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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/28

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POSITIVISME

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L'école positiviste qui prend naissance autour de Littré se dit surtout scientifique : elle est facilement agressive à l'égard du catholicisme.

Ce qui est capital, c’est qu’il se forme, sous l’influence d’Auguste Comte, un immense et profond mouvement d’idées qui s’inspire des principes de sa philosophie positive. Méfiance ou dédain à l'égard de ïa métaphysique, recherche unique du fait, culte exclusif de l’expérience, suprématie, puissance sans limites et extension indéfinie de la science, dogme de son efficacité morale, doctrine de l'évolution sociale et d’un progrès indéfini, plus ou moins rectiligne, de l’humanité, morale indépendante. Herbert Spencer est tout entier dans Auguste Comte. D’autres courants combinent les données de la philosophie avec celles de la politique ou de la sociologie : morale de la solidarité et doctrine de l’altruisme, humanitarisme et pacifisme, le social primant et fondant le moral et le religieux, suprématie de la société sur l’individu, le bonheur total de l’homme découlant d’une bonne organisation sociale. De ces idées ont vécu une partie des générations venues à l’existence depuis trois quarts de siècle. Nous nous en libérons à peine.

IV. Quelques jugements sur Auguste Comte. Emile Fauuf.t. — « C’est quelque chose que de faire penser, et Auguste Comte est merveilleux pour cela ; c’est le semeur d’idées et l’excitateur intellectuel le plus puissant qui ait été en notre siècle, le plus grand penseur, à mon avis, que la France ait eu depuis Descartes… L’influence d’Auguste Comte sur les idées de notre siècle a été immense. Adopté presque entièrement par Stuart Mill ; s’imposant, quoi qu’on en ait dit, à Spencer, ou, comme il arrive, coïncidant avec lui et s’engrenanl à lui d’une manière singulièrement précise ; dominant d’une façon presque tyrannique la pensée de Renan en ses premières démarches, comme on le voit par l’Avenir de la Science ; inspirant jusque dans ses détails l’enquête philosophique, historique et littéraire de Taine ; se combinant avec l'évolutionisme.qui peut être considéré comme n’en étant qu’une transformation, — son système a rempli toute la seconde moitié du disneuvième siècle, et on l’y rencontre ou tout pur, ou à peine agrandi, ou légèrement redressé, ou un peu altéré, à chaque pas que l’on fait dans le domaine de la pensée moderne. » (Politiques et.Moralistes du xix c siècle. 2e série. Paris, 1898, p. 368-369)

L.LfivY-BnuLH. — « Par sa philosophie proprement dite, il est un homme représentatif de son siècle tout entier… C’est de Comte que Taine procède, à travers (les autres penseurs). Là se trouve l’origine delà plupart de ses idées directrices…L’esprit positif s’est si intimementmêléà la pensée générale de notre temps qu’on ne l’y remarque presque plus, comme on ne fait pas attention à l’air qu’on respire… Comte a anticipé sur des résultats qui ne pouvaient être immédiats. C’est un trait de plus qui lui est commun avec Descartes… Descartes, ayantconçuun certain idéal mathématique delà science physique, s’est représenté les problèmes de la nature, et surtout ceux de la nature vivante, comme infiniment moins complexes qu’ils ne sont. Nos savants, aujourd’hui, n’osent plus se poser des questions biologiques dont la solution lui paraissait relativement aisée. De même Auguste Comte… a cru la science nouvelle (la sociologie) beaucoup plus avancée par ses propres travaux qu’elle ne l’a été réellement… A ses yeux,

« le plus fort était fait ». Les sociologues pensent, 

maintenant, que presque toutresle à faire… (Mais sa philosophie) agit encore et se développe chez ceux mêmes qui la combattent. » (La Philosophie d’Auguste Comte. Paris, 1900. Introduction. Conclusion)

Charles Macrbas. — « Il se rendait justice en se classant parmi les grandes intelligences : ainsi Dante se met entre les grands poètes. Si la mémoire lui fournissait un nombre infini de matériaux de tout ordre, puisés dans la science, l’histoire, la poésie, les langues ou même dans l’expérience de chaque jour, ce trésor était employé par une raison critique et une puissance de systématisation qui n’y étaient pas inégales. Mais le travail se fit d’autant plus énergiquement qu’il était activé par une âme plus véhémente. Peu de sensibilités seraient dignes d'être comparées àcelle de Comte. » (L’Avenir de l’Intelligence, p. 1 43)

Georges Dehrhmb. — « Pour tous les esprits clairvoyants, non prévenus, Auguste Comte est, à tout le moins, le plus grand penseur du dix-neuvième siècle, celui dont l’influence s’est fait sentir le plus, en profondeur aussi bien qu’en largeur, dans tous les ordres d’activité intellectuelle. Même ceux qui ne prononcent jamais son nom restent imprégnés de sa pensée… Le positivisme ne vaut que dans son ensemble, universalisant le mode de penser qui lui est propre, pour constituer l’unité fondamentale, par la sociologie objectivement et la morale subjectivement. Partiellement, le positivisme a des clartés, il n’a pas de force. » (Auguste Comte etson Œuvre.Paris, '9°9>P- a3 et 109)

V. Critique. — Le positivisme, tel que l’a conçu et construit Auguste Comte, est une remarquable systématisation du savoir. S’il emprunte des matériaux aux empirisles, tels que Hume et Fontenelle, aux encyclopédistes, surtout à d’Aleraberlet Diderot, aux biologistes comme Lamarck, Gall et Cabanis, aux économistes comme Turgot, Saint-Simon, peut-être Pierre Leroux, aux politiques tels que Montesquieu, Condorcet, deBonald et Joseph de Maistre, il les fond dans une puissante unité. On assure d’Auguste Comte qu’il composait de tête, phrase par phrase, les sept ou huit cents pages de ses traités. La méditation ainsi conduite, il rédigeait tout d’un trait, presque sans rature. Cette force de conception, il l’a portée dans l’ensemble de son œuvre. Et cependant dans son œuvre il y a :

Amoindrissement a priori de la Pensée. — Cette œuvre, c’est à la fois une synthèse de tout ce qu’on sait sur le monde, sur l’homme et sur les sociétés, et uneméthode générale des voies suivant lesquelles on a appris ces choses. Dans la synthèse, ne sont acceptées que les choses connues selon cette méthode générale. Quelle est cette méthode ? C’est celle des mathématiques : partir d’une quantité connue pour aller à une quantité inconnue, grouper ensemble les faits semblables, de manière à en faire l’expression de relations constantes appelées lois. Selon cette méthode on élaborera les autres sciences, la physique, la biologie, l’histoire, la sociologie, la morale. On établit ainsi entre toutes les sciences une véritable

« cohérence logique » ; mais nécessairement on

laissera hors de chacune ce que n’atteint pas le procédé quantitatif : la qualité, la vie, la liberté, l’idéal, l’obligation.

Et c’est là l'énorme a priori du positivisme. On adopte un procédé d’investigation à l’exclusion de tout autre ; on ne se demande pas s’il n’y aurait pas divers ordres de vérités, et si tous les ordres de vérités sont sensibles à cet unique procédé employé. On imite l’historien des civilisations anciennes qui ne ferait appel qu’aux documents écrits, laissant décote les monuments de pierre ou la linguistique. L’on prétend que tout le savoir, pratiquement que toute vérité tient dans le domaine de l’expérience directe. Sans doute, on ne nie pas brutalement l’existence