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RÉFORME

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I.utlier supporte impatiemment les initiatives de ces rivaux, qui lui ravissent son prestige et sa gloire, vu surplus, on passe de la parole aux actes. Les prêtres se marient, les moines sortent du couvent, les rites sacrés delà Messe sont bouleversés. ANoël lôai, lvarlstadl célèbre une messe évangélique, en habit séculier et donne la communion sous les deux espèces, me’nie k ceux qui ne si" sont pas confessés et ne sont pas à jeun. Bientôt apparaissent des « prophètes » venant de Zwickau. Ce sont les premiers anabaptistes. On commence à faire la guerre aux images. t)n prétend abattre même les crucilix. Le désordre est à son comble. En apprenant tout cela, Luther s’emporte et s’indigne. Jusqu’en décembre îôai, il fait effort pour suivre les progrès de ses adhérents, il écrit contre la Messe et contre les Voeux monastiques. Puis un revirement radical se produit dans son esprit. Il s’élève contre les novateurs et les fanatiques. Il se prépare à enrayer le mouvement révolutionnaire. Enfin, il n’y tient plus. Le i c’mars 15aa, il quitte audacieusement la Wartbourg, rentre à Wittemberg, au mépris du or ban impérial » qui le frappe, monte en chaire à l’Eglise paroissiale et, en huit jours de sermons consécutifs, il réussit à calmer les esprits, à rétablir l’ordre. Il comprend dès lors qu’il lui faut organiser son Eglise. Il avait rêvé d’une religion démocratique dans la liberté et l’égalité. Il évolue vers la fondation d’une Eglise d’Etat, sans aucune liberté et sans nulle égalité. Il fait la guerre aux anabaptistes, aux iconoclastes, aux émeutiers de toute nature. Il les appelle d’un nom collectif : die Schwàrmgeister, qui signifie les Fanatiques ou les Extravagants.

La Révolte des Paysans, en ]5a4-15a5, acheva de lui ouvrir les yeux. Il fut aussi farouche dans la répression qu’il avait été hardi à promouvoir la révolution. Son ouvrage intitulé : Contre les bandes pillardes etmeurtrièresdes paysans (mai 15a5) était un appel sanglant aux seigneurs contre les malheureux révoltés, qui s’étaient pourtant recommandés de lui et de son Evangile. On y lisait ces lignes : « Chers seigneurs, délivrez-nous, sauvez-nous, secourez-nous, ayez pitié des pauvres gens (que nous sommes), sabrez, frappez, égorgez tant que vous pourrez.’» Et comme on avait trouvé son écrit trop violent, il riposta par un nouveau pamphlet, plus brutal encore que le précédent : « Un anarchiste, y disait-il, n’est pas digne qu’on lui apporte des raisons, car il ne les accepte pas. C’est avec le poing qu’il faut répondre à tous ces gens-là, pour leur faire jaillir le sang du nez. » Mais le poing, ce n’est pas encore assez. Luther ne craignait pas d’ajouter ces lignes horribles : « Les paysans ne voulaient pas entendre… Il a fallu leur défie : 1er les oreilles à coups d’arquebuse, au point que les cervelles volaient en l’air, A de tels écoliers, il fallait une telle férule ! » Et il concluait par cette phrase qui résume son idéal politique : « l’âne veut recevoir des coups et le peuple veut être gouverné par la force. Dieu le savait bien, ca> il n’a pas donné aux gouvernants une queue de renard, mais un sabre. » (Wbimar, XVIII. 396-397.) Déjà, ’dans un ouvrage antérieur, Contre les prophètes célestes [Anabaptistes], de décembre 1 5a’i, il s’était exprimé en termes analogues ; « Pour la foule grossière, pour /fer Oinues [Monsieur Tout-le-monde], il est indispensable de la presser corporellement et avec rudesse pour qu’elle accomplisse des œuvres, et de la sorte la foule doit être pieuse extérieurement sous la menace de la loi et du glaive, comme les bâtes fauves sont réduites par le fer et la cage. » (Sur tout cela, voir Chistiam. f.uther et la question sociale, Paris, Tralin, 1919., p. 77 à 133)

