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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/303

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RÉFORME

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essayaient-ils de te persuader quesi tu voulais offrir quelque chose à Dieu, tu devais lui offrir ce que lu possédais de meilleur et de plus cher… A la lin cependant tu cédas et tu soumis ta volonté à Dieu, sans être délivré toutefois de tes soucis à mon sujet. Car je me souviens, — cela m’est encore très nettement présent, — du l’ait que voici : alors que nous étions réconciliés et que tu parlais avec moi, comme je t’assurais avoir été appelé par une terreur venue du ciel,

— car ce n’est pas avec plaisir ni de bon gré que je devins moine, encore moins pour la recherche du ventre, mais plein de crainte et d’angoisse, en face d’une mort [qui me menaçait] tout à coup, je lis un vœu contraint et forcé, — tu me répondis : Puisse cela ne pas avoir été une illusion ni un acte de présomption ! Cette parole me transperça, comme si Dieu lui-même l’avait dite par ta bouche, et elle se grava profondément dans mon àme. Mais je barricadais mon cœur, autant que je pouvais, contre toi et ta parole. Et comme je te reprochais (ilialement ton irritation, tu me répliquas de nouveau et de nouveau tu frappas si juste que dans toute ma vie j’ai rarement entendu d’un homme une parole qui m’ait atteint si puissamment et se soit fixée si forte--menlen moi. Tu me dis en effet : * A’as-tu pas entendu dire qu’on doit l’obéissance à ses parents / « Mais moi, assuré de ma justice, je, ne t’entendis que comme un homme et n’eus pas grand égard à ton appréciation. Cependant je ne fus pas capable de mépriser intérieurement cette parole. Mais considère si tu n’ignorais pas toi-même que les commandements de Dieu doivent être préférés à tout. Si tu l’avais bien su, ne devais-tu pas, alors que j’étais encore en ton pouvoir, m’arracher au froc, en vertu de ton autorité paternelle ? Et moi, de mon côté, ne devais--je pas affronter bien des morts plutôt que de faire une démarche semblable contre ta volonté et sans te prévenir ? Mon vœu ne valait pasun flocon de laine, car je me soustrayais ainsi à l’autorité paternelle et à la volonté du commandementdivin.Bien plus, mon vœu était impie, et ce qui prouve qu’il n’était pas de Dieu, c’est non seulement qu’il était en opposition coupable avec ta volonté, mais encore qu’il ne procédait [tas d’une décision libre et volontaire f. Mais tout cela se produisit en vertu de traditions humaines et de superstitions hypocrites que Dieu n’avait point ordonnées. Mais regarde comment Dieu, dont la miséricorde ne connaît point de mesure et la sagesse point de bornes, a tiré de grands biens de tant d’erreurs et de péchés ! Ne voudrais-tu pas plutôt avoir perdu cent (ils que de ne pas avoir vu ce bien ? Il me semble que Satan, depuis ma jeunesse, a prévu quelque chose de ce qu’il souffre actuellement [par mes doctrines]. C’est pour cela qu’il s’est acharné à me ruiner et à me persécuter avec des ruses incroyables, à tel point que souvent je me suis demandé, stupéfait, si j’étais le seul parmi les mortels à qui il appliquât ses efforts. » (Luthers fVerke, édition Weimar, VIII, p. b’fi-b’}^’)

Il résulte de ces textes et de quelques autres qui en précisent les détails, ]’que Luther est entré au eouvent àlasuite d’un vœuformulé hâtivement, sous l’impression d’une crainte violente, au milieu d’un orage dont les éclairs apparurent à ses regards superstitieux comme les messagers d’un appel divin ; a" que son père était oppose à sa vocation, non seulement parce qu’elle contrariait ses projets d’avenir sur son fils, mais parce que le l Tnpérament et le caractère de ce fils lui donnaient de graves inquiétudes, s’il s’engageait témérairement dans une voie

1. Ce langage est étrange sous la plume de quelqu’un qui niait le libre arbitre, comme Luther.

qui n’était pas la sienne ; 3° que Luther fut constamment tourmenté par le démon et s’imagina bien vite qu’il était marqué pour une mission spéciale. Toute sa vie, en effet, il rejettera sur la rage du démon, furieux, à l’entendre, de la restauration de la vraie doctrine, les remords qui viendront l’assaillir et même les désordres qui découleront de ce qu’il appelait son « Evangile ».

