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PRAGMATISM K

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c’est détraire l’ordre et tromper les inlentioi 3 de la nature. On n’a pas assez remarqué la place que tenaient les intérêts pratiques dans les constructions intellectuelles. L’évolulionnisine a montré que la connaissance n’est qu’un moment au cours d’un phénomène moteur. La question fondamentale, concernant les choses qui se présentent pour la première fois à la conscience, n’est pas : qu’est ceci ? mais la question pratique : où tend ceci ? (Tlie sentiment 0/ Rationalité dans The Will to belie^e, pp. 63-no et Reflex Action and Theism, ibid, pp. Il 1-1 h)

L’idée de lin et, par suite, l’idée de bien dominent toute cette théorie de la connaissanceet en donnent la clef. C’est donc très logiquement que James allirme : < … la vérité est une espèce du bien et non, comme on le suppose, d’ordinaire, une catégorie distincte du bien et qui lui est coordonnée. Le vrai, c’est le nom. te tout ce qui se montre bon dans l’ordre de la croyance et bon, aussi, pour des raisons définies, qu’on peut donner. » Et il ajoute que c’est le point central de sa théorie de la vérité. (Pragmatism, pp. 75-76) Assurément, James en proclamant le principe : La vérité, c’est ce qu’il nous est bon de croire, ou du moins le meilleur, n’entend pas autoriser les fantaisies individuelles, ni légitimer lesillusionsavantageuses, encore moins les mensonges. Une peut pourtant éviter dereconnaître que, dans certains domaines, on doit tenir pour vraies des allirmations contradictoires émises par différentes personnes, parce qu’elles sont avantageuses pour ces personnes. Ainsi, il sera vrai pour l’un que l’univers est en réalité l’Absolu, parce que cette croyance lui procure une entière sécurité morale ; pour l’autre, que le monde est essentiellement multiple, que nous ne pouvons nous appuyer que sur un Dieu ou des dieux Unis, parce que cette conception cadre avec son tempérament énergique, avide d’effort et de lutte, son désir ardent de contribuer à donner au monde son caractère définitif, en acceptant de courir les risques de l’aventure. (Pragmatism, pp. 282 ; 286)

Même lorsqu’il s’agit des croyances collectives les plus fermes, celles de la science et du sens commun, le principe posé fait dévier la théorie vers le subjectivisme. On doit dire de ces ordres de connaissances, malgré leur universalité, ce que l’on disait des opinions philosophiques personnelles : ils sont vrais chacun pour sa part, la vérité de l’un ne détruit pas la vérité de l’autre, bien que souvent sur les mêmes points ils soient en contradiction. Et ce qui explique cette aflirmation paradoxale, c’est qu’aucun de ces modes de connaissance, sens commun, science, critique philosophique, ne nous donne une image exacte d’une réalité qui serait déjà toute faite, mais chacun se montre excellent pour atteindre certaines fins et insuffisant sous d’autres rapports. La variabilité des hypothèses scientifiques est bien connue, mais les notions du sens commun, quoique plus stables, ne sont point innées ou encore formées comme d’elles-mêmes en tout esprit humain dès le premier contactavecleschoses. Ces notions, demême que les hypothèses scientifiques, ont d’abord été des inventions, les découvertes de quelques-uns de nos ancêtres d’une époque extrêmement éloignée, l’ne fois trouvées par ces génies préhistoriques,

« elles ont pu être vérifiées immédiatement par les

faits auxquels elles s’adaptaient, et ainsi, de fait en fait, et d’un homme à l’autre, elles ont pu s’étendre, jusqu’à ce que le langage tout entier reposât sur elles ». (Ibid., p. 1 8a-183) Maintenant, sans doute, il ne nous est pas possible dépenser autrement qu’à l’aide de ces catégories ; mais, à l’origine, il n’en était pas ainsi.

On voit dès lors ce qui peut rester du réalisme que

James prétend sauvegarder. Ces conditions, dont il répète avec insistance que nos idées doivent tenir compte, sont subjectives dans une très large mesure. S’il s’agit des vérités antérieurement acquises, les plus solides d’entre elles, les allirmations du sens commun, ne sont que des moyens par lesquels l’être humain s’est adapté à son milieu. Supposons que la nature de cet être eût été différente, ces allirmations elles-mêmes auraient été autres que ce qu’elles sont. Il n’est même pas nécessaire de recourir à cette hypothèse ; rien ne prouve que l’homme, avec la nature que nous lui connaissons, n’aurait pas pu inventer, à l’origine, d’autres moyens aussi avantageux que ceux qui ont été adoptés et qu’il n’est plus maintenant en son pouvoir de changer. Quant à la réalité représentée par l’expérience sensible, James nous dit également qu’elle est difficile à trouver à l’état brut, qu’elle n’est point toute faite, comme le prétend l’intellectualisme, et qu’elle se prête non seulement aux additions qu’y peut faire notre activité physique, mais encore aux modifications que lui fait subir notre connaissance. Nous pouvons, par exemple, l’interpoler, y introduire des intermédiaires, pour lui donner une continuité qu’elle ne possède pas en soi.

Il devient donc difficile de voir ce qui sépare la doctrine de James des conceptions plus radicales et plus cohérentes de Schiller et de De-vey. Au fond, il ne va pas jusqu’aux conséquences extrêmes, simplement parce qu’il ne veut pas les admettre, et aussi parce que le pragmatisme lui apparaît principalement comme une théorie qui rattache toute idée au concret, au particulier, plutôt qu’à l’action. Si, d’autre part, il ramène le vrai au bien et déclare que c’est là le point central de sa doctrine, c’est que la confusion de ses idées lui permet d’associer des principes qui ont une portée bien différente.

Cette équivoque est dissipée dans la doctrine de Schiller, beaucoup plus philosophe que James et habitué à donner à sa pensée une forme logique que l’on trouve rarement chez celui-ci. La théorie instrumentale de la pensée passe nettement au premier plan dans le pragmatisme du professeur d’Oxford.

« Dire qu’une vérité a des conséquences, observe-t-il, 

et que celle qui n’en a pas n’a ni sens ni portée, c’est dire qu’elle a une relation avec quelque intérêt humain. » (Studies in Humanism, Macmillan, Londres, 1907, p. 5) Toute idée se rapporteà undessein quelconque, à un but qu’on se propose ; et derrière ce dessein il faut apercevoir la personne humaine tout entière. Aussi le pragmatisme de Schillkr a-t-il été désigné par lui du nom d’Humanisme, L’humanisme a pour devise : « L’homme se met lui-même dans tout ce qu’il fait. » Aussi, de même qu’il faut se garder de considérer isolément un mot d’une phrase, si l’on veut être sûr de le bien comprendre, de même, pour connaître ce que signifie et l’idée et l’intention à laquelle elle répond et la parole qui les exprime toutes deux, il faut avoir soin de les rattacher à ce qui les entoure et les explique. Un mot n’a de sens coniplètemenldéiinique dans une phrase ; la phrase elle-même ne devient tout à fait claire que par le contexte. Or, l’idée et l’intention qui l’a formée ont pareillement ce que Schiller appelle un « contexte psychologique », c’est-à-dire l’ensemble de tous les étatsde conscience, — représentations, émotions, tendances confuses —, d’où émergent le dessein et l’idée qui le reflète et le sert. Supprimer ce contexte, c’est s’enlever le moyen de comprendre le véritable sens des mots par lesquels nos semblables tâchent de nous manifester ce qu’ils pensent.

Les termes ontsansdoute une ou plusieurs acceptions que l’on considère comme usuelles ; mais ce ne sont là que des significations abstraites, telles qu’on