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PURGATOIRE

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la justice divine, indépendamment de toute vue surnaturelle, l’idée d’une purilication après la mort et avant la récompense, pour tout ce qui pont rester de souillé en l’homme, n’a rien ijui ne s’accorde pleinement avec les principes mêmes delà raison. La sanction e » st inséparable de la loi : il faut que l’ordre moral soit rétabli, et dans la mesure même où il a été violé. Il est évident que le rétablissement de l’ordre par la justice ne s’effectue que très imparfaitement dans ce monde et qu’un* sanction supérieure doit atteindre les fautes de cette vie en dehors de cette vie, celles qui entraînent la perversion de la volonté dans le mal et qui privent à jamais le coupable de la récompense éternelle, celles aussi qui laissent subsister la vertu et dès lors le droit à la récompense, mais qui ne constituent pas moins une offense à la sainteté de Dieu et, par conséquent, une dette envers sa justice. Celle-ci ne serait point satisfaite, si cette dette subsistait après la mort sans être payée par une réparation pénale.

Cette exigence d’une expiation de ces fautes dites légères dans l’au-delà est tellement d’accord avec notre sens inné de la justice, qu’on en retrouve l’affirmation plus ou moins voilée chez tous les grands peuples de l’antiquité. Les Egyptiens conservaient l’idée très nette d’un jugement divin après la mort et d’une expiation avant ce jugement. Cf. Maspbro, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, t. I, p. 18a199, Paris, 1895. — La sombre mythologie des Babyloniens admettait un état intermédiaire entre les supplices des impies et les félicités du ciel, et accordait aux dieux d’en-haut le pouvoir de délivrer certaines âmes. Cf. Lagrangb, Etudes sur les religions sémitiques, p. 33^-3 {1, Paris, io, o5. Chez les Perses, cet état intermédiaire, nommé Hâmestakân, finit par être transformé, dans l’Avesta postérieur, en un purgatoire universel où se purifiaient les grands crimes comme les fautes menues. Cf. Lagrangk, La lielixion des Perses, p. 30, Paris, 1904. — S’élevant, au-dessus des mythes qui voilaient la vérité, jusqu’à l’idée d’une Providence vigilante qui rend à chacun selon ses œuvres et qui dispose toutes les parties de l’univers dans l’ordre le plus propre à la perfection de l’ensemble, Platon a donné chez les Grecs, à la doctrine de la purification des âmes après la mort, la consécration de son génie. L’âme n’est pas seulement en rapport avec la vérité et avec le mouvement, mais aussi avec le bien. Elle doit être punie ou récompensée suivant savaleur morale, et la justice humaine est incapable d’accomplir entièrement cette loi de rémunération ou d’expiation. Il faut une justice supérieure, une Ame qui s’adresse à l’àme face à face, sans intermédiaire, et prononce sa condamnation ou son absolution par un décret infaillible. Cette âme, c’est celle qui meut et qui gouverne l’univers, c’est Dieu, t A peine séparées de leur corps, les âmes arrivent devant le juge, qui les examine attentivement. .. Aperçoii-il une âme défigurée par le péché, il l’envoie aussitôt avec ignominie droit aux cachots où elle doit subir les jus tes châtiments de ses crimes… Or, il y en a qui profitent des peines qu’ils endurent ; ce sont ceux dont les fautes sont dénature à être expiées… Toutefois cet amendement ne s’opère en eux que par la voie des douleurs et des souffrances, car il n’est pas possible d’être délivré autrement de l’injustice. Pour ceux qui ont commis les plus grands crimes et qui, en raison de cette perversité, sont devenus incurables, ils servent pour l’exemple. Leur supplice ne leur estd’aucune utilité, parce qu’ils sont incapables de guérison. » Gorgias, 5aa sq. Phédon, 1 13sq.

On retrouverait l’influence de ces doctrines dans l’école néo-platonicienne.

Tome IV.

Il n’est pas jusqu’aux protestants qui n’apportent leur hommage à la vérité. Outille que soil la puissance de haine qui ait soulevé l’Allemagne du xvi’siècle contre le dogme catholique, elle n’a pu étouffer ni la voix de la conscience, ni le sentiment de la justice. Déjà Bossubt le faisait remarquer, en relevant, après Grotius, les antinomies du protestantisme et en particulier les déclarations de Mestresat etde Spanheim. Histoire des variations, IV, 15g. Mais il était réservé à Lbssing, « le plus grand Allemand qui soit après Luther -j, de reprendre, au nom de la raison et île la critique historique, la question du Purgatoire et de ruiner sans merci l’œuvre de Luther. Il est évident pour lui que le Réformateur a dénaturé l’idée même de justice, comme il a dénaturé les textes. Heitràge zur Geschiclite und Litteratur ans den Schàtzen der herzoglichen Bibliothek zu Il olfenbiittel, dans fVerke, éd. Hempel, t. XII, p. ia3.

Et ces conclusions de la théologie libérale ont été adoptées, en certains milieux, même par la théologie orthodoxe. « La plupart de ceux qui meurent sont, il faut l’avouer, trop bons pour l’enfer ; mais ce qui n’est pas moins sûr, c’est qu’ils sont aussi trop mauvais pour le ciel. On doit avouer franchement qu’il existait à cet égard une certaine obscurité dans la doctrine des protestants. La science nouvelle l’a depuis longtemps constaté. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, p. 4^2, Berlin, 1864. Le manuel de théologie dogmatique de Martbnsen, accueilli avec faveur dans les cercles théologiques des paj’s Scandinaves et de l’Allemagne du Nord, formule le même enseignement. « Aucune àmen’ayant atteint l’état de consommation parfaite lorsqu’elle quitte ce monde, il faut bien admettre un état intermédiaire où l’âme achève de se développer, de se purifier, de se mûrir pour le jugsment dernier. Bien que la doctrine catholique du purgatoire ait été repoussée à cause du mélange d’erreurs grossières qu’elle renfermait, cependant elle a ceci de vrai que l’état intermédiaire est nécessairement, dans un sens spirituel, un lieu de purification pour les âmes. » Die christliche Dogmatik, Berlin, 1870, p. 43 1.

2. Convenances morales du dogme du Purgatoire. — Il serait superflu de démontrer à un catholique à quel point la doctrine du purgatoire est bienfaisante et douce. En nous donnant une si haute idée de la sainteté et de la majesté divine et en fortifiant en nous le sens de la justice, elle avive dans les âmes l’appréhension de toutes fautes, même des plus légères, si bien que la pensée d’un purgatoire, où se purifient les défunts, est purifiante elle-même pour les vivants.

Elle répond en même temps aux sentiments les plus profonds comme aux aspirations les plus élevées du cœur humain. En nous rendant familière la croyance à l’immortalité de l’âme et en tournant le cours de nos méditations vers l’au-delà, en nous apprenant que le lien si fort et si doux qui nous attachait à nos chers diparus n’est pas entièrement brisé parle trépas, que nous restons en communion de pensée et de sainte charité avec eux, que nous pouvons faire encore quelque chose pour eux, alléger leur souffrance, leur ouvrir plus vite les joies du ciel, elle maintient vivant et agissant le culte d’affection qui les entouraitdans leur vie et quis’exalte à la mort. Et notre cœur nous pousse à leur donner, tant que nous leur survivons, le meilleur de nous-mêmes, nos prières, nos sacrifices, nos bonnes œuvres. C’est la suprême consolation dans le déchirement des séparations cruelles et il n’a fallu rien moins que la fureur impie, barbare, d’un apostat profanateur des tombes pour arræheraux cœurs brisés ce cher adoucissement de leur douleur.

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