L’entrée soudaine de Luther au couvent, sans examen et sans préparation, sans conseil de personne, à la suite d’un vœu irréfléchi, fut une erreur formidable. Il n’était point fait pour le cloître. Il essaya sans doute, courageusement et loyalemeut, de remplir les obligations qu’il s’était données avec tant d’imprudence. Mais la nature l’emporta. La vie monastique, la théologie traditionnelle, l’Eglise catholique tout entière furent par lui rendus responsables des terribles déceptions de sa vie intérieure. Il chercha longtemps et il découvrit au bout de 10 ans environ une théologie nouvelle adaptée à son cas particulier ; et sans prendre garde à ce que sa situation avait d’anormal et sa théologie de subjectif et de fictif, il en fit un Evangile nouveau qu’il entreprit d’imposer à l’Eglise entière. Tout le luthéranisme primitif est dans cette incroyable méprise. Plus tard, il n’en restera rien, sinon un modèle à suivre, à savoir une façon de se faire à soi-même, à l’aide de la Bible ou même sans la Bible, une religion personnelle et pour ainsi dire portative, ajustée par chacun à ses besoins et à ses aspirations.

Luther ne fut pas longtemps heureux au couvent. Ne nous arrêtons point aux légendes qu’il a répandues plus tard sur les pénitences qu’on lui imposait. Denifle en a fait justice. Le protestant Adolphe Hausrath a dit avec raison que, dans sa vieillesse,

« Luther devenait mythique pour lui-même ». —
« Non seulement, ajoutecetauteur, les dates se brouillent

dans son esprit, mais encore les faits. Quand le vieillard [Luther] se met à se raconter, le passé devient pour lui comme une cire plastique. Les mêmes paroles, il les attribue tantôt à l’un tantôt à l’autre de ses amis ou ennemis… Ainsi, c’est une exagération de vieillesse, quand il dit qu’en son jeune temps la Bible était pour tous un livre inconnu… Quand il parle du cloitre, le réformateur vieilli ne voit presque plus que du noir. » (Luthers Leben, 1904, II, p. 430 et suiv.)

Heureusement nous sommes renseignés par ailleurs. Nous savons que son maître des novices était un excellent directeur d’âmes.

Mais Luther avoue que ce bon Père était obligé de lui répéter souvent : « Pourquoi vous tourmenter, mon fils, ne savez-vous pas que le Seigneur vous a ordonné d’espérer en lui ? » Le jeune novice étaitdonc très troublé intérieurement. Après sa profession, en septembre 1506, il reçut les saints ordres au début de 1507, et célébra sa première messe le a mai de cette année. Dix-huit mois plus lard, un ordre de Staopitz le transféra à l’Université de Wittemberg, pour y enseigner la philosophie. Ce qu’on appelait de ce nom alors n’était guère qu’un insipide commentaire des auteurs en renom. Luther n’avait aucun goût pour cet enseignement. La théologie l’attirait, non pas la théologie scolastiquc, toutencombrée de discussions philosophiques, mais la théologie positive, qui commençait à être à la mode, à Oxford avec John Colet, à Paris avec Lefèvre d’Etaples, et qu’Erasme allait bientôt définir « la recherche du Christ pur et simple, à l’aide des langues anciennes, dans les sources elles-mêmes » (voir Hbrminjard, Correspondance des Réformateurs, I, n°* 10 (Erasme à Capiton, 26 février 1517>, 18 (Erasme à Hué, 9 août 1518), 27 (Erasme à Bérauld), etc.).