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PRAGMATISME

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façon très générale, comme le montre la définition

du pragmatisme dans le Dictionnaire de Philosophie de Baldwjn. (T. ii, p. 3a i) Ces conséquences peuvent être ou la conduite qui doit être recommandée ou les expériences que l’on doit attendre, si la conception est vraie.

L’ouvrage postLume du professeur de Harvard souligne également ce point. « … l.a partie la plus importante de [la signification du concept réside dans les iésiiltats auxquels il conduit. Ces conséquences peuvent consister soit à nous faire agir, soit à nous faire penser. Quiconque possède une idée claire de ces conséquences sait, en fait, ce que le concept signifie pratiquement, quel que soit l’intérêt propre de son contenu substantiel. » (Introduction à la Philosophie. Trad. Roger Picard. Paris, Rivière, io, 14, P- 7 ») James ajoute que la règle pragmatique énonce que la signification d’un concept peut toujours être trouvée sinon dans quelque réalité particulière qu’il sert à désigner, du moins dans quelque particularité de l’expérience humaine que son existence rendra vraie.

Il ressort de ces textes que ce qui importe, pour James, touchant la signification des concepts, c’est que leurs conséquences soient concrètes, particularisées ; l’activité ou la passivité du sujet connaissant passent au second plan. Une expérience (c’est-à-dire le fait d'épi ouver quelque chose), que l’objet en soit interne, ou externe, voilà ce qu’il réclame pour donner à une idée un contenu clair et bien défini. On s’est donc trompé, — et il faut avouer que l’illustre psychologue avait donné lieu à cette erreur par son langage fort imagé mais très peu précis, — lorsqu’on a prétendu que James faisait appel, pour déterminer la signification des concepts, aux conséquences les plus vulgairement utilitaires. Il a vivement protesté ; en particulier, dans un article où il défend la notion pragmatiste de la vérité contre ceux qui ne la comprennent pas.(7'/ie pragmatist’saccountoi 'truth and ils misunder standings. The Philosophical Revieu-, 1908. En appendice à la traduction de Pragmutism par E. Le brun. Flammarion, Paris, 1911 ; cité d’après cette traduction.) Le pragmatisme, dit-il, n’est pas une théorie sommaire, une vulgarisation philosophique à l’usage des ingénieurs, des financiers ou des hommes d’affaires. On a généralement cru que

« pratique » pour nous signifiait l’opposé de ce qui

concerne la théorie pure ; mais s’il est indéniable que a les idées sont, bel et bien, pratiquement utiles, au sens étroit du mot », il est non moins incontestable que les idées doivent être vraies avant d'être utiles eten dehors de toute utilité, ou, en d’autres termes, que leur objet soit réellement donné, perçu, « … c’est là une condition qui doit être remplie pour qu’elles puissent avoir cette sorte d’utilité, car l’importance même des objetsaveclesquels les idées nous mettent en relation, fait l’importance de ces idées, qui en deviennent le substitut ». (Ibid., p. 293) Il est douteux que James ait toujours adopté cette attitude et qu’il ait sans cesse marqué aussi nettement l’antériorité de la vérité par rapport à l’utilité ; à moins qu’il ne faille distinguer entre utilité matérielle et utilité en général. Quoi qu’il en soit, il est juste de reconnaître qu’il a maintes fois énuméré ce qu’il comprenait sous le terme de conséquences : rapport aux réalités physiques, aux idées antérieurement acquises, aux principes directeurs de la connaissance, aux événements passés, à l’existence de la pensée chez les autres hommes. L’utilité que James a en vue lorsqu’il emploie ce mot à propos des conséquences d’une idée, est donc l’utilité pour l’homme en tout ordre de choses.

Puisque la signification des idées est de nature

pratique, c’est-à-dire, doit toujours amener à ui.e expérience particulière, à un détail concret, la vérité et la fausseté qui dépendent de la signification des concepts auront nécessairement le même caractère. La différence entre les idées vraies et les idées fausses sera une différence pratique. James la décrit en ces ternies ; « Les idées vraies sont celles que nous pouvons assimiler, valider, corroborer et vérifier. Les idées fausses sont celles que nous ne pouvons traiter ainsi… La vérité d’une idée n’est pas une propriété stagnante qui lui soit inhérente. La vérité survient à une idée. Elle devient vraie, est rendue vraie par les événements. Sa vérité est, en fait, un événement, un processus, le processus qui consiste à se vérilier elle-même, sa véri- fication. Sa validité est le processus de sa valid-<ifc’on. » (Pragmatism. Longmans, Green, New-York et Londres, 1907, p. 201)

L’opposition entre la théorie classique de la vérité et la théorie pragmatique est donc celle du statique au dynamique. Selon la première, une idée est vraie ou fausse dès lors que, par un jugement, l’esprit l’a mise explicitement en relation avec un état de choses dont il allirme ou il nie la réalité ; elle est vraie ou fausse dès ce moment, bien que nous puissions ignorer laquelle de ces deux qualilications lui convient. Selon la seconde, au contraire, une idée n’est ni vraie, ni fausse, tant qu’elle ne nous a pas amenés à constater que ce qu’elle signifie est réel ou irréel. Vériûcation et vérité deviennent alors identiques. James admet la définition usuelle de la vérité, l’accord de la pensée avec la réalité ; mais il reproche à cette formule d'être trop abstraite, et la supériorité du pragmatisme, clans son opinion, est de donner au mot accord un sens tout à fait concret. Il nous permet de poser le pied, dès l’abord, sur un terrain solide et de ne jamais le quitter ; pas d’interruption, ni de saut ; nous allons d’un mouvement continu et sans heurt de l’idée au terme qu’elle nous faisait prévoir.

Etre d’accord avec la réalité, est-ce représenter, copier cette réalité? Copier le réel est sans doute une manière de s’y accorder, mais si elle a son importance, elle n’est pas unique, ni même essentielle. D ailleurs, ce genre d’accord ne se produit que bien imparfaitement, là où il est possible. Quelle distance entre la perception sensible elle-même, si riche, si détaillée qu’on la suppose, et l’objet avec lequel elle nous met en relation I Que dire alors du concept ? Et que peuvent bien copier des idées telles que « passé », « pouvoir », c spontanéité », etc.? Il ne s’agit alors que de symboles, non de copies, et il faut trouver un moyen d’expliquer leur accord avec les choses. Le pragmatisme prétend y réussir en disant que, pour une idée, s’accorder avec le réel, c’est conduire sans heurt, par des transitions simples et faciles, à l’objet qu’elle annonce, ou du moins dans ses environs. C’est cette direction, cette conduite de l’esprit par l’idée, qui constitue pour James, indivisiblement, la vérification et la vérité.

A la rigueur, nous ne devrions appeler vraies que les idées, les affirmations qui ont éternises à l'épreuve et qui ont abouti au point qu’elles indiquaient, mais il n’est pas toujours nécessaire de procéder à cet examen. Pratiquement, cela serait impossible, une vie humaine n’y suffirait pas, un temps précieux serait perdu. D’ordinaire, nous tenons pour vraie, sans en avoir fait l'épreuve, toute notion qui s’accorde avec nos autres croyances et que rien dans la réalité ne vient démentir. Nous pouvons, d’aillenrs, légitimement en user ainsi, car l’expérience nous a montré que les choses ne sont point disparates, qu’elles se classent en genres et en espèces. Il sullit donc d’avoir vérifié directement l’idée sur un des