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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/443

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RELIGION : TIIÉOK1E SOCIOLOGIQUE

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sauce des renseignementsà l'égard du totémisme, sur l’exagération de son importance religieuse. Pour lui aussi, le totémisme est un effort pour s’assujettir, indépendamment de l’Etre suprême, les forces de la nature, et en particulier celles qui se rattachent à la génération, par l'établissement d’un pacte, en vertu d’une parenté, avec les animaux : nécessité particulière cher les peuples chasseurs, se compliquant de l’importance primordiale donnée au père, à l'élément mâle, à la génération active (cycle patriarcal, opposé à l’organisation postérieure du cycle matriarcal).

La conclusion, empruntée encore au P. Scbmidt, est que « les ombres couvrent encore les origines du totémisme ». — On est donc mal venu à chercher, avec Durkheim, dans ces ombres les origines de cette religion et de toute religion.

III. Sur le prétendu renouvellement de la science de l’homme et en particulier du problème de la connaissance.

i) Caractère fantaisiste de cette psychologie. — Les notions de spiritualité, d’immorl.ilité, de l’union de lame et du corps, auraient leur explication dans la vie collective. Solution nouvelle et combien déconcertante. L’individu, par lui-même, ne pourrait s'élever à l’idée d'être spirituel ; mais ce qui est impossible à l’homme, serait un jeu, tout spontané, au groupe, constituéeependant par des individus. Pouvoir créateur concédé ici encore à la collectivité, uniquement pour le besoin du système, et qui ne s’appuie sur aucune preuve.

a) Contradict on avec l’expérience constante. — Spiritualité, immortalité, seraient donc d’origine collective. Mais l’expérience constante et universelle affirme le caractère individuel du principe qui est en moi, et le fameux a je pense », sous une autre forme, représente l’attestation commune sur l’agent de ces manifestations. La perception de cette personnalité résulte d’une donnée immédiate de la conscience. L’idée de raison impersonnelle, la philosophie du panthéisme, du monisme, sous quelque forme qu’il se manifeste, — tout autant de constructionsde la pensée réfléchie — et combien loin de la mentalité du primitif !

3) Illusions de la solution sociologique du problème de la connaissance. — Elle se présente comme une réconciliation de l’empirisme et du rationalisme. En fait, est-elle autre chose qu’un empirisme, aussi grossier, aussi insuffisant ? Entre l’universalité et la nécessité réelles des idées et la prétendue universalité et nécessité de la société, ici encore, de pures analogies, et combien lointaines. Nominalisme nouveau, et tout aussi vide que l’ancien. La distance demeure aussi grande entre le collectif et l’universel qu’entre l’individuel et l’universel — Le collectif reste du particulier, dulimité, du contingent.

IV. Critique des résultats. — La théorie sociologique, appliquée à la religion, insiste sur certains résultats qui lui paraissent une heureuse conséquence de ce système. A. la vérité, ces résultats nous semblent entièrement illusoires, et remplacés par la suppression même de la vie religieuse.

i Négation de la réalité de la religion. — S’il faut en croire Durkheim, cette réalité religieuse serait indiscutable. L’animisme et le naturisme font reposer la religion sur un système d’images hallucinatoires. Seul le sociologisme donne une base expérimentale à l’affirmation religieuse. Sans doute, la réalité perçue par le croyant ne correspond pas pleinement à la réalité de l’expérience ; mais le mode seul de représentation et changé, la réalité persiste : la société. Le croyant se trompe en divinisant la collectivité, non en éprouvant sa transcendance. — Mais, puis que ce croyant est un « délirant, et que l’idée d'êtres spirituels, et en particulier de Dieu, naît de ce délire, comment aurait-elle son équivalent dans les faits ? Cette allirmation d’un monde supra-expérimental est fausse ; fausse aussi la notion d’une âme distincte d’un être personnel, capable d’une intervention dans notre vie. La société persiste, nous dit-on ; mais réalité « matérielle », et qui n’a rien des attributs moraux dont la revêt la pensée religieuse. Cette pensée, loin de se conformer aux faits, les défigure. Elle n’est vraiment qu’un délire.

a) Supposition de la valeur scientifique de l’expérience religieuse. — W. James a insisté sur cette valeur de l’expérience religieuse, s’imposant à tous : elle est, dit-il, un fait évidentpour celui qui l'éprouve, s’imposant à sa conscience comme tout autre fait. Durkheim, de son côté, soutient que le rationaliste le plus avancé ne peut mettre en doute la religion, puisque celle-ci exprime la société transfigurée. De ce côté, la réconciliation de la raison et de la foi, de la science et de la religion, serait définitivement acquise. — Oui, mais au prix de la disparition de la valeur même de la religion. Celte expérience reconnue fausse, et elle le serait, l’antagonisme serait supprimé, mais par la disparition de l’un des deux éléments. La sciencedela sociologie religieuse aurait tué la valeur de la vie religieuse. Dissolution, non accord.

3) Disparition de la pérennité de la vie religieuse. — L'école sociologique est souvent revenue sur cet axiome. Une institution permanente et universelle ne peut reposer sur le mensonge ; d’où, affirmer que la société est à la base de la vie religieuse, et que celle-ci naît spontanément delà pensée collective, équivaudrait à reconnaître l'éternité de la religion. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, vivant en groupe, une foi religieuse et un culte apparaîtront. Mais que restera-t-il de cette foi et de ce culte, lorsque la critique sociologique sera passée par là ? Quand les individus connaîtront le mécanisme du mirage dont ils sont inconsciemment les dupes, se laisseront-ils prendre à nouveau à ce délire collectif ?

Cependant, on prévoit une transformation de la religion, une élimination dudogme devant la science, une laïcisation progressive de la pensée religieuse et des manifestions cultuelles. En sorte qu’elles s’adresseront directement à la société, maintenant connue dans sa réalité positive. C’est di :e qu’on entend vider la vie religieuse de tout ce qui la constitue spécifiquement, pour en faire un pur moralisme, ou une pure contrefaçon : fêtes laïques, culte laïque, pensée laïque. Ce sera la religion de l’avenir. Guyau disait plus loyalement : l’irréligion. Dieu supprimé — et c’est l’objet delà sociologie nouvelle, — de quel droit, sinon par un étrange abus de mots, parler encore de la valeur et de la perpétuité de la religion ?

Ainsi, l’explication de l'école sociologique, la dernière venue de l’histoire des religions, n’est pas près de supplanter le spiritualisme. Elle représente un nouvel effort de la pensée laïque, comme un prolongement de la tentative de Comte, pour promulguer une religion de l’Humanité. Et elle n’aura ni plus de durée, ni plus d’efficacité que la tentative de Comte. Elle ira rejoindre, et sans tarder, dans l’histoire, le bric-à-brac des philosophies religieuses athées, et montrera à quellesconceptions extravagantes on a recours, quand on veut expliquer la religion sans Dieu.

BiriLioGRAPiiiB, à la fin de l’article suivant.

Georges Miciiklet.