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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/50

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POUVOIR POLITIQUE (ORIGINE DU)

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transmettre, sous une forme ou sous une autre, aux gouvernants de l’Etat ? Ici, l’enseignement de l’Eglise ne prétend imposer aucune doctrine, et les arguments d’ordre rationnel ne sauraient être considérés comme concluants. C’est le domaine des opinions probables et des systèmes d’Ecoles. Nous nous trouvons en présence d’une controverse célèbre, dont il convient de faire connaître les deux solutions opposées, mais en faisant remarquer franchement que la discussion, toute philosophique, est sans aucune relation nécessaire avec les problèmes litigieux d’ordre pratique et politique, sur la légitimité de tel ou tel gouvernement, dans tel ou tel pays.

a) Premier système : le pouvoir est immédiatement conféré de Dieu au corps social tout entier. — Ce système représente l’opinion la plus commune des théologiens scolastiques depuis le Moyen Age jusqu’au dix-neuvième siècle. On peut trouvez chez saint ThoMAS d’Aquin des textes qui lui semblent favorables (Cf. Jacques Zbillkr, L’idée de l’Etal dans saint Thomas d’Aquin. Paris, Alcan, 1910, in-8°). Il fut plus particulièrement approfondi, au début du dix-septième siècle, par SuxRKzetBBLLARMiN, à l’occasion de leur controverse fameuse avec le roi Jacques I er d’Angleterre. Les préoccupations doctrinales créées, chez les catholiques, par les erreurs de la Révolution française, firent perdre du terrain, pendant le dix-neuvième et le vingtième siècle, par l’opinion qu’avaient défendue Suarez et Bellarmin, et l’opinion contraire parut devenir prépondérante. Mais de nombreux théologiens restèrent, et demeurent encore, ûdèles au système qui fait du corps social tout entier le sujet immédiat du pouvoir venu de Dieu. Système qui, au premier abord, peut sembler mieux adapté aux conceptions politiques du monde contemporain sur l’organisation démocratique de l’Etat.

L’opinion dont nous parlons est proposée dans les termes suivants : le pouvoir politique vient de Dieu, et, pourtant, à en juger par la conduite normale et ordinaire de la Providence, Dieu n’a pas remis, d’une manière directe, apparente et visible, à un homme, ou à un groupe d’hommes, en particulier, le droit de parler et de commander en son nom. L’institution d’un gouvernement politique répondant aux exigences raisonnables du corps social tout entier, ce sera donc le corps social lui-même, qui devra être considéré comme investi, d’une manière immédiate, de l’autorité venue de Dieu, pour en régler la transmission et l’organisation selon les conditions concrètes que pourra requérir le bien commun temporel. Dans les cas, peu nombreux, relativement parlant, où l’histoire politique d’un pays ou d’un régime commence par une consultation formelle delà collectivité nationale, aucune difficulté n’existe pour concevoir la vérification du système de l’investiture divine, primordialement conférée au corps social tout entier. Maison ne peut négliger les cas, beaucoup plus nombreux, selon toute apparence, dans lesquels la collectivité nationale n’eut jamais occasion de se prononcer, par voie de consultation explicite, sur l’organisation politique de l’Etat et le choix des gouvernants de la chose publique. On ne peut nier, cependant, que des régimes politiques existèrent, souvent et longtemps, dans des conditions équitables, raisonnables, pacifiques, utilement conformes aux exigences du bien commun temporel, et sans avoir bénéficié d’aucune consultation nationale qui leur conférât aulhentiquement le pouvoir. Il faut alors donner à la théorie une application plus large et une interprétation plus élastique. La possession prolongée, pacifique, du pouvoir politique, en des

conditions conformes au bien commun temporel, comporte ou suppose nécessairement l’approbation équivalente, l’adhésion tacite du corps social tout entier. Les gouvernants de l’Etat seront donc tenus pour investis correctement du pouvoir politique, en vertu même de cette approbation équivalente, de cette adhésion tacite, qui permet de dire que les chefs du peuple doivent le caractère légitime de leur autorité publique à la volonté, suffisamment manifestée, de la collectivité sociale et nationale. Solution qui réclame un peu de bon vouloir, mais qui n’a rien d’illogique ou d’inconcevable.

Dans ce système, le corps social tout entier opère, en faveur des gouvernants de l’Etat, lorsquele régime établi n’est pas celui de la démocratie pure et directe, une véritable transmission de pouvoir. Le corps social conclut un pacte avec les gouvernants de l’Etat, électifs ou héréditaires. En vertu de ce pacte, le peuple aliène l’autorité publique qu’il avait naturellement reçue de Dieu, et la confère aux gouvernants, ceux-ci prenant l’engagement réciproque d’exercer le pouvoir en vue du bien commun temporel, dans les limites prescrites par la loi divine et par la constitution particulière de chaque Etat. Hors des cas où le contrat est résolu par l’accomplissement de l’une des clauses résolutoires du pacte fondamental, ou par une évidente et légitime exigence du droit naturel, le peuple n’a aucun droit de reprendre le pouvoir dont il s’est validement dessaisi par voie d’aliénation et de transmission régulière en faveur des gouvernants. On concilie, de la sorte, le droit divin naturel du pouvoir politique et le caractère humain de sa détermination concrète.

L’exposé le plus complet de cette théorie existe chez François Suarez : De f.egibus, livre III, chap. 1 à iv ; — Defensio Fidei contra Jacobum regeni, livre III, chap. 1 à m.

b) Deuxième système : le pouvoir est immédiatement conféré de Dieu aux gouvernants de l’Etat. — On reconnaît unanimement que l’immense majorité des organisations politiques dont l’histoire nous apprend l’origine, ou nous permet de la conjecturer avec vraisemblance, n’ont pas eu pour fondement un pacte conclu, au moins d’une manière apparente et distincte, entre gouvernants et gouvernés. Ce n’est que par une opération de l’esprit qu’il est possible de concevoir alors une transmission de pouvoiraccomplie, au profit des gouvernants, par le corps social tout entier. La réalité historique et concrète apparaît fort différente. Tantôt, c’est le régime familial et patriarcal qui évolue en société politique, et le pouvoir paternel ou patriarcal qui devient un droit de souveraineté. Tantôt, c’est le régime domanial, qui évolue pareillement en une organisation politique et qui fait delà souveraineté une conséquence ou une survivance de la propriété, primitivement possédée sur le terroir et peu à peu démembrée. Tantôt, c’est une nécessité d’ordre public et de sa lut commun qui impose, comme spontanément, l’exercice de l’autorité suprême à celui ou à ceux que leurs talents, leurs services, leur rôle antérieur dans la vie sociale désignent comme seuls capables d’y pourvoir efficacement. Tantôt même, c’est une juste conquête, opérant une translation de souveraineté politique, pour un territoire et un rameau de population, comme sanction légitime d’une juste guerre. Dans tous ces cas, reconnus par la théologie catholique pour conformes aux exigences du droit, une autorité politique se trouve raisonnablement, équitablement constituée. Elle bénéficiera, sans contestation possible, des pouvoirs de légitime souveraineté, comme Ministre de Dieu pour le bien, selon la conception chrétienne de l’origine divine du pouvoir politique.