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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/439

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RELIGION : THEORIE SOCIOLOGIQUE

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du divin doit apparaître plus clairement dans l'étude de » religions inférieures. On se trompe en effet, si pour étudier le fait religieux, on s’en tient à l’analyse des formes supérieures. Celles-ci ne sont que le résultat d’une longue évolution. La frondaison magnitique, touffue, qui a poussé autourdu vieuxtronc, le cache maintenant aux yeux de l’observateur ; les éléments premiers disparaissent devant la superposition d'éléments nouveaux.

Avec les religions inférieures, l’onest plus près de l’organisation snociale primitive ; on la saisit avant l’enchevêtrement des formes plus compliquées et plus tardives ; le mécanisme mental d’où sort la religion apparaît plus nettement. Là est la véritable expérience privilégiée. Cette conviction a tourné Durkheim vers l’utilisation des données récentes de l’ethnographie, en particulier sur les races inférieures. Connue l'école anthropologiste avait mis à la mode la passion du primitif, à son tour l'école sociologique s’est tournée vers lui, quitie à apporter une explication toute contraire. tf

La religion primitive choisie est la religion du totémisme, surtout chez les tribus australiennes, plus particulièrement étudiée durant les cinquante dernières années, avec les travaux de Grey, 1841 ; de Mac Lennan, 1870 ; de Lewis, A. Morgan, « 877 ; de Frazer, 1888 et 1890 ; de Robertson Smith, 1899, plus récemment avecles travaux de Baldwin Spencer et F. J. Gillen 1899, igo4 ; Howit, 1904 ; Frazer, 1910, auxquels il faut ajouter les études historiques des catholiques, missionnaires, apologistes, historiens des religions.

Ou sait ce qu’on entend par totem : l'êlre sacré, ordinairement un animal, quelquefois un végétal, qui a donné son nom et qui sert d’emblème au clan. L’emblème totémique est gravé ou sculpté sur des objets, tatoué ou dessiné sur le corps. Sous toutes ses formes, cet emblème est considéré comme sacré, et conférant une participation à ce sacré à tout ce qui le touche. — Le caractère sacré de cet emblème s'étend à l’animal qu’il représente : d’où, à l’ordinaire, les interdictions de le manger, de le tuer, parfois même de le toucher. L’homme lui-même acquiert une parenté avec cet animal, parenté plus sensible dans les cheveux, le sang, etc. Le totémisme est l’ensemble des croyances et des rites qui se rapportent ainsi au totem. L

Or le totémisme, nous dit-on, n’est nullement une zoolalrie, mais l’expression sensible du clan et de vie collective. « Le totémismeest la religion, non de tels animaux, mais d’une sorte de force anonyme et impersonnelle, qui entre en contact avec chacundes êtres et se confond avec eux » : entité quasi indépendante des individus, qui les précède, qui leur survit, être concret et non pas pure abstraction, être moral et non pas physique.

Un tel être, à la fois concret et impersonnel, indépendant des individus et participé par eux, ne peut être ni l’homme seul, ni la nature. Il reste qu’il ne puisse exprimer que la vie collective. Seule, la société est en même temps supérieure à ses sujets et immanente en eux ; seule, elle correspond à cet être concret et moral, susceptible de devenir l’objet d’un culte.

Chez le primitif, les alternances de vie individuelle et de vie collective diffèrent par une plus grande intensité ; la conscience propre, chez ce primitif, se confond presque avec la conscience du groupe, son individualité esta peine née. Et aux époques de la réunion du groupe, il sent en lui une énergie accrue. Mais les sentiments et les pensées collectives ne se fixent qu’en se concrétisant dans un objet matériel ; de là la présence de l’emblème totémique dans ces

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réunions, de là aussi la tendance spontanée du primitif, à attribuer à cet emblème cette excitation mentale, cet enthousiasme passager, cette vie nouvelle qu’il sent en lui ; de là entin la consécration qui s’attache à ce totem, et les pratiques rituelles qui ( n découlent : oblation, communion alimentaire, etc.

Cette explication de l’origine du sacré une fois acceptée, il sullitde la transporter en psychologie, pour découvrir le nouveau sens de ses notions fondamentales : l'âme n’est que la participation de l’individu au principe totémique ; l’antithèse de l'âme et du corps, ce dualisme constant, correspond aux oppositions de la vie sociale et de la vie individuelle, la croyance à l’immortalité traduit l’aflirmation de la permanence, de l'éternité de l'être col lectif : la société ; le culte des esprits se présente comme une conséquence de cette immortalité ; enlin les dieux sont des ancêtres supérieurs en puissance, en valeur. Tout au sommet, point culminant de la pensée religieuse, dernier produit de cette évolution, la notion du grand Dieu, ou de l’Etre suprême, esprit ancestral qui a pris une place primordiale dans l’organisation du système mythologique. Le monothéisme apparaît ainsi au terme de cette évolution, comme son complet épanouissement. Cf. Dunkhbi.m, Les formes élément, de la vie religieuse, 191a.

Ainsi se caractérise l’unité de cette élaboration. Au point de départ la société, représentée, symbolisée, participée ; au point d’arrivée, la société personniïlée, et derenant Dieu. L’histoire apporte la confirmation par les faits de l’interprétation sociologique. Et, comme le totémisme représente la religion primitive la plus simple, que le processus d’organisation sociale demeure le même à travers le temps et l’espace, le totémisme a du être, le totémisme a été à la naissance de toute religion. Et toute religion se ramène donc à une présentation sensible et symbolique de la société.

3" Preuve. — Accord de cette interprétation de la religion avec la sociologie générale. — On s'étonnera moins que la religion soit née dans la société, si l’on constate que la religion se trouve à l’origine de tous les faits sociaux, et que d’autre part, morale, droit, économie sociale, etc., et plus haut, les catégories mêmes de la pensée, sont essentiellement sociales. En sorte que l’explication sociologique, de proche en proche, apparaît comme un renouvellement des sciences sociales, de la morale, de la psychologie, et en particulier de la connaissance.

La morale est sociale ; elle descend de la société dans les individus ; elle varie avec le milieu social, elle évolue avec l'évolution des séries sociales : elle est fonction de l’ensemble des facteurs qui conditionnent une époque. Les impératifs catégoriques ne traduisent ni les commandements éternels de la raison, ni les ordres du Tout-puissant ; ils expriment les conditions de la vie sociale. Relatifs, mouvants, complexes comme elle, ils participent à son évolution. La prohibition de l’inceste, par exemple, n’est nullement une défense naturelle ; elle s’explique par des croyances totémiques, participation au même auim.il sacré, et par suite interdiction des relations conjugales ; Cl" Ann. social., 1898, 1.1. La prohibition de l’inceste et ses origines, par Durkheim ; de même l' nl’anticide de certaines sociétés n’a sa justification, ni dans l’emploi des femmes pour les travaux ou les transports, ni dans la crainte pour les mères d’une répudiation, du fait de leur inutilité, mais simplement parce que l’enfant, à peine né, ne fait pas encore partie du groupe social et n’a donc pas d’existence légale ; le suicide s’explique par ic

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