encore mieux son jugement sur le livre et la personne de Gonzalez, que la faveur accordée à VAmor poenitens de Neercassel (RBUscH, Z)er/wrfe.r, t. II, p. 536), et le chapeau île cardinal donné à Petrucci (P. Dudon, Le quiétiste espagnol Michel Molinos, igai, p. 176, cf. 13a, 138, aai-2a4). C’est assez dire qu’il n’y a pas dans toute la conduite de ce pape de quoi infliger au probabilisme l’ombre de la plus humble censure.

4° Sous Alexandre VIII (1689-1691), le Saint-Office eut de nouveau à toucher la question de la formation delà conscience (7 déc. 1690). Mais ce fut pour condamner le principe tutioriste : « Non licet sequi opinionem inter probabiles probabilissimam » (D.-B., 1293).

Si Innocent XII (1691-1700) avait partagé en morale les préférences de son sévère homonyme, il ne pouvait trouver, pour les manifester, une occasion meilleure que l’affaire du livre de Thyrsb Gonzalez. Or, quoiqu’on ait écrit là-dessus (P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1901, pp. 47a. 656 ss.), c’est un fait certain qu’il ne prêta aucun appui à Gonzalez dans la lutte que celui-ci soutint deux ans durant (1 691-1693) pour la publication de son livre, mais qu’il écouta toujours plus volontiers les conseils tout opposés du P. Segneri, nommé par lui théologien de la Pénitencerie (Dobllingbr, t. I, p. 183). Vraisemblablement, le Fitndamenttim theologiae moralis n’eût jamais paru, sans l’intervention du roi d’Espagne, la bienveillance de quelques cardinaux, et les habiles manœuvres de l’assesseur Bernini (Patlzzi, Lettere.l. VI, app., pp. xl, xlvi,