Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

47

POSITIVISME

48

posit., VI, 7a3) Nous voulons bien que, dans la pensée du maître, on doive chercher à prévoir el à réaliser en vue du progrès de l’humanité. Seulement, pour beaucoup des disciples, ce progrès est trop uniquement matériel. C’est le bien-être qu’on se propose. Il ne se peut nier que l’esprit positiviste ne soit souvent, de fait, synonyme d’Utilitarisme.

Et' ce qui reste de la philosophie devient Pragmaf « 'sme.Selon cette théorie, est vraie l’idée ou l’opinion qui nous adapte au milieu, qui consolide l'équilibre de notre vie, qui nous permet de l’organiser selon nos besoins individuels et sociaux, qui mène à une expérience utile. Une vérité ne peut être dite vraie d’une façon absolue et définitive. Elle vaut selon son adaptation à notre situation et à nos besoins. Le résultat juge la pensée. Doctrine qui fleurit surtout dans les pays anglo-saxons, pour business-men. (William James, C. Peirce, Josiah Royce. — Cf. Eludes. Idéal et Pragmatisme, 5 mai 1909, p. 413l, io)

Amoindrissement de la Science. — Le génie inventif dans les sciences comporte une part d’imagination et de risque. Pour trouver, il faut sortir de ce qui est constaté et classé, pour tenter des hypothèses nouvelles. Il y a là un élément de possibilité, un inconnu contre lequel l’esprit positif est en défiance. Pastbcr le notait déjà dans son discours de réception à l’Académie, le 27 avril 1882. Le positivisme, dit-il, est plus propre à coordonner les données déjà existantes, qu'à étendre le champ de la science par des découvertes nouvelles. Il est timide dans cette voie. A. Comte et Littré n’ont pas connu la vraie expérimentation. Ils l’ont confondue avec la méthode restreinte de l’observation des faits.

« L’inconnu dans le possible, et non ce qui a été : 

voilà le domaine (de l’expérimentation)… Pour juger de la valeur du positivisme, ma première pensée a été d’y chercher l’invention. Je ne l’y ai pas trouvée. » Par une heureuse inconséquence, certains savants, qui se donnent comme positivistes, rompent avec leur méthode diminuée. Mais, par nature, lepositivisme s’oppose à l’esprit créateur.

Autre amoindrissement. La célèbre classification des sciences semble exiger que chaque classe de phénomènes particuliers, constituant une science, ait son caractère propre et perfectionné, par où elle se distingue de la classe inférieure et s’y superpose. Mais quel est ce quelque chose ? Quel est cet élément nouveau et dit irréductible, qui apparaît à chaque degré de l'échelle des sciences ? Parlant des phénomènes vitaux, A. Comte nous dit : « La physiologie n’a commencé à prendre un vrai caractère scientifique… que depuis l'époque… où les phénomènes vitaux ont enfin été regardés comme assujettis aux lois générales, dont ils ne présentent que de simples modifications. » (Cours de Philos. positive, III, p. 272273 et passim) Ces lois générales, dont les phénomènes de la vie ne sont que des modifications, ne peuvent être que les lois mathématiques, mécaniques, physiques et chimiques. Ce qui est dit expressément des phénomènes vitaux doit être étendu aux phénomènes sociaux, selon ce qu’enseignera A. Comte lui-même, et conséquemment aux phénomènes moraux. Et on ne voit pas que ce quid proprium de chaque classe supérieure de phénomènes puisse être autre chose qu’une certaine complexité, d’où nait une apparente indétermination et l’imprévisibilité. Mais à tous les étages de la science régnent les lois mathématiques, mécaniques et physiques, avec leur radical déterminisme. L’histoire, que ce soit celle des grands hommes, des littératures ou des civilisations, se ramène, comme chez Taine et Spencer, par la théorie du milieu, à un ensemble de lois mécani ques. Evidemment, la spontanéité humaine, avec son libre jeu, n’y trouve plus de place.

En outre, selon cette idée que la science initiale, la plus simple, est le type duquel les autres doivent travailler à se rapprocher, il y a tendance constante chez les positivistes à faire rétrograder, à faire descendre de quelques degrés toutes les manifestations de la nature ou de l’homme. De même qu’on ramène la qualité à la quantité, la vie au mécanisme, on prétend expliquer la pensée par le cerveau, la volonté par une nécessité vitale, l’activité de l'âme jusque dans ses manifestations les plus hautes par des besoins organiques, le génie par la folie, la religion parle fétichisme, les états mystiques par des désordres morbides. C’est une sorte de conspiration, consciente ou non, qui va au rabaissement constant de l’humanité.

Dans les sciences historiques, juridiques, sociales, théologiques, on remplace la discussion, l’interprétation, la philosophie des faits par des travaux de

« dépouillement », des statistiques, des collations de

textes. Sous prétexted’objectivité, on sert au lecteur le fait brut, massif, en oubliant qu’il y a dans le fait une valeur, un sens. On déverse des matériaux au lieu de construire un édifice. On fait travail de manœuvre et non d’architecte. Il arrive que le livre qu’on offre au public reste à faire.

Amoindrissement et négation de la Morale. — La morale positiviste garde une partie des mots et des formules de la morale traditionnelle. Elle parle de droit, de devoir, de renoncement à l'égoïsme, de vie pour autrui. Mais qu’y a-t-il sous ces mots et ces formules ? Quel en est le soutien ? Pourquoi devonsnous donner la prépondérance aux tendances affectives sur les tendances intellectuelles ? Pourquoi devons-nous nous renoncer à nous-mêmes afin de vivre pour autrui ? Pourquoi devons-nous sacrifier l’intérêt personnel à l’intérêt social, au bien de l’humanité? On ne voit à tout cela aucune raison solide. Régler ses instincts est une nécessité biologique, vivre pour autrui est une nécessité sociale. Mais nécessité ne dit pas obligation. Qui nous oblige à faire violence à notre nature, à nous sacrifier pour la société?

A. Comte avoue que, dans notre nature, les instincts égoïstes l’emportent sur les instincts sympathiques. Mais si cette prédominance est une loi de notre organisme, pourquoi la combattre ? Il est vraiment étrange que, si nos devoirs sont des nécessités biologiques ou organiques, il puisse y avoir un devoir à se mettre en opposition avec les données de l’organisme. Les positivistes (ici A. Comte fait exception) aiment à s'élever contre l’ascétisme chrétien en général et le célibat religieux en particulier, au nom des nécessités physiologiques. Pourquoi et de quel droit prêcher le renoncement aux instincts égoïstes qui ont leur raison dans la physiologie ? Les spiritualistes peuvent parler de lutte à soutenir par les facultés raisonnables et supérieures contre l’excès des tendances irrationnelles et inférieures, parce que précisément ils admettent et prouvent qu’il y a dos facultés supérieures et des facultés inférieures, que ces diverses facultés composant un certain ordre que nous recevons tout constitué de par Dieu, et dont nous n’avons pas la propriété, il ne nous est pas loisible de le changer. La doctrine positiviste ne fournit aucun fondement à la hiérarchie des facultés, et comme, par ailleurs, elle écarte la notion d’absolu, de Dieu, on ne voit pas pourquoi cet ordre s’imposerait à nous.

Ce qui fait illusion, c’est que, dans nos sociétés civilisées, nous vivons d’une morale naturelle à la fois spontanée et reçue, d’une morale chrétienne qui