Mais si Luther réagissait avec violence contre les

excès des t fanatiques de gauche », contre un K.uu.stadt, qu’il faisait expulser, contre un Miknziui, qui allait périr misérablement dans la guerre des paysans, il n’était point disposé pour cela à revenir en arrière, à se remettre lui-même dans le rang et dans l’ordre, par une rétractation de ses erreurs et un acte de soumission au chef de l’Eglise. Tout au contraire, il achevait de rompre avec son passé catholique et monacal. Il quittait le froc, en décembre 15a4, et six mois plus tard, le 1 3 juin 15a5, il donnait l’effroyable scandale de son mariage avec une ancienne moniale cistercienne, Catherine de Sera, dont il devait avoir cinq enfants, trois fils et deux filles. Ses amis eux-mêmes trouvaient qu’il se déconsidérait par là. MKLANCHTHON, son plus intime collaborateur, écrivaità Camerarius, ces lignes désolées (en grec) : t Vous serez surpris d’apprendre qu’en un temps si tristefen pleine guerre des paysans] et parmi les infortunes de tant de braves gens, Luther semble se désintéresser des misères publiques, se plonger dans les réjouissances, ravaler sa dignité, au moment même où l’Allemagne a le plus besoin de son savoir et de son autorité. Voici comment la chose est arrivée, à mon sens : c’est « in homme excessivement mobile (w ? /uHiary tù^tphi)’, et les nonnes l’ont travaillé en l’enveloppant de leurs intrigues sansnombre. A vraidire, sesfréquentations trop continuelles avec les nonnes l’ont amolli et allume, malgré la vigueur et l’élévation deson esprit… Le bruit qui a couru que sa femme était déjà enceinte est évidemment faux. Mais ce n’est plus le moment de s’attrister du fait accompli ni de le critiquer. En somme, je crois qu’il était contraint par la nature de se marier… Et comme je vois que Luther lui-même semble affligé et tourmenté de ce changement dévie, je m’efforce de le consoler… Ausurplus, j’espère que sa nouvelle existence le rendra plus sérieux et le fera renoncer aux bouffonneries que nous avons souvent blâmées chez lui. » (Cette importante lettre est un document écrasant pour Luther. Elle a été publiée dans Sitzungsberichte der philos, -philol. und historischen Classe’der k. bar. Akademie der Wissenschajten zn Mûnchen, année 1876, p. 601.) EnASMK, qui était justement engagé dans une violente polémique contre Luther, à propos du serf arbitre, ne manque point de lui décocher un trait de sa façon, à l’occasion de son mariage : c Les comédies, écrivait-il, finissent d’ordinaire par un mariage… Luther commence déjà à être plus doux et sa plume n’est plus aussi méchante. Il n’est rien de si sauvage qu’une épouse ne l’apprivoise ! » La position de Lutherétait singulièrementdifïicile et son attitude contradictoire. D’une part, il violait sans scrupules toutes les lois de la discipline ecclésiastique, changeait les dogmes, modifiait le culte, renversait les traditions. D’autrepart, il combattait la révolution et prétendait imposer au peuple une piété dont les dogmes de la corruption totale de l’homme, du fatalisme absolu, et de la justification par la foi seule devaient être les sources génératrices. Il ne pouvait aboutir. La faillite de son Evangile fut bientôt évidente. Luther s’en rendit compte lui-même. Dès 15a5, il écrivait : « Il n’est pas un de nos évangéliques qui ne soit aujourd’hui sept fois pire qu’il n’était auparavant, dérobant le bien d’autrui, mentant, trompant, mangeant, s’enivrant et se livrant à tous les vices, comme s’il ne venait pas de recevoir la sainte parole. » (Œuvres, édition d’Erlangen, XXV III, 4 20.) Son désenchantement le conduisit de la religion de liberté, qu’il avait voulu inaugurer, à une religion d’Etat, qui en était tout le

1. Quelques auteurs traduisent : excessivement léger.