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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/487

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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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prise en elle-même, pour envisager seulement l’intention de qui parle ou les effets de sa parole : elles pèchent par subjectivisme ou utilitarisme.

Elles ont toutes également des origines suspectes. Ce sont des expédients imaginés pour concilier l’interdiction absolue du mensonge avec la défense nécessaire ou légitime d’un secret ; elles sont un fruit de l’hérésie protestante, qui se mit à ébranler, dans les esprits, les certitudes même dogmatiques ; et elles datentd’une époque où la saine philosophie traversait une crise. Le prince de la philosophie rationaliste se rencontre d’ailleurs avec le prince de la scolastique pour les condamner. S.Thomas avait dit : « L’obligation de la vérité se considère du côté du débiteur » II, Il.q. 80 art. unique) ; Kant, à son tour, déclare : « C’est une fausseté primordiale, iro&ro » ptOSet, que d’avancer cette proposition :

« Nous devons dire la vérité, mais seulement à

celui-là qui y a droit ». (.Vetaphrsik der Sitten, lîechtslehre, Einleituug, nota B).

Art. IL— La malice du mensonge

A la notion du mensonge, fait naturellement suite la question de sa moralité. Que nous apprend à ce sujet la tradition catholique ? Que conclut la raison éclairée de la foi ?

^ 1. Réponse de l’histoire

Notre impossibilité de demander des précisions et des explications aux auteurs anciens ne nous permet pas d’être affirmatifs, là où leurs expressions ne nous livrent qu’une pensée flottante. C’est en ce sens que nous avouons franchement ne pouvoir déduire des premiers siècles chrétiens une conclusion certaine. Si S. Cyprikn est à la fois nique et catégorique : «.Non esse mentiendum. ominatio est Domino labia mendacia » (Prov. xii. 22) ; Testimoniorum liber, M, c. civ. (P. L., IV. 777), plusieurs autres Pères ou écrivains ecclésiastiques semblent, à la suite de Platon (République, II ! , 38y, b), autoriser, du moins chez des gens d’élite, les mensonges que nous pourrions qualiûer d’officieux ou de nécessaires. Citons Orighnb’, ("lbmbnt d’ALBXANDRiB (Stromata, Vil, 9, P. G., IX, 4-Ô-478) ; S. Jban Ci.iMA’in ; (Scala paradisi, grad. xii ; P. G., LXXXVIH, 856, Une) ; Cassibn (Collationes, xvii, c. 17. P. /.., XLIX, 1062).

A l’entrée même de l’âge d’or de la scolastique, le Maître des Sentences nous atteste encore une certaine hésitation dans la doctrine. Après avoir qualifié de grave (magna) la question du mensonge, Pierrk Lombard nous apprend que certains limitaient la prohibition aux mensonges pernicieux : les antres mensonges n’étant pas dits contre le prochain. Ne serait-ce pas intentionnellement que ces derniers mots- sont ajoutés dans l’Ecriture Sainte ?

Mais pour les Docteurs scolastiques, le doute a cessé. Attachés à la fois au Stagirile et à S. Augustin, ils trouvaient chez l’un et chez l’autre la réprobation formelle de tout mensonge. « Le mensonge, avait allirmé Ahistotb, est de soi honteux et blâmable ». Et l’éloge qu’il fait de Xéoptolème pour n’avoir point cédé à l’envie de mentir en faveur de sa patrie, nous montre quelle portée absolue il donnait à son verdict. (Voy. Eth. Nie, 1. VII, c. ix. n. i.) S. Augustin témoigne de la même force de

1. Capitaine, De Origenis ethica, p. 114, nota.

2. Ces mots se lisent Hun9 le vin* précepte du Décnlogue. Il n’est là question expressément que de faux témoignage ; mais on a rapporté à ce texte l’interdiction de tout mensonge.

Terne IV.

conviction, lorsqu’il félicite l’évêque Firminus de Thagaste d’avoir subi la torture pour avoir refusé de mentir et de livrer un malheureux. (De Mendacio, xii, 23, P. L., XL, 504.)

Aussi l’école deScot s’accorde avec celle de S. Thomas pour interdire absolument tout mensonge. L’entente des auteurs est moralement’unanime.

Trois siècles plus tard, les grands moralistes de la renaissance scolastique, notamment ceux de la Compagnie de Jésus, ne seront pas moins tranchés. D’après leur opinion très commune, Dieu même, loin d’être capable de mensonge, ne pourrait même pas dispenser du précepte négatif qui interdit de mentir.

La contradiction naît au xvi° siècle avec Grotius (De iure belli et pacis, 1. III, c. 1) et Pufi bndorf. Après eux, les auteurs protestants distinguent les mensonges répréhensibles et ceux qu’excuse la nécessité.

Un tout petit nombre d’écrivains catholiques se mettent à leur remorque dans ces deux ou trois derniers siècles. Mentionnons, au xviii" s., un auteur connu pour la témérité de ses raisonnements : Antoine de Gènes (1759), Christianæ theologiae elementa ; un friand de nouveautés, Vincent Bolgbni (1733-1811), Il possesso. Principio fondamentale per decidere i casi morali. Au xixe siècle, nous avons à citer les noms plus honorables de Bbrardi, Praxis Confessariorum, n. 2819-2826 ; de Dubois, dans la Science catholique : Une théorie du mensonge (1897, XI, p. 880). Voy. également Revue du Clergé français : Le droit à la vérité XXIII, 366 ss). A propos d’une théorie du mensonge XXIV, 158ss)et le très estimable P. Piat, Appendice iv à la théologie morale du P. Van der Velden.

Sans doute, nous nous plaisons à le reconnaître : avec ces derniers, la différence porte moins sur le fond que sur l’explication de formules ou de réponses que nous serons généralement d’accord pour légitimer. Qu’on ne dise point, cependant, que c’est une pure querelle de mots. Les fausses explications contiennent en germe de fâcheuses conséquences, et conduisent aux pires abus. Nous déplorons, quant à nous, l’abandon de la notion traditionnelle du mensonge et de ce ûer principe, inspirateur de nobles résolutions : non, pas même pour sauver une vie humaine, soit la nôtre soit celle d’autrui, il n’est permis de mentir II, II, q. 1 10 art. 4 ad 4) En même temps qu’ils réprouvaient tout mensonge, les docteurs catholiques estimaient que le péché, léger de sa nature, ne pouvait devenir grave que par suite d’une circonstance extrinsèque, particulièrement celle de ses effets nocifs 2.

§ 2. Réponse de l’Écriture Sainte

L’Ancien Testament contient contre le mensonge des textes terrifiants et qui paraissent avoir ému S. Augustin (De mendacio, c. v. P.I.. XL, 49’.'19 2) :

1. Moralement, disons-nous. En effet, dans une extrême perplexité où l’on serait acculé à la nécessité de trahir ou de mentir, quelques-uns, au témoignage de S. Raymond (Summa, De mendacio, ’), opinaient qu’il fallait mentir. Mais, encore une fois, une analyse plus exacte du mensonge permet de se soustraire à cette nécessité. Voy. le chap. ni.

2. Il y eut un moment où l’on discuta si les parfaits pouvaient mentir sans péché mortel. Leur union avec la Suprême Vérité et Bonté renduit-elle le mensonge possihle autrement que par mépris de la vérité : ce qui serait grave ? Maisil serait inutile de nous attarder, à cette question, qu’ont résolue iifnrmaiivomeiit le Docteur séraphique fin III D. 38 q. unica, quæstiuncula 3) et le Doctuur ungélique II, II, q. 110 art. 4 ad 5).